L’efficacité de la vérification des faits remise en question

L’efficacité de la vérification des faits remise en question

Tout scientifique ou journaliste s’est déjà posé cette question : est-ce vraiment efficace de démystifier des propos trompeurs, voire carrément faux ? Convainc-t-on vraiment des gens qui ne l’étaient pas déjà ? Le « fact-checking » (« vérification des faits » en français) est une pratique journalistique très en vogue depuis les années 2010. Encore plus pendant la pandémie de Covid-19, qui a charrié un grand nombre d’affirmations trompeuses, ou même fausses. Mais l’utilité et l’efficacité de cette pratique journalistique sont régulièrement questionnées, alors même que les grandes plateformes (Twitter rebaptisé X, Facebook, etc.) vont devoir agir plus fortement contre la désinformation à partir de ce 25 août, en vertu d’un nouveau règlement européen.

Deux chercheuses en psychologie ont tenté récemment d’apporter des éléments de réponse. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs résultats – parus le 15 juin dans la revue Nature Human Behaviour – ne permettent pas vraiment de conclure. Les tentatives de fact-checking se sont avérées la plupart du temps “infructueuses”… mais les chances de faire changer d’avis une personne semblent plus grandes dans d’autres domaines que la santé ou lorsque le sujet abordé n’est pas clivant politiquement.

“De précédentes méta-analyses (des revues de plusieurs études) ont montré qu’en moyenne le fact-checking avait un impact sur les croyances des gens, mais avec des effets assez petits. Et comme on peut s’y attendre, un long raisonnement marche mieux qu’une courte argumentation et c’est plus efficace sur un thème peu clivant que sur un autre très diviseur”, indique Sacha Altay, chercheur en sciences comportementales à l’université de Zurich (Suisse).

Toucher la “majorité silencieuse”, peu active sur les réseaux sociaux

Pour Nathan Gallo, qui a la double casquette d’assistant de recherche à Sciences-po et de journaliste au service AFP Factuel, “un fact-checking est efficace quand il parvient, non pas à faire changer d’avis une personne 100 % convaincue car il n’a pas cette faculté-là, mais à permettre à des gens qui s’étaient trompés d’avis de bonne foi, ou qui n’en avaient pas vraiment, de mieux saisir la difficulté d’un sujet”. C’était d’ailleurs la conclusion d’une méta-analyse parue en octobre 2019 : les personnes déjà certaines d’avoir raison ou très idéologisées étaient très difficiles, voire impossibles à faire changer d’avis.

Qu’en pensent les premiers concernés ? Julien Pain, présentateur de l’émission “Vrai ou Fake” sur France Info, voit le fact-checking “avant tout comme un outil pour s’adresser au grand public”. Le risque ? Se laisser aveugler par les réseaux sociaux, sur lesquels “les communautés les plus actives et qui pourrissent le plus le débat sont celles extrêmement convaincues, qui s’écoutent en boucle et qui sont en guerre contre ce qu’elles appellent la pensée dominante”.

Non seulement celles-ci ne changeront jamais d’avis, mais en plus elles le feront bruyamment savoir. “Si mon rôle était de faire plus de bruit qu’eux, je baisserais rapidement les bras”, remarque le journaliste. À l’inverse, la “majorité silencieuse” des gens qui lisent les articles peut être réceptive, voire se laisser convaincre. Sauf qu’elles ne le feront généralement pas savoir sur Twitter, Facebook, Instagram ou un autre réseau social.

Sortir de “la caricature du vrai ou faux”

Au-delà du fond et de la cible choisie, la forme est capitale pour espérer se faire entendre. Régulièrement, Julien Pain partage sur Twitter de courtes vidéos “avec des codes visuels qui lui permettent de toucher un public assez jeune”, note Arnaud Mercier, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine.

“Si le raisonnement nécessite une longue démonstration, certains vont décrocher bien avant la fin. Le problème, c’est la difficulté à pouvoir répondre du tac au tac à des gens qui racontent n’importe quoi”, pointe le chercheur. Illustration de la loi de Brandolini, concept mis en avant par le programmeur italien du même nom : démentir une fausse information demande infiniment plus d’énergie que de la diffuser.

De nombreux médias ont également compris qu’il était contre-productif de s’imposer un format “c’est vrai ou c’est faux”, car la réalité est souvent plus complexe. Par exemple, si une personne affirme que “les vaccins contre le Covid n’empêchent pas la transmission”… c’est factuellement exact, car on peut être infecté et contaminer une autre personne même si on est vacciné, mais le risque est réduit (de l’ordre de 30 à 50 % durant les premiers mois) grâce au vaccin.

“Vrai ou faux, c’est une caricature qui est faite de nous par des milieux extrémistes et complotistes qui nous accusent d’être des dieux sachants. Mais très souvent, l’argumentation et l’explication aboutissent à une conclusion nuancée”, décrit Julien Pain. Nathan Gallo appelle lui aussi à “sortir de l’aspect binaire”, ainsi qu’à s’obliger à une “transparence totale dans la façon dont on procède” : sources mises en avant, choix justifié des experts sollicités, etc.

“Au final, c’est une équation à plusieurs inconnues : le timing, le type d’explication, le public auquel on s’adresse, le format…”, ajoute le journaliste, qui termine ces jours-ci un projet de recherche Sciences-po-AFP destiné à évaluer l’efficacité du fact-checking face à la viralité des fausses informations en ligne.

Un effet positif sur les politiques ?

La question de l’efficacité du fact-checking ne se réduit pas à l’échelon individuel. D’autres effets, plus indirects, apparaissent dans la littérature scientifique. Aux États-Unis, les élus prévenus par courrier que leur réputation et leurs chances de l’emporter pourraient être mises à mal s’ils faisaient des déclarations douteuses pendant la campagne électorale 2012 “étaient beaucoup moins susceptibles” de lâcher des inexactitudes voire des mensonges.

“La vérification des faits peut réduire l’inexactitude lorsqu’elle constitue une menace importante”, selon une étude publiée en 2014 par deux chercheurs en sciences politiques. D’après une autre étude parue en 2018, la probabilité qu’une personnalité politique répète une affirmation fausse est affaiblie (- 9,5 % en moyenne) si celle-ci a été “débunkée” (démystifiée) entre-temps.

“Même si la vérification ne fait pas forcément changer d’avis de nombreuses personnes, elle peut avoir un impact plus large sur les citoyens, les politiques et les personnages publics”, commente Sacha Altay. Et Arnaud Mercier de conclure : “Je pense que l’on est plus serein en postulant que le fact-checking ne sert à rien, avant de se laisser surprendre.”
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