«J’aime trop la caméra, elle est magique»

«J’aime trop la caméra, elle est magique»

Elle est l’une de nos plus grandes actrices et surtout une passionnée de cinéma. Rencontre avec Sabine Azéma, à l’occasion du festival Cinéroman de Nice, où elle est membre du jury.

Le sourire en coin, l’œil pétillant, Sabine Azéma n’a rien perdu de son enthousiasme d’enfant. Elle pourrait être blasée, elle, la grande actrice du cinéma français, qui a joué pour Resnais, Tavernier, Oury, Chatiliez et tant d’autres. Elle, la comédienne aux deux César et aux millions d’entrées. Mais à aucun moment, elle ne manifeste la moindre lassitude. Au contraire, elle rit de tout et s’émerveille sans cesse, des grandes et petites choses de la vie. « Je ne fais que profiter du moment présent », répète-elle. C’est sa philosophie. Sabine Azéma n’est pas de ces gens toujours pressés, qui vous donnent rendez-vous entre deux obligations, qui arrivent en retard et partent en avance. Elle veut prendre le temps de la rencontre. Pourtant, elle est très occupée : ces derniers jours, elle fait partie du jury de la quatrième édition de Cinéroman, festival niçois qui met à l’honneur les rapports entre littérature et septième art.

Paris-Match. Quand on vous a proposé de prendre part à ce jury, vous n’avez pas hésité une seconde ?
Sabine Azéma.
J’ai accepté tout de suite. Je préfère être là plutôt qu’en vacances. C’est une vraie cure de cinéma, enrichissante. On voit énormément de films, autant que l’on peut, on se lève tôt, on se couche tard, on en parle beaucoup entre nous. Avec les autres membres du jury (Pascale Arbillot, Ana Girardot, Pascal Elbé, David Foenkinos, David Hare et la président Danièle Thompson, NDLR), nous avons des univers différents mais nous sommes tous des passionnés de cinéma. Je connaissais Danièle évidemment, pour laquelle j’ai tourné, que j’adore et admire, elle nous fait vraiment passer des jours heureux. J’avais aussi croisé Ana sur un tournage. Et je suis ravie de faire la connaissance des autres. Aussi, Nice sous le soleil d’octobre, c’est incroyable !

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Jurée, c’est un rôle que vous aimez ?
Je l’ai été plusieurs fois, à Venise, Angoulême, Deauville, ainsi qu’à Cannes, où je présidais la Caméra d’or. J’adore les festivals de cinéma, j’y ai toujours passé des moments précieux. Mais juger, je n’aime pas ce mot.

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«Quand on s’engage sur un tournage, on se donne toujours du mal»

C’est trop difficile de juger des films quand on est soi-même actrice ?
Quand je vois des œuvres en compétition, je n’oublie pas que moi aussi, dans ma vie, je défends des films. Quand on s’engage sur un tournage, on se donne toujours du mal, sans savoir si le résultat sera réussi. Un peu comme en pâtisserie : on veut faire le meilleur gâteau, mais avant qu’il ne sorte du four, on ne sait pas s’il sera bien cuit, si la pâte aura levé, sera bien dorée, et surtout s’il plaira aux invités. Donc je juge mais avec beaucoup de respect, je ne veux pas me sentir supérieure au film. Je ne dis jamais que je n’aime pas ou qu’un film est mauvais. J’essaie juste de comprendre pourquoi une œuvre me touche ou me touche moins. Et puis, il faut se dire que parfois c’est nous qui sommes mauvais spectateurs.

Vous êtes parfois une mauvaise spectatrice ?
On n’est pas toujours dans le bon état d’esprit. Par exemple, je n’aime pas regarder un film trop tôt le matin, si je ne suis pas bien réveillée. Il faut que je sois préparée à accueillir l’œuvre. Je me souviens d’une fois, à la Mostra de Venise, où j’avais dû aller à une projection à 8h, et je m’étais vraiment ennuyée. Le soir, je devais revoir le même film, mais là, j’étais maquillée, apprêtée, parfumée, et puis surtout il y avait un autre public : vous savez quoi, j’ai adoré le film, à tel point que j’ai voté pour lui.

