“Pascal Auberson et César Decker en concert pour leur première collaboration père-fils”

“Pascal Auberson et César Decker en concert pour leur première collaboration père-fils”

Le père, le fils et le Cully Jazz

Au Temple, Pascal Auberson et César Decker ont tenu une réunion de famille au piano et au saxophone sans s’engueuler malgré leurs passes d’armes virtuoses. Un concert complet, comme le vendredi soir du festival.

Publié aujourd’hui à 17h50

Le 21 avril, Pascal Auberson et son fils César Decker ont donné vie, sur la scène du Temple, à l’album “Ainsi de suites”, publié le jour même.

Chantal Devey

Derrière les instruments, bras déployés sur le haut vitrail de l’église, Jésus paraît attendre un signe de son père. Jolie métaphore. Aux dernières nouvelles, Pascal Auberson n’est pas le bon Dieu et son fils César Decker a heureusement dépassé l’âge auquel le Christ rejoignit son paternel d’une façon particulièrement désagréable. Vendredi, dans un Cully Jazz très fréquenté malgré le temps maussade, cette réunion d’un père et de son fils s’est réalisée en douceur, en tendresse et en musique, avec un piano pour le premier et un saxo pour le second. Il s’agissait de la première “vraie” collaboration sur scène entre les deux musiciens, en dehors de quelques occasions de gala. Jésus avait de quoi lever les bras au ciel. Le public aussi.

“On jouait en famille aux anniversaires, c’est tout”, résumait le pianiste peu avant le concert, omettant au passage de préciser qu’il s’agissait du sien ce jour-là: Pascal Auberson partage en effet avec Robert Smith, de The Cure, et Iggy Pop l’avantage d’être né le 21 avril. À 71 ans, le Lausannois conserve une exaltation inchangée, regard amusé et mâchoire carnassière, toujours tourné vers de prochains épisodes bien que celui-ci présente dès son titre, “Ainsi de suites”, une fonction inédite de passage de témoin de Pascal à son fiston de 39 ans. On peut même y voir un blason familial, tant les Auberson sont liés à la musique depuis le grand-père Jean-Marie, célèbre chef d’orchestre. C’est d’ailleurs Antoine Auberson, l’oncle saxophoniste, qui a donné à César le goût de l’instrument qu’il partit étudier à la New School de New York.

César Decker à l’attaque.

Chantal Devey

Sur la scène du Temple, cette virtuosité se confronte sans peine avec celle, truculente, de son daron. Le challenge est osé: reprendre des thèmes de son répertoire, en inventer d’autres, mais assigner au saxo la fonction de “chant”, Pascal se “contentant” de tenir le piano et, par ses frappes percussives, le tempo. Le format pourrait sembler aride: il respire heureusement par tous les reliefs où il s’aventure, entre des incartades agressives limite free et des plages plus “pleines” où le saxo flirte parfois avec les joliesses sucrées des années quatre-vingt. La synchronicité, en tout cas, est sidérante, faisant s’interroger sur cette inexplicable compréhension intuitive née des liens du sang. “Ça n’a pas été une collaboration des plus faciles, pondère Auberson. L’autorité de père n’existe plus entre musiciens: nous sommes deux artistes dans nos domaines. Lui est le chef de l’harmonique, moi de la rythmique. J’ai plus de métier, évidemment, plus de fanfares.” Mais alors à quoi bon jouer avec son propre enfant? “Entre un père et un fils, on n’a parfois plus assez à se dire car tout est subordonné à une seule évidence essentielle: on s’aime. En ce sens, la musique est un bon moyen pour communiquer, car elle nous permet de se dire les choses différemment.”

Pascal Auberson, piano percussif en gants blancs.

Chantal Devey

Retour au Temple. Et à la chanson “Alep”, dédiée aux victimes civiles de la guerre syrienne. Ces choses dites “différemment” prenaient alors tout leur sens dans le cadre aussi adéquat qu’une église. Rompant avec le format des autres compositions, Auberson sort de son silence pour entonner un chant de muezzin rythmé au tintement d’une cloche, avant que son fils ne le rejoigne dans un tumulte de cordes et de cuivre, puis la mélodie vocale reprend, lancinante, impérieuse, tragique. Devant une telle force d’évocation, l’osmose atteint son plus haut degré, l’émotion aussi. Après que la main gantée a caressé une dernière fois la cymbale et que le son meurt entre les travées, Pascal lance à son fils un regard qui dit bien plus que de la fierté.

Cully Jazz, jusqu’au dimanche 24 avril

www.cullyjazz.ch

“Ainsi de suites”, Pascal Auberson & César Decker (TCB Jazz)

François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures.

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