Les bouleversements politiques en Afrique centrale : l’exemple du Tchad et du Gabon

Les bouleversements politiques en Afrique centrale : l’exemple du Tchad et du Gabon

Gilles Yabi : J’ai abordé cette région du continent juste avant l’élection présidentielle au Tchad, dont le résultat était sans aucun doute. Cela devait permettre au président Idriss Déby, paix à son âme, de commencer un sixième mandat. Il a perdu la vie de manière abrupte moins de dix jours après le scrutin. Même si le Tchad a une histoire politico-militaire et guerrière très particulière, assez différente de celle des autres pays d’Afrique centrale, on pouvait considérer que la fin du régime d’Idriss Déby Itno, après trente ans au pouvoir, marquait déjà le début des bouleversements politiques dans la région.

Et ce qui se passe depuis lors, avec son fils Mahamat Déby Itno, devrait alerter sur le caractère indéterminé des transitions politiques qui s’ouvrent lorsque qu’un dirigeant autoritaire disparaît politiquement ou physiquement : il n’y a aucune garantie que cela aboutisse à la rupture politique souhaitée par la majorité de la population, notamment les jeunes.

Oui, au Gabon, le remplacement du père, Omar Bongo, décédé en juin 2009, par un de ses fils, Ali Bongo, a eu lieu depuis 2009 lors d’une première élection considérée comme frauduleuse. Quatorze ans plus tard, moins d’une heure après l’annonce des résultats – qui semblent également frauduleux -, Ali Bongo Ondimba a été renversé par des militaires dirigés par le chef de la garde républicaine. Même si le fils et conseiller le plus en vue d’Ali Bongo, Noureddin Bongo, a été rapidement arrêté et qu’il ne prendra clairement pas la succession, le nouveau dirigeant de Libreville, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, ne s’éloigne pas tant de la grande famille qui gouverne le pays depuis plus de cinquante ans.

RFI : Mais le renversement d’Ali Bongo par l’armée a visiblement été applaudi par la majorité des Gabonais. Cela ressemble à un coup d’État libérateur…

Oui, il n’y a aucun doute quant au sentiment de libération de l’emprise du pouvoir d’Ali Bongo, dans le contexte d’un processus électoral dont les règles et l’environnement ont été continuellement modifiés pour donner toutes les chances au président sortant d’être déclaré vainqueur, même s’il perdait dans les urnes. En 2016, face à Jean Ping, pour proclamer la victoire d’Ali Bongo, il a fallu inventer un taux de participation invraisemblable de 99,9% et un vote en sa faveur de 95,5% dans la province du Haut-Ogooué, fief de la famille présidentielle. Dans la nuit du 31 août 2016, le quartier général du candidat Jean Ping a été attaqué par hélicoptère, puis au sol par des troupes de la garde républicaine et de la police…

Cette année, le régime ne voulait visiblement pas prendre le risque de nouvelles contestations après les élections : l’internet coupé, le couvre-feu, tout était prêt pour annoncer une nouvelle victoire du président sortant au milieu de la nuit. Il est facile de comprendre pourquoi tout ce qui ressemble à la chute du président Ali Bongo a été accueilli par des acclamations.

Mais c’est peut-être maintenant que la lutte pour un véritable changement du système incarné par la famille Bongo va commencer, dites-vous

Oui, les déclarations du candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, Albert Ondo Ossa, sur TV5 Monde, ont surpris par leur clarté. Pour lui, la prise de pouvoir par le général Oligui est une “révolution de palais” qui vise à maintenir en place “le système Bongo”, notamment au bénéfice de Pascaline, la sœur d’Ali avec laquelle les relations sont réputées difficiles depuis longtemps.

Le général Oligui a déjà rencontré le patronat gabonais lors d’une cérémonie très officielle, parfaitement orchestrée et médiatisée, le lendemain de sa prise de pouvoir, avec l’assurance d’un chef d’État qui ne sera pas là pour quelques semaines. Il prévoit de prêter serment ce lundi 4 septembre devant la Cour constitutionnelle, une institution temporairement rétablie pour cette occasion.

Si c’est bien Marie-Madeleine Mborantsuo, qui préside la Cour constitutionnelle depuis sa création en 1991 (donc depuis 32 ans), l’une des personnalités les plus puissantes du système Bongo, qui reçoit le serment du général Oligui, les Gabonais n’auront plus beaucoup de doutes sur le scénario qui est en train de se dérouler méthodiquement : un coup d’État préventif contre la perspective d’une véritable démocratisation.

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