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«Je suis très sensible au talent du réalisateur»

Qu’est-ce qui fait que vous allez adorer un film ?
Je suis très sensible au talent du réalisateur, plus qu’à l’histoire. Alors, certes, on est toujours touché quand celle-ci résonne en nous. Mais je regarde plus la forme, le cadre, la musique. C’est pour cela que je vais au cinéma. Car des histoires, je m’en fais à longueur de journée dans ma tête. Là par exemple, vous me laissez seule dans ce restaurant, je vais en voir mille. Observer les gens dans la rue, imaginer, me faire des scènes, c’est mon occupation préférée.

Observer, un peu comme un peintre ?
Au contraire, je n’observe pas comme un peintre. Je ne regarde pas les traits physiques d’une personne. Je serais d’ailleurs incapable de vous dessiner. En revanche, je remarque les gestes, les postures, les mains, pour ressentir ce qu’il y a en dessous de l’enveloppe. En fait, je serais plus une psychologue, je crois.

Vous ne dessinez pas, mais vous êtes photographe à vos heures perdues ?
Là encore, je ne prends pas des paysages ou des portraits, mais des gens qui vivent dans un décor. Le théâtre de la vie, en somme. Alors oui, parfois, pour observer, je m’arme d’un appareil. C’est une activité solitaire, contrairement au cinéma, qui est un travail d’équipe. J’aime autant les deux.

Vous n’avez jamais enchaîné les rôles. On a l’impression que, contrairement à beaucoup d’actrices et d’acteurs, vous les choisissez avec soin et parcimonie.
D’abord, il faut que le metteur en scène ait envie de travailler avec moi. C’est toujours agréable d’être choisie [elle rit]. Et après, je dis oui ou non. Il me faut du temps pour préparer un rôle : je me documente, je lis sur l’époque, sur le sujet, sur l’auteur si c’est une adaptation. Souvent, je vais avant sur les lieux où se déroulera le tournage, pour m’imprégner de l’atmosphère, de ceux qui y habitent. Je m’installe dans la rue, j’observe comment ils vivent, comment ils sont habillés. En fait, je prépare le film de mon côté, je me construis mon personnage, sans que personne ne le sache, en secret. Et après le tournage, il me faut aussi un peu de temps pour sortir du film. Alors, je serais bien incapable d’avoir plusieurs projets en même temps. Je savoure toujours le présent.

N’êtes-vous jamais lassée de faire du cinéma ?
Jamais ! J’aime trop la caméra, elle est magique. Vous imaginez, ce qui est sur la pellicule restera plus longtemps que moi sur terre. Mais je n’ai jamais aimé tourner pour tourner. Alors, j’attends de rencontrer des gens avec lesquels j’ai envie de travailler. Dans ce métier, on fait beaucoup de rencontres. On noue beaucoup d’amitiés aussi. Moi, j’ai eu la chance de rencontrer Dussollier, Arditi, Resnais ou encore Podalydès.

Le jury de Cinéroman va bientôt dévoiler son palmarès. Les prix sont importants dans la carrière d’un artiste ?

Ce n’est pas le plus important dans une carrière, mais il faut savoir les apprécier. Recevoir un prix, ça ne doit jamais vous sembler une normalité, mais au contraire un événement, une fête. Surtout, la récompense signifie qu’on a joué dans un film qui a été aimé. Alors là, on ne peut pas rêver mieux. Des deux César de la meilleure actrice que j’ai reçus (pour « Un dimanche à la campagne » en 1985 et « Mélo » en 1987, NDLR), je garde en mémoire une grande joie et surtout beaucoup d’émotions. A deux années d’intervalle, je ne m’y attendais vraiment pas.

Vous avez une carrière incroyable, une filmographie étourdissante. Pensez-vous un jour raconter tout cela, dans une autobiographie par exemple ?

Pour le moment, je n’en ai vraiment pas envie. Cela nécessiterait de se replonger dans le passé, et je ne suis pas une nostalgique. Comme je vous le disais, je ne m’inscris que dans le moment présent. La vie est trop courte. Mais il ne faut jamais dire jamais.

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