40 ans de lutte contre le VIH : témoignage d’un médecin engagé

40 ans de lutte contre le VIH : témoignage d’un médecin engagé

En 1983, Jacques Reynes était un jeune interne du service des maladies infectieuses du CHU de Montpellier. Aujourd’hui professeur émérite, le médecin se souvient de ces années sombres, celles du “virus de la panique”, d’après l’hebdomadaire Le Point. Il faudra attendre trois ans pour commencer à parler du VIH. A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, où en est la recherche sur le VIH ? Depuis trois jours, l’institut Pasteur, qui a identifié le virus du sida il ya quarante ans, avec un prix Nobel à la clé pour Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi en 2008, ouvre les pistes de demain, à Paris. Son objectif est d’éradiquer la maladie. Si elle ne terrorise plus, elle touche au moins 39 millions de personnes dans le monde, rappelle l’OMS à l’occasion de ce 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida. Vous étiez un jeune médecin lorsque les premiers cas de sida sont apparus… J’ai commencé mon internat en 1980. Les premiers cas identifiés de sida sont arrivés en 1983, il y en avait sans doute avant, on les a rattachés rétrospectivement au VIH. C’est à ce moment-là, en 1983, qu’a débuté la recherche d’une sérologie (NDLR : l’identification des anticorps causés par l’infection). Elle a été trouvée en 1984 et commercialisée en 1985. J’ai pu en bénéficier avant, et j’ai consacré ma thèse à la pathologie des toxicomanes intraveineux hospitalisés, et il y avait à la fois des pathologies liées à la toxicomanie (bactéries, septicémies…) et les premiers cas de VIH. Cette première étude sérologique française montrait que la moitié des toxicomanes ayant recours aux injections intraveineuses qui étaient hospitalisés étaient séropositifs. On amenait les tubes de sang à Françoise Brun-Vezinet à l’hôpital Bichat à Paris, dans des conditions qui n’existeraient plus aujourd’hui… C’est-à-dire ? Je prenais l’avion avec, dans mon cartable, des tubes de sang dont la moitié était positive au VIH ! En 1985, j’ai été chef de clinique assistant dans une équipe d’infectiologues qui n’était pas trop orientée vers le VIH. J’ai assumé la première consultation spécialisée à l’hôpital Gui de Chauliac, puis j’ai ouvert l’hospitalisation de jour, puis j’ai créé l’hospitalisation à domicile… Quel regard portiez-vous sur ces malades ? Ils arrivaient dans un état très détérioré, avec des infections graves où dominaient des infections pulmonaires, des infections oculaires qui rendaient aveugle. Il y avait aussi des atteintes digestives avec des germes liés à l’immunodépression sévère, et des diarrhées très importantes qui les déshydrataient. Le virus restait latent pendant dix ans, avant qu’il ne se manifeste par une infection opportuniste, ou cancéreuse rattachée au sida comme le kaposi. Mon bureau était au milieu de l’étage où les malades finissaient leurs jours. On avait un étage entier, 25 lits de patients au stade de sida, et au plus fort de l’épidémie, on avait deux décès par semaine, plus de 100 décès par an. C’était une charge mentale pour l’équipe soignante infirmière, médecins… en même temps, j’ai fait de la recherche sur des traitements, et j’ai vite formé des médecins. J’ai créé un des premiers diplômes d’université sur le VIH. “C’était désespérant, et à la fois un gros challenge” Quelle était l’atmosphère de l’époque, de l’affolement ? En 1985, l’hebdomadaire Le Point parle de “virus de la panique”… Non ! On avait quand même des traitements et on était concentré sur l’effort à mener pour traiter ces infections opportunistes, sans parvenir à les arrêter. On passait de l’une à l’autre. Les traitements médicamenteux étaient lourds, et il y avait aussi un risque de contamination si on se piquait, les soignants devaient prendre beaucoup de précautions. C’était assez désespérant et à la fois un gros challenge car on parvenait à sauver des vies. Ensuite, avec l’arrivée des traitements antirétroviraux, on a vu des personnes remonter la pente, avec un système immunitaire reconstitué… mais il a fallu attendre la fin des années 90. Dès les premiers cas, vous avez le sentiment que vous faites face à quelque chose d’inconnu ? Le virus a été assez