Le pouvoir symbolique de Karaba: Comment des femmes noires réapproprient un personnage de film d’animation

Le pouvoir symbolique de Karaba: Comment des femmes noires réapproprient un personnage de film d’animation

“C’est un personnage assez symbolique pour les petites filles noires”

Tout commence par un remix, utilisé 15 000 fois depuis. Neuf secondes où Karaba la sorcière s’insurge auprès de son serpent : “Imbécile, tu t’es fait berner. Je ne suis entourée que d’incapables. Dans le film d’animation sorti en 1998, l’intrigue touche quasiment à sa fin. Déjouant l’attention des fétiches, Kirikou vient de voler les bijoux de cette sorcière terrorisant le village. Il veut l’attirer loin de sa case, pour lui retirer l’épine dans le dos qui la rend “si méchante..

Sur TikTok, le hashtag Karaba a été vu 100 millions de fois. Après la sortie du film (énorme succès au 1,4 million d’entrées), “Accueillir” est vite devenu une insulte dans les cours d’école, lit-on en commentaire. “C’est un personnage assez symbolique pour les petites filles noires, confirme Aïda, 26 ans, étudiante en communication à Paris derrière le compte féministe et antiraciste @aidouush460 000 abonnés. Petite, j’avais des coiffures ‘ethniques’, des nœuds bantu, des locks… Les garçons me traitaient de Karaba quand je ne leur plaisais pas. Plus grande, sur les réseaux, on m’a de nouveau appelée comme ça parce que j’émettais mon opinion, m’étiquetant comme la ‘angry black woman’. Aujourd’hui, je trouve Karaba sublime.

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“La féminité noire est toujours hors norme”

Ces femmes noires renversent sur TikTok le stigmate raciste dont elles ont été victimes, et le revendiquent pour se célébrer, analyse Daphné Bédinadé, doctorante en ethnologie et anthropologie sociale à l’EHESS, spécialiste des questions raciales autour de la beauté. “Rappelons que la féminité s’est construite autour de la blanchité dans un contexte colonial et esclavagiste. Figure repoussoir, hypersexualisée… la féminité noire est toujours hors norme, relayée au bas de la hiérarchie de la féminité, note-t-elle. Les marqueurs racialisés associés aux personnes noires, comme les cheveux, le nez ou les fesses ne sont d’ailleurs valorisés que quand ils sont décorrélés des corps noirs, par exemple avec la famille médiatisée Kardashian.”

En vingt-cinq ans, la sorcière Karaba est plus largement devenue un symbole féministe, confirme la branche française d’Urbaniemédia canadien axé sur les questions relatives à la jeunesse et aux minorités. Inspirée d’un conte africain repéré dans un recueil publié par Equilbecq, administrateur des colonies françaises au XXe siècle selon le CNCKaraba est une femme meurtrie par un viol collectif. “L’épine empoisonnée dans son dos est un symbole, qui représente le mal que les hommes font aux femmes, énonçait son réalisateur (blanc) Michel Ocelot, qui a grandi à Conakry, en Guinée.

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“Dépolitiser cette question est une sorte de violence symbolique”

Sans être noire, l’influenceuse Polska, qui compte près d’un million d’abonnés sur TikTok, a utilisé la tendance Karaba et s’en défend. “On peut toutes briller, non ? […] Je n’ai jamais [traité] de Karaba la sorcière les filles quand j’étais petite, donc où est le problème ? renvoie-t-elle. Comme d’autres, la jeune femme estime que si l’actrice du film la Petite Sirène, jouée par Halle Bailey, était noire en 2022, elle peut utiliser ce son revendiqué par des femmes noires – Polska ne mentionne pas la vague de commentaires haineux et racistes à l’annonce du casting du Disney. Une autre Tiktokeuse, Gabie_tqr (800 000 abonnés) s’insurge : “Je suis contre [le fait que] certaines choses soient réservées aux Blancs ou aux Noirs, encore moins sur TikTok, c’est du divertissement. Elle termine son message par un universaliste “je soutiens la cause de toutes les femmes.

“En ce qui concerne la beauté, l’universalisme s’est construit à partir de la blanchité, dans un monde où la femme noire était exclue, alerte Daphné Bédinadé. Dépolitiser cette question, refuser de voir que des femmes noires construisent des espaces parce qu’elles n’en ont pas forcément d’autres, est une forme de violence symbolique.” Sur TikTok, certaines femmes demandent donc simplement leur avis aux premières concernées : “Je suis light skin [noire à la peau claire, ndlr], je peux l’utiliser ? “En discuter permet aussi de prendre conscience des enjeux du colorisme, le fait qu’au sein de groupes minoritaires, les personnes à la peau plus claire jouissent de privilèges que n’ont pas celles à la peau foncée, pointe Daphné Bédinadé. D’autres ont depuis adapté la tendance avec des extraits du film d’animation Mulan de Disney ou de la série latine Elena d’Avalor. Comme quoi, il y a assez de place pour toutes.


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