Abus et exploitation des travailleurs mexicains à l’usine Plastech de Sherbrooke

Abus et exploitation des travailleurs mexicains à l’usine Plastech de Sherbrooke

Des travailleurs mexicains sont venus suivre une formation à l’usine Plastech de Sherbrooke pour quelques mois. Cependant, en réalité, ils ont travaillé pendant plus d’un an au Québec, sans permis de travail, et selon les conditions salariales prévues dans un contrat avec une filiale mexicaine. Selon les talons de paie fournis, des heures supplémentaires étaient rémunérées à l’équivalent de