Crises et défis de l’éolien offshore en Europe : la nécessité d’une nouvelle stratégie industrielle

Crises et défis de l’éolien offshore en Europe : la nécessité d’une nouvelle stratégie industrielle

Ces crises, dans un secteur où l’Europe avait un savoir-faire unique au monde, surviennent alors que Bruxelles et les États membres souhaitent accélérer le déploiement de l’éolien offshore pour atteindre des objectifs qui mobiliseraient environ un millier de milliards d’euros d’investissements. Au-delà de la question des financements, de nombreux défis se posent pour le développement de connexions électriques sous-marines à haute tension et donc d’un cadre réglementaire approprié. Cela comprend également l’accélération des procédures d’autorisation, la coordination entre les États partageant le même bassin marin, ainsi que la coordination et la coopération entre les acteurs du secteur maritime, ainsi que l’intégration des enjeux de protection des écosystèmes et de l’acceptabilité publique.

Une nouvelle voie doit être trouvée si l’Europe continue de vouloir faire de l’éolien offshore une pierre angulaire de sa transition énergétique. Une erreur qui a été commise, à travers les systèmes d’appels d’offres actuels qui ne sont qu’une simple concurrence entre les producteurs, est d’avoir oublié l’aspect industriel. Les pouvoirs publics n’ont pas tenu compte, d’un côté, de l’immaturité du secteur et, de l’autre, des énormes implications en termes d’investissements pour les fabricants et les entités publiques en matière d’infrastructures. L’illusion d’une filière très performante, permettant d’atteindre des coûts de production très bas par rapport aux résultats de certains appels d’offres, a été entretenue par des circonstances très favorables telles que la baisse des prix des matières premières et surtout des taux d’intérêt particulièrement bas. La crise ukrainienne a complètement dissipé cette illusion et implique une remise à plat de la politique de développement actuelle.

Une condition nécessaire pour redémarrer la filière passe par une reprise en main par les États. La décision de fixer une limite de taille aux turbines ne peut être prise qu’à ce niveau, car elle relève à la fois de la politique industrielle, qui devra décider de la taille optimale à conserver (10 MW, 12 MW, 15 MW, etc.) en fonction de critères technico-économiques, de disponibilité des ressources (cuivre, acier, terres rares, etc.), ainsi que des ressources en personnel compétent, des capacités de financement, etc. Cela nécessite un dialogue constructif avec les constructeurs. Cela relève également de la politique de formation, étant donné le manque cruel de compétences dans ce secteur (et plus généralement dans tous les secteurs de la transition énergétique). Cela concerne également le développement des infrastructures portuaires, qui va de pair avec la normalisation de la taille des navires, ainsi que le développement du réseau électrique et du parc de production (il convient de rappeler que l’éolien offshore est une énergie intermittente qui nécessite l’ajout de moyens de secours pour assurer la production d’électricité les jours sans vent).

Un tel plan présente des similitudes avec celui que la France avait élaboré dans les années 1970 pour développer son parc nucléaire. Les enjeux sont encore plus importants dans le cas de l’éolien offshore si l’on considère l’échelle européenne (300 GW contre 63 GW). Bien que ces technologies soient différentes, elles ont en commun d’être capitalistiques, de nécessiter des infrastructures industrielles et de voir leur développement articulé avec celui du réseau électrique. Dans les années 1950 et 1960, les filières se sont concurrencées (graphite-gaz, eau lourde, eau légère sous pression ou bouillante, etc.), et la standardisation du parc français s’est faite grâce au choix d’une technologie éprouvée. Bien qu’il semble exclu de recourir à une seule technologie et à un seul opérateur dans le cas de l’éolien offshore, l’État doit favoriser l’articulation entre les acteurs industriels et les opérateurs, ce qui a été l’un des facteurs de réussite du plan français. L’implication forte de l’État a permis de lever les fonds nécessaires et très importants dans des conditions financières intéressantes et d’assurer ainsi la maîtrise des coûts actualisés de l’énergie (LCOE).

L’Europe doit réagir en endossant le rôle de stratège et en agissant en tant qu’architecte industriel. Dans cet esprit, ce briefing formule quelques recommandations :

– La conception des appels d’offres doit être revue afin de prendre en compte des critères autres que les prix, tels que l’impact sur l’environnement, la résilience du projet face à diverses situations, la valeur ajoutée locale, son exposition aux cyberattaques, etc. Le poids accordé à ces critères hors prix pourrait être fixé à 30% ;
– En conséquence, améliorer l’écoconception des éoliennes pour faciliter leur amélioration pendant leur durée de vie économique (“repowering”), permettre des mises à niveau, un recyclage plus facile des pales, alléger le poids des matériaux, etc.
– Examiner la possibilité d’indexer les prix plafonds des appels d’offres sur l’inflation, en intégrant que ce mécanisme peut entretenir l’inflation ;
– La planification maritime par les autorités doit donner une meilleure visibilité sur la disponibilité des espaces et prévenir les conflits d’utilisation à l’avance ;
– Les procédures de permis, y compris pour les réseaux, doivent être accélérées pour réduire les délais et éviter l’obsolescence des technologies ;
– Aider au financement des projets de fabrication des composants en les mutualisant pour bénéficier des économies d’échelle et pouvoir emprunter à des taux d’intérêt plus bas grâce à des garanties étatiques ;
– Veiller à ce qu’il existe une concurrence équitable avec les producteurs de composants chinois ;
– Déployer une véritable stratégie pour les ports et la flotte de navires afin de mutualiser au mieux ces infrastructures stratégiques ;
– Analyser les besoins industriels en matière de câbles et autres produits haute tension et de transformation, et soutenir la normalisation de la demande de ces produits pour réaliser des économies d’échelle et accélérer leur production, tout en travaillant de manière concertée sur leur écoconception pour faciliter le recyclage à long terme, ainsi que sur l’approvisionnement en matières premières clés, notamment l’aluminium et le cuivre.
– Mettre en place une véritable politique de formation, dès que possible, en intégrant le fait que les compétences nécessaires à l’éolien en mer sont souvent communes à d’autres secteurs de la transition énergétique qui manquent également cruellement de compétences ;
– Une attention particulière doit être accordée aux compétences numériques et à l’intelligence artificielle afin de pouvoir se protéger contre les cyberattaques, mais aussi d’optimiser le fonctionnement intermittent de ces machines complexes et leur intégration dans le réseau.
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