rapidement identifié. Mais on n’était pas beaucoup d’équipes opérationnelles pour cette prise en charge. Les services de maladies infectieuses ont été très impliqués, un peu comme ils l’ont été pour le Covid. Comment reste-t-on fort dans un service où il y a tant de décès ? L’équipe était soudée, mais ce qui était assez perturbant, c’est qu’on voyait mourir des jeunes qui avaient notre âge, ou juste un peu plus, des 30-45 ans. “Je me suis battu pour récupérer des molécules qui n’étaient pas commercialisées, on a sauvé des gens avec” Vous vous souvenez de certains de ces patients ? Bien sûr. Et il y en a qui sont encore vivants. J’ai des patients qui ont fait un sida avéré avec des kaposi et des infections graves, qu’on a sorti d’affaire. Je les suis depuis plus de trente ans et ils ont pu bénéficier de tous les traitements successifs, parfois avec la toxicité de ces premiers traitements. Ils en ont parfois des séquelles, comme les lipodystrophies (NDLR : une complication de la trithérapie qui se manifeste par l’accumulation de graisse sur les bras, les jambes, le ventre, la nuque…). On a eu des patients de toutes conditions. Le milieu artistique a été très touché. Vous connaissez certains de ces Montpelliérains qu’on a accompagnés. Comme le chorégraphe Dominique Bagouet… Oui. Il y avait une forme de fatalité ? Oui. À Montpellier, c’est surtout la communauté gay qui a été touchée. On n’a pas le sentiment d’avoir pu suffisamment agir pour enrayer l’épidémie… Oh si, les vaccins sont arrivés, la prévention aussi, et on a réduit les transmissions mères-enfants. Mais il a fallu attendre que les pays touchés se l’approprient. Cela prend beaucoup de temps, et on voit des résurgences, notamment en Europe de l’Est. On a aussi des résistances aux antirétroviraux… Oui, et l’autre facette complémentaire de notre ADN, c’est d’avoir cherché à être la référence pour des patients pour lesquels les médicaments classiques ne fonctionnaient plus. Et c’est toujours en cours. “La prise en charge de nos malades historiques” et aujourd’hui, les migrants sont en première ligne… Les profils des malades sont assez diversifiés à Montpellier. Ce qui a fondamentalement changé, c’est que le nombre de personnes prises en charge pour une prévention, notamment à travers la PreP, sans annihiler complètement le risque d’être malade, est au niveau du nombre de personnes suivies pour un VIH positif, nos malades historiques qui ont vécu des périodes compliquées et qui sont vieillissants. Ces personnes ont souvent des pathologies liées au vieillissement, sont isolées, elles sont dans une situation psychologique et parfois sociale difficile. On a vieillissement accéléré après la maladie. Donc vous n’avez pas de problématique de migrants ? Pas autant qu’à Toulouse, Marseille, Nantes, et ne parlons pas de Paris. Mais on constate que cette communauté, qu’elle vienne d’Afrique Sub-saharienne, du Maghreb ou d’Amérique latine, a d’autres problématiques par rapport à la maladie. Il y a des difficultés de stigmatisation, de non-dit… Il y en a toujours eu dans cette maladie… Oui, mais ce qui est différent, c’est que quand on était en situation épidémique, la communauté gay faisait corps autour des malades, tout le monde était concerné. Aujourd’hui il y a beaucoup moins de solidarité. Et il y a aujourd’hui encore une autre sociologie de malades, qui pratiquent le chemsex, qui sont dans une autre problématique d’addiction. Il y a encore des lits dédiés en infectiologie pour les malades ? Dans le service, on accueille toujours de personnes qui sont à des stades parfois avancés d’infection. Mais il n’y a pas de lits dédiés. Il n’y a pas de problème particulier, si ce n’est que les soignants qui ont vécu les années sida, qui ont l’historique des pathologies lourdes de l’époque, sont en train de prendre la retraite. Notre mission d’enseignement est de transmettre ce que l’on sait. Quels sont les grands tournants dans l’épidémie, selon vous ? 1983, la découverte du virus puis l’arrivée des trithérapies en 1995-96, une évolution vers des traitements de moins en moins lourds et des traitements plus efficaces…
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2023-11-30 20:20:00

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