Le rêve professionnel de cette commissaire stagiaire vient de se briser. Le cas de cette femme, âgée de 44 ans, mise en examen en juin 2021 pour trafic de stupéfiants à Bobigny (Seine-Saint-Denis), a été examiné, ce mercredi à Paris. Et selon nos informations, le conseil de discipline de la police nationale l’a révoquée. Cette fonctionnaire est soupçonnée d’avoir, depuis près d’un an, participé à un réseau de production et de livraisons d’herbe de cannabis, qui s’étendait en Seine-Saint-Denis, dans les Yvelines, dans l’Eure et l’Eure-et-Loir, en compagnie de sept autres complices.
Si cette situation peut paraître anecdotique, la juge d’instruction en charge de ce dossier poursuit bel et bien un groupe criminel de jardiniers indoor qui travaillait au sein de fermes à cannabis dans l’Eure, l’Eure-et-Loir et les Hauts-de-Seine pour alimenter les supermarchés de la drogue à ciel ouvert de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). « Cette clique de logisticiens plutôt habitués aux transports de la drogue entre l’Espagne et l’Île-de-France a monté un système de production et de revente à une heure de voiture des plus gros points de deal de la région parisienne », commente une source proche du dossier.
Plus de 500 000 euros de valeur marchande
Avec 155 pieds de cannabis et une centaine de kilos d’herbes saisis, la valeur marchande de ces végétaux est de plus de 500 000 euros. La rentabilité de ce genre d’opération n’est plus à démontrer. Autrefois artisanales, ces plantations sont devenues une véritable tendance dans la production de cannabis.
C’est en novembre 2020 que l’intérêt des enquêteurs du service départemental de Seine-Saint-Denis est éveillé par un renseignement anonyme. Une Austin Mini, garée sur un parking de la rue Faraday à Saint-Denis, servirait de point de livraison pour de la drogue. Les surveillances physiques et vidéo permettent de comprendre qu’un suspect à scooter vient chercher de l’herbe dans la voiture. Quelques jours plus tard, les policiers voient un groupe apporter quatre valises chez Zohra, qui habite au quatrième étage de ce bâtiment. Cette femme est prise en filature par les forces de l’ordre, qui notent qu’elle circule dans des quartiers de la région parisienne bien connus pour abriter des points de deal.
La suspecte et un trafiquant notoire sont interpellés en janvier 2021. La perquisition menée chez cet homme permet de mettre la main sur plus de 41 kilos d’herbe et sur un « téléphone de guerre ». Lors des interrogatoires, Zohra soutient qu’elle héberge un inconnu chez elle et qu’elle ne sait pas ce qui s’y passe. Son complice reconnaît qu’il travaille pour un mystérieux donneur d’ordres pour rembourser une dette et révèle qu’il se fournit en produit auprès de cannabiculteurs installés dans les Yvelines.
Une première ferme découverte dans l’Eure
Les forces de l’ordre suivent les traces laissées par le bornage téléphonique et notent que le dealer s’est rendu dans l’Eure et les Yvelines. Les fonctionnaires identifient une maison de Glisolles (Eure). Les gendarmes locaux confirment qu’elle dégage une forte odeur de cannabis. L’étau se resserre autour de Jean-Louis, 40 ans, qui vit dans ce pavillon. Il a déposé près de 20 000 euros en espèce à la banque et sa consommation d’électricité a quadruplé avec une facture annuelle de 8 500 euros.
Le 21 mars 2021, les agents du groupe stups interpellent leur suspect et mettent la main sur 70 pieds d’herbe, 135 grammes de résine, 4 grammes d’héroïne et 700 euros. La demeure est très bien équipée avec des lampes, d’un système de ventilation et du bon terreau. Le quadragénaire assure qu’il fait pousser de la drogue depuis 2015 pour sa consommation personnelle. Il concède qu’une (seule) fois, il a vendu 12 kilos pour 24 000 euros. Son acheteur destinait sa marchandise à un « four » de Saint-Ouen. Pour justifier ses dépôts d’espèces, il assure qu’il gagne aux paris sportifs…
Les investigations s’orientent sur un réseau de cannabiculteurs dirigé par Laurent N. Cet habitant de Colombes (Hauts-de-Seine) serait en contact avec un certain Yougo. Ce mystérieux personnage alimenterait le « terrain » de revente de stupéfiants de la cité Cordon et peut-être d’autres fours de Saint-Ouen, avec cette herbe provenant de la cannabiculture. Un second site de production, caché dans deux maisons à Broué (Eure-et-Loir), est mis à jour. Les plantations sont installées à 50 mètres de distance.
Stéphane, électricien, et sa compagne, élève commissaire de police, vivent dans l’une des bâtisses. Le 28 juin, une nouvelle opération est lancée. Le couple et deux jardiniers sont interpellés. Dans la maison où vivent la future « patronne de police » et son conjoint, les enquêteurs découvrent une pièce équipée en rez-de-chaussée où poussent 36 plants de cannabis. Les fonctionnaires mettent la main sur 36,10 kilos d’herbe récoltée dans la seconde maison. Simultanément, Laurent est interpellé à Colombes. Chez ce coiffeur, les enquêteurs découvrent 10 kilos d’herbe et près de 1 500 euros. Ils apprennent qu’il a loué un espace dans une autre maison de la commune des Hauts-de-Seine où la PJ découvrira 49 nouveaux plants.
