‘Oppenheimer’, un sujet aride pour un bon film | Culture

‘Oppenheimer’, un sujet aride pour un bon film |  Culture

2023-07-20 10:55:24

Le distributeur, le producteur, le rôle principal de cette chose supposée essentielle appelée commercialisation, Christopher Nolan lui-même, quelqu’un qui légitimement ne doute jamais de son statut d’artiste, fait la première de Oppenheimer dans le grand événement cinématographique de l’année. L’écart hollywoodien de ces dernières années manque d’inventer des films créatifs et puissants, avec la capacité de capter un public de masse qui n’a pas le sens du goût atrophié. La projection de presse a lieu dans un cinéma de Las Rozas (Madrid) qui répond aux conditions visuelles et acoustiques avec lesquelles Nolan a conçu son film. Paris vaut-il bien une messe ? Mon agacement face au long voyage s’évanouit face à la puissance visuelle affichée à l’écran. Et le son fait vibrer la chaise de façon alarmante.

Vous savez aussi que vous allez y rester trois heures. La norme qu’impose Hollywood quant à la durée épuisante de son cinéma me paraît presque toujours regrettable et gratuite, mais dans le cas de ce film je ne regarde ni compulsivement ni détendu. Je supporte aussi le besoin de la vessie. Je ne veux pas être le moins du monde absent de ce qu’ils me disent. Le temps n’accable pas. Parce que l’histoire est puissante. Aussi sombre. Et c’est bien raconté.

Christopher Nolan prend toujours très au sérieux ce qu’il veut faire, c’est un perfectionniste. Parfois, il sort brodé, comme dans l’extraordinaire Le Chevalier Noir y Dunkerque. D’autres ont un attrait remarquable pour moi. (Insomnie, Le dernier truc, Interstellaire) et je peux aussi le trouver aussi prétentieux qu’incompréhensible dans le cas de l’insupportable Origène y Principe. Mais l’empreinte de sa personnalité est constante. Le produit s’avère meilleur ou moins bon. Je ne pense pas que l’irremplaçable Scorsese ait encore beaucoup de carrière en raison de son âge. Et le souvent hypnotique David Fincher prend sa carrière dans la foulée. Nolan est dans la vague des précédents. C’est l’une des rares alternatives qu’Hollywood offre au cinéma fastidieux et routinier des super-héros, sagas interminables et autres bagatelles triomphales.

Nolan écrit et réalise Oppenheimer. Et je l’imagine contrôlant le moindre détail de la production. Il traite de la biographie complexe d’un brillant scientifique qui a produit quelque chose d’aussi étonnant et avec des effets monstrueux appelés la bombe atomique. Cet homme n’a pas seulement accumulé d’immenses connaissances sur la physique quantique. Aussi brillance et capacité à extraire le meilleur des autres scientifiques, intuition, capacité et persuasion pour les faire travailler ensemble, large reconnaissance publique de son talent, énorme projection sociale de sa figure. Tout en lui correspondait à l’image d’un vainqueur absolu. Jusqu’à ce qu’ils le coincent avec une campagne féroce, menée par de puissants bureaucrates qui jouaient double jeu avec l’éminence qu’Oppenheimer représentait, le FBI de cet individu tout-puissant, amoral et sinistre nommé Edgar Hoover et les conséquences atroces pour tant de personnes de la sorcière chasse qui a dressé le sénateur McCarthy et ses nombreux laquais contre des gauchistes présumés ou réels. Et il s’avère qu’Oppenheimer avait toujours eu une conscience sociale et avait soutenu la République avec ses paroles et son argent pendant la guerre civile espagnole, que son frère et des personnes très proches de lui avaient été membres du Parti communiste des États-Unis. Ils ont essayé de brûler leur image et y sont parvenus en partie, usant de ruses, inventant des mensonges et des demi-vérités, manipulant leur environnement.

Nolan dépeint également les zones sombres, la culpabilité et les doutes moraux de l’homme qui a rendu possible et dévastatrice la bombe atomique, l’arme la plus sauvage que la science ait inventée dans l’histoire prédatrice de l’humanité. Il avait été créé avec son effet dissuasif à l’esprit pour une utilisation dans les guerres, mais les États-Unis ont prouvé son efficacité meurtrière en rasant les villes japonaises tragiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Pendant deux ans, l’armée et les scientifiques ont répété ce qui pouvait arriver dans le désert de Los Alamos. Et bien que la Russie fût son alliée contre le nazisme, la concurrence et l’espionnage entre les deux pays commençaient déjà à posséder le monstre dès que possible. Les États-Unis ont justifié le largage de la bombe atomique en disant qu’elle avait mis fin à la guerre et sauvé de nombreuses vies américaines. Oppenheimer mais aussi Albert Einstein (la relation entre ces deux cerveaux privilégiés est savoureusement décrite) entretenaient des doutes et aussi de terribles certitudes sur les effets de ce qu’ils créaient.

Oppenheimer il y a un climat, des personnages nuancés, des dialogues intelligents, des zones d’ombre et de lumière, une force visuelle qui éblouit parfois, des interprètes qui crédibilisent leurs personnages. Nolan a un scénario dans lequel des choses troublantes se produisent et il les tire avec crédit. Ce film respire et crée de l’agitation. Cela vous infecte avec ces sentiments. J’en suis satisfait à une époque où aller au cinéma implique rarement un plaisir certain et recherché. Seule obligation.

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