Le Maroc des oubliés | International

Le Maroc des oubliés |  International

2023-09-11 06:40:00

Le terrible séisme s’est produit vendredi soir, dans les régions proches de Marrakech. À 23h11 La secousse a été ressentie même à Fès. Je n’ai appris la nouvelle que samedi matin. J’ai immédiatement contacté ma famille et mes amis à Rabat, Salé, Casablanca, Azilal, Marrakech, Agadir. Ils allaient bien. Tout le monde parlait de la nuit interminable d’horreur qu’ils venaient de vivre. Nous avions très, très peur. Nous avons passé la majeure partie de la nuit dans la rue. Sur les trottoirs. Dans les jardins. En solaire. Sur les places. A côté des feux tricolores. Nous avons enfin compris ce que vivent les réfugiés sur les routes froides de l’exil. Ils n’ont que le ciel et la terre. Nous nous sentions déracinés dans notre pays. Abandonné. Abandonné à un pouvoir nocturne invisible et très destructeur. Nous ne sommes rien, de petites choses sur Terre. Nous sommes très proches de la fin. On sent à quel point la mort approche. Nous avons beaucoup pleuré cette nuit-là. Mais nous sommes toujours là, vivants et toujours effrayés.

Je me sentais soulagé. Rassuré. J’ai transmis à ces proches les mots les plus affectueux et les encouragements les plus forts que j’ai pu trouver dans mon cœur.

Puis j’ai commencé à suivre l’actualité, à la télévision et sur les réseaux sociaux. Comme beaucoup de gens, j’avais envie de voir des images de cette catastrophe. Les conséquences. Les dommages. Les tragédies.

J’ai passé tout le samedi scotché aux écrans. Et plus je regardais, plus j’avais honte de moi. En fin de compte, il n’était rien d’autre qu’un égoïste qui pense d’abord à ses proches, un égoïste qui se soucie d’abord des gens qu’il connaît. Ma famille et mes amis vont bien, c’est la seule chose qui compte. Les autres? C’est toujours l’abstrait, les autres, l’inconnu.

Seulement là, dans les petites vidéos qui circulent sur Instagram, Facebook, YouTube, on voit une vérité nue, une vérité terriblement bouleversante. Nous voyons le Maroc des oubliés qui souffrent, qui tombent et qui pleurent sans cesse. Ce terrible tremblement de terre a touché le grand Marrakech, certes, mais il a fait la plupart de ses victimes dans les villages et les petites villes. Iguil. Moulay Brahim. Amizmiz. Et aux alentours de la ville de Taroudant. Les images montrent des choses horribles : des villages en amont complètement détruits, des maisons effondrées comme des châteaux de cartes, des mosquées à terre, des minarets fendus en deux. Les images montrent des survivants errant, cherchant, ne sachant que dire, pleurant, se retournant et se retournant. Ils espèrent que le gouvernement et ses forces viendront à leur secours. Pour les consoler. Pour leur parler. Les survivants ont encore un peu d’espoir.

Dans l’après-midi de ce samedi noir, cet espoir a complètement disparu. La colère augmente. Nous découvrons la vie et les histoires de ce Maroc abandonné situé à seulement 100 kilomètres de Marrakech et de ses luxueux palais. Ils commencent à parler. Quelque chose doit sortir. Un enseignant poste ce tweet : « Tous mes élèves sont morts. » Autre professeur, autre tweet : « Tous mes élèves sont morts. » Et dans une vidéo : un père contre le mur ; Il vient de perdre sa femme et tous ses enfants, il veut crier, il ne peut pas, il veut parler de l’injustice d’être un pauvre au Maroc, un de ceux qui ne comptent pas au Maroc, il peut’ Pour ne pas le faire, il tremble comme un enfant et finit par crier : « Ne sommes-nous pas aussi du Maroc ?

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Cette question est posée avec une extrême douleur, une extrême douceur et une extrême impuissance.

Cette question préoccupe de nombreux Marocains. Il me poursuit. Maintenant, c’est dans toutes les têtes. Dans tous les cœurs. Dans toutes les consciences. Comme un « J’accuse » d’Émile Zola. Nous ne pouvons plus prétendre ignorer les conditions de vie des plus pauvres. Ceux qui doivent être cachés. Nous pensions qu’ils étaient très loin. Et d’un autre côté, nous les avons très proches. Au centre de l’image et de l’événement. Le tremblement de terre les met en lumière. Dans une misère qui se montre au monde entier. Dans des vidéos qui voyagent partout. Et ils font pleurer beaucoup de gens.

Mais jusqu’à présent, aucune réponse n’a été reçue de la part de ceux à qui cette question était adressée.

Le PIB du Maroc ne cesse de croître depuis plusieurs années. Mais la croissance économique ne profite pas à tout le monde. Nous le savions. Maintenant, à cause de ce séisme, on le voit, on comprend parfaitement l’exclusion, la marginalisation. Et c’est insupportable. Intenable.

Nous ressentons de la honte. J’ai honte. Quand j’ai appris la nouvelle samedi matin, j’ai juste pensé à mon propre petit monde. La vie des autres ne comptait pas autant que celle de mes proches. J’ai également contribué aux souffrances du pauvre Maroc. J’ai oublié de penser immédiatement à ceux qui ont toujours été oubliés.

Il y a un an et demi, dans une petite ville du nord du Maroc, le petit Rayan est tombé dans un puits. Sa tragédie a choqué le monde entier. Son triste sort a révélé la dure vie et la précarité absolue des pauvres au Maroc.

Depuis vendredi soir, le terrible tremblement de terre nous oblige à porter à nouveau un regard sur cet autre Maroc embourbé dans la misère. Le Maroc qui n’a rien. Wallou [nada, en el árabe dialectal marroquí]. Mais cette fois, nous ne devons pas nous contenter d’une solidarité superficielle. Maintenant, quelque chose doit changer. Le regard profond du Pouvoir sur ses propres citoyens.

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