Elle n’aurait rien soupçonné des activités de son compagnon
Laurent nie en bloc toute forme de commerce illicite. Il assure que la drogue retrouvée chez lui est destinée à sa consommation personnelle. Et le matériel de culture retrouvé chez lui ? C’était une expérience passée et révolue. Il conteste aussi avoir blanchi 183 000 euros provenant de l’argent de la drogue via le système de rachat de tickets gagnants « Parions Sport ». Il affirme que Stéphane n’est qu’une relation de travail et un copain de bar. Les deux « jardiniers », arrêtés dans cette annexe, sont des amis du fils de Stéphane. Ils auraient été recrutés par Laurent après avoir réalisé des travaux chez lui. Ce coiffeur leur aurait proposé de monter une ferme à cannabis et les aurait même formés.
Stéphane est plus coopératif. Il raconte qu’il a investi 20 000 euros pour installer cette culture chez lui au mois d’août 2020, profitant de l’absence de sa compagne, en formation à l’école des commissaires de Lyon (Rhône). L’électricien minimise son implication. Il soutient que c’est son fils qui voulait faire pousser ces plantes dans son local professionnel, situé dans le bas de leur maison familiale. Il aurait accepté de l’aider à monter l’installation électrique pour éviter que ne se produise un accident. Puis il se serait investi progressivement dans le projet. L’électricien comptait récolter 70 kilos d’herbe qui devait lui rapporter 150 000 euros. Le professionnel du courant prend tout sur lui et affirme haut et fort que sa compagne n’était pas au courant de ce qui se tramait chez eux.
Quand la nouvelle commissaire est rentrée vivre à Broué, il a loué une autre maison pour déplacer son cannabis. Mais la plantation était si imposante qu’il n’a pas pu transférer cette végétation luxuriante dans sa location. La quadragénaire assure que durant sa formation de trois ans, elle ne revenait que le week-end dans cette maison de l’Eure. Elle ne descendait jamais dans les locaux professionnels de son conjoint.
« Leur relation amoureuse était terminée mais ils continuaient à cohabiter pour les enfants », explique une source proche du dossier. L’odeur du cannabis, pourtant très envahissante, n’avait-elle pas agacé les narines de cette policière en formation ? Non, elle n’a rien senti. Elle avait bien interrogé son compagnon sur le bruit que générait la ventilation. Mais ce dernier lui aurait simplement répondu que le système était en place pour lutter contre l’humidité. Et l’augmentation de la facture d’électricité ? Elle n’avait pas non plus remarqué cette hausse dans le budget du ménage car elle ne s’en occupait pas.
« Quand on a appris la nouvelle, on est tombés des nues »
Avant de passer le concours interne de commissaire, cette femme était ingénieur de police technique et scientifique depuis des années. Elle avait effectué son stage pratique au commissariat d’Élancourt (Yvelines) où elle avait passé plusieurs mois et devait être affectée en juillet 2021 au commissariat d’Elbeuf (Seine-Maritime). « Je l’ai côtoyée pendant un moment. C’est une femme très sympathique, remarque un de ses collègues. Quand on a appris la nouvelle, on est tombés des nues. C’est tout de même une personne qui assistait à toutes nos réunions, qui nous accompagnait dans les opérations anti-stups et à qui on donnait des conseils. »
Aujourd’hui la quadragénaire est révoquée mais l’enquête judiciaire n’est pas terminée. « Dans la mesure où elle avait été mise en examen pour trafic de stupéfiants, précise une source anonyme, on lui reproche une forme de complicité par omission. » L’administration considère qu’elle aurait dû dénoncer les agissements de son conjoint. La sanction a été d’autant plus rapide que le président de la République n’avait pas encore signé le décret qui aurait fait d’elle une commissaire de police à part entière. Patrice Ribeiro, délégué Synergie-officiers, remarque que « l’institution est bien faite car elle trouve et punit elle-même ses membres déviants ».
Qui est le mystérieux Yougo ?
Dernier épisode de cette affaire qui n’en finit pas de rebondir, le fils de Stéphane s’est constitué prisonnier le 1er février dernier dans les locaux de la PJ de Bobigny. Il était recherché après la découverte à Broué de 36 kilos d’herbe d’une valeur de 180 000 euros. Ce gaillard brun a déjà été condamné en 2019 à Meaux (Seine-et-Marne) pour une affaire de stupéfiants. Après avoir échappé à l’opération de police, il s’était réfugié chez un ami dans le 77. Comme une partie de ses complices, il soutient qu’il faisait pousser du CBD, c’est-à-dire du chanvre sans propriété psychoactive, à destination de boutiques qui prônent le bien-être et la santé. Mais les analyses réalisées sur les saisies confirment qu’il s’agit bien de cannabis.
Devant le juge de la détention, son avocat, Maître Mbeko Tabula, tente d’expliquer les causes de sa fuite : « Il a eu peur de la justice, mais avec un peu de recul et quelques conseils, il a choisi de venir s’expliquer. Je rappelle que ces 36 kilos ont été retrouvés au domicile de son père, qui louait la maison. » Et ce jeune homme d’ajouter : « J’étais à ses côtés. Pour moi, il a toujours été question de faire pousser du CBD. C’est une production interdite, mais sa commercialisation est autorisée à des fins thérapeutiques. Ça vaut tout de même 3 000 euros le kilo. J’estime qu’il y a une forme d’hypocrisie dans ce système. Et puis ces 36 kilos n’ont pas poussé d’un coup. On a eu des échecs. Mais avec une plante, on peut ensuite les multiplier ».
Et son avocat de rappeler que dans ce dossier, « c’est son père qui charge son fils et lui donne un rôle qui n’est pas le sien. Ce jeune homme n’est pas enraciné dans le trafic. Quand on évoque les points de deal de Saint-Ouen, tout le monde fantasme. Le mystérieux Yougo, que la police recherche, n’existe peut-être même pas ».
2022-02-11 11:00:00
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