L’école ne vit pas que du mérite – Mondoworker

L’école ne vit pas que du mérite – Mondoworker

2022-11-14 17:09:54

Le premier geste fait par le nouveau gouvernement sur l’école a été le changement du nom du ministère de l’Éducation en ajoutant “e del Merito”. Un choix clairement identitaire et très critiqué pour diverses raisons, certaines bonnes, d’autres moins. Ramener le discours politique dans le domaine de l’éducation aux valeurs et aux principes est un bon choix car ici la dimension des valeurs, habituellement négligée, intervient plus que pour d’autres enjeux. Sauf que dans ce cas le choix a été fait de manière moniste en évoquant une seule valeur de référence, précisément le mérite. Il y a un siècle déjà, Weber avait remarqué comment un passage d’une grande importance historique s’était opéré dans les sociétés contemporaines : du « monothéisme » au « polythéisme » des valeurs. Au lieu de cela, il semble que dans le ciel de l’école de Valditara, le mérite soit la seule étoile à briller, ou du moins la plus brillante pour qu’elle puisse être indiquée comme faisant partie du tout. Sans compter que mérite et méritocratie sont à leur tour des concepts pluriels, étant donné qu’ils présentent une grande variété de sens et de déclinaisons. Dans notre livre intitulé Équité et mérite (2022) avaient utilisé le terme d’équité dans une perspective pluraliste, pour désigner un éventail de principes-valeurs qui ont à leurs pôles égalité et mérite. Des principes qui peuvent également être combinés et dont l’ordre de priorité varie au cas par cas.

Ne citer que le mérite revient à reléguer l’égalité au second plan et donc à justifier plus largement les inégalités. A l’opposé de notre constitution qui inclut l’égalité parmi les principes généraux (art.3) tout en parlant du mérite bien plus tard dans une disposition spécifique sur l’éducation (art. 34), et uniquement dans le sens de l’égalité des chances (en abrégé EO), c’est-à-dire la déclinaison égalitaire du principe du mérite. Démontrant la plus grande importance et extension attribuée au principe égalitaire par rapport au principe méritocratique. Dans les arguments en faveur du changement de nom qu’ont apportés le ministre lui-même et d’autres commentateurs, la priorité s’inverse : le mérite devient un principe général et l’égalité s’épuise entièrement dans sa version méritocratique car considérée comme décisive : « Le talent est un don : le récompenser le classisme est vaincu » (Ricolfi, La république27 octobre, 2022).

