Le normopathe. Modèle ou danger public ? – La santé mentale dans les moments difficiles

Le normopathe.  Modèle ou danger public ?  – La santé mentale dans les moments difficiles

2013-07-28 02:49:42

L’adaptation aux normes socialement établies est le critère fondamental par lequel la psychiatrie actuelle définit ce qu’est la santé mentale. C’est sur cette philosophie que repose la classification nord-américaine des troubles mentaux, le fameux DSM (dont vient de sortir la cinquième édition) qui a vocation à devenir, comme on l’a souvent dit, la bible de la psychiatrie et de la psychologie clinique. En définissant ainsi la santé mentale, la figure du normopathe est intronisée, la personne parfaitement adaptée à sa société, comme un idéal, comme un modèle.

Cependant, si ce critère selon lequel la santé mentale repose sur le respect des normes sociales est soulevé, toute une série de questions se posent immédiatement. Quelles sont ces règles ? Comment savoir lesquelles sont appropriées ? Qui a le pouvoir de les dicter ? La réponse est que dans le DSM, la délimitation de ces normes se fait par consensus, l’accord entre les professionnels qui font la classification. Cela dit, nous sommes confrontés à au moins deux questions inquiétantes :

-Comment bien choisir les professionnels qui dictent les règles à suivre, dans un domaine comme la santé mentale, plongé dans un grand débat, avec une multitude d’approches ? La réponse est que les professionnels qui rédigent le DSM sont loin d’être une représentation des connaissances des psychiatres cliniciens et des psychologues. Ce sont plutôt des professionnels choisis de manière biaisée, parmi lesquels ne sont pas rares, par exemple, des conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, les multinationales de la santé, les assureurs, etc.

– Quelle validité peut avoir une classification psychiatrique qui repose sur un consensus entre professionnels mais qui ne repose pas sur des principes conceptuels et théoriques solides ? Validité évidemment limitée. Mais le plus troublant, c’est qu’on considère que la prise en compte du conceptuel est quelque chose qui, apparemment, de nos jours, est trop compliqué, peu pratique, dépassé, pour ne pas dire une souveraine perte de temps. Ainsi, le DSM fait semblant d’être athéorique.

Il convient de souligner, en tout cas, qu’il existe dans le domaine de la santé mentale un grave problème sous-jacent à faire des classifications, quelles qu’elles soient. La réalité est que nous n’avons pas de définitions valables de ce que sont la santé mentale ou les troubles mentaux, car de nombreux aspects sociaux, culturels, biologiques les affectent… très difficiles à définir. Mais face à ce handicap, au lieu de l’assumer et d’essayer de le résoudre, ou du moins de le relever, on évite l’analyse et on considère que sain est celui qui respecte les normes sociales, le normopathe, et la chose est réglée.

Il va sans dire qu’un tel individu, le normopathe, le citoyen qui avale tout ce qu’on lui lance avec bonne mine, qui ne cause pas de problèmes, ravit tout système de pouvoir, puisqu’il ne le remettra jamais en cause. Mais aussi, ce modèle de comportement est désormais supposé avalisé par la science et donc comme irréfutable. Tout le monde doit se taire.

Or, cette planification pour considérer que la personne saine est celle qui fonctionne « normalement » dans la société, contrevient à une loi fondamentale de l’évolution : la diversité, une stratégie qui a été choisie par la sélection naturelle parce qu’elle constitue une garantie de survie du groupe dans face aux changements continus qui s’opèrent dans la nature et dans la société. Si tout le monde travaillait de la même manière, si nous étions tous normopathes, nous disparaîtrions en ayant un répertoire très limité de comportements. Ainsi l’évolution sélectionne la psychodiversité, profane, de génération en génération, un nombre énorme de possibilités comportementales.

En psychiatrie standard, si le sujet respecte les normes, il est en bonne santé, s’il ne le fait pas, il est malade, et tout le monde est tellement content. Donc si un enfant est déplacé, donne la guerre, il est logiquement considéré comme problématique et donc malade. (Je me souviens du cas d’un enfant qui est venu nous voir au SAPPIR pour cause de “mauvaise conduite en classe”). Ou si un homme est triste et ne respecte pas la norme sociale de produire et de consommer, il est considéré comme malade. On ne peut nier que la procédure est simple et facile à appliquer, ce qui simplifie grandement les choses. La vieille psychiatrie européenne, pleine de dissertations et de nuances, de débats conceptuels, est vue aujourd’hui comme quelque chose de très lourd, stérile, une étape heureusement franchie.

Évidemment, cette définition de la santé comme respect des règles laisse de côté beaucoup de monde, étant donné qu’il y a une grande psychodiversité, et comme on peut le voir, plus ce critère de normopathie est approfondi et développé pour définir la santé mentale, à chaque fois qu’il y a plus de patients, il y a de plus en plus de pathologies. Dont, évidemment, il n’est pas difficile de déduire qu’il y en a qui ne peignent même pas.

Correspondance : [email protected]



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