En fait la question est beaucoup plus complexe, voyons pourquoi. L’égalité des chances, c’est concevoir l’école comme l’arène d’une série de concours de réussite, fondés sur le talent et l’engagement des participants – ainsi Rawls, le plus grand philosophe contemporain de la justice, ainsi que le sociologue Young, l’inventeur de la terme de méritocratie – mais sans aucune influence de l’origine socio-familiale des étudiants. Sans égaliser les points de départ, le résultat de la course serait faussé et injuste. Nous avons ainsi distingué une « méritocratie pure » d’une « méritocratie fictive ». Cependant, les recherches empiriques nous apprennent qu’il n’y a pas de pays au monde où l’influence des origines sociales ait été réellement éliminée ; la « vraie méritocratie » reste toujours (plus ou moins) fausse. Pouquoi? S’agit-il simplement de systèmes scolaires laxistes qui ne sollicitent pas suffisamment l’engagement des élèves par le biais de récompenses et de pénalités ? Mais l’enseignement méritocratique de la carotte et du bâton nous donnerait-il vraiment des chances égales ? Nous en doutons car, comme de nombreuses recherches nous l’ont montré, l’origine socio-familiale des étudiants affecte (en moyenne) non seulement les résultats mais aussi l’engagement, c’est-à-dire la motivation à étudier et à poursuivre des études jusqu’aux plus hauts niveaux d’études. Et les bourses seules ne suffisent pas à modifier la structure des motivations. Même le talent n’est pas à l’abri de l’influence de l’origine sociale. La crainte d’une mobilité sociale descendante des classes supérieures importe plus que les aspirations à une mobilité ascendante à moyen-long terme des classes inférieures (également en raison du calcul du risque d’échec). De plus, les preuves empiriques ne manquent pas que la répartition génétique des talents n’est pas du tout aléatoire, contrairement à ce qu’affirme Ricolfi. Par exemple, une recherche anglaise récente (Crapohi, PNAS, n.14, 2022) a trouvé à quel point la réussite scolaire des élèves (à l’examen GCSE) reflète considérablement l’intelligence (mesurée par des tests appropriés) et certains traits de personnalité des parents. En revanche, pour avoir une mesure du talent et des dispositions de l’individu net de l’influence du milieu social (génotypes), il faudrait l’obtenir à la naissance (sinon même avant), ce qui est impossible. Enfin, Rawls, bien qu’ayant inclus l’EO parmi ses règles fondamentales de justice, y avait reconnu deux autres défauts substantiels. 1) Au regard du principe de responsabilité, l’héritage génétique du talent n’est pas moins immérité que l’héritage social. 2) L’OT est un objectif qui ne peut être atteint que partiellement. Pour le mettre pleinement en œuvre, en effet, il faudrait violer le droit des parents d’assurer à leurs enfants le maximum d’opportunités éducatives et sociales. A tel point que Platon, l’inventeur loin d’être libéral de l’EO, proposa de les soustraire prématurément à leur contrôle et de les confier aux soins de la république. Conscient de ces limites, à l’OE, définie comme « égalité libérale des chances », Rawls en avait ajouté une autre, définie comme « démocratique », fondée sur la redistribution des revenus et des richesses au profit des plus démunis. C’est-à-dire récompenser le mérite mais non pas comme source du droit moral d’un individu mais comme une incitation à s’engager pour la croissance et le bien-être de la société afin que chacun en profite, à commencer par les plus faibles. Une adresse impraticable dans une société méritocratique hyper compétitive où la même école fonctionne comme une Olympiade individualiste du mérite, récompensant les gagnants et faisant fi des perdants ou pire, les excluant. À l’inverse, il faudrait soutenir le développement d’habitudes communautaires, coopératives et solidaires.

En conclusion, nous ne sommes pas d’accord avec la réduction du principe d’égalité au seul EO, sa version méritocratique. Mais pas même le rejet a priori du principe du mérite, qu’il faudrait au contraire cultiver pour combattre les privilèges, les préjugés et les inefficacités également présents dans le monde scolaire. Dans notre livre, en plus de rappeler l’importance de l’EO dans les deux formes de Rawls, nous avons défendu deux autres notions d’égalité à l’école : celle des « résultats fondamentaux en fonction de l’inclusion » (le seuil minimum du parcours scolaire des élèves et ‘apprentissage des compétences de base) et celle d'”égale dignité” (principe de respect).

L’égalité et le mérite ne sont pas toujours inconciliables, cela dépend du contexte. Pour ne plus parler d’étudiants mais d’enseignants, en s’inspirant du critère du mérite comme incitatif, il est logique de structurer une carrière sélective en récompensant ceux qui ont acquis des compétences supérieures et peuvent effectivement exercer des fonctions plus complexes, par exemple enseigner dans les écoles “difficiles” où la lutte contre la pauvreté scolaire et les différences sociales et territoriales est décidée. Par conséquent, définissez un parcours de formation, d’entrée et d’avancement précis et sans ambiguïté dans cette carrière professionnelle fondamentale. Mais en même temps, inspiré par le critère d’égalité, il devient nécessaire de relever progressivement les salaires de toute la catégorie pour les amener aux niveaux des autres grands pays européens.

Source : Tuttoscuola, 14 novembre 2022. Le lien Tuttoscuola est : www.tuttoscuola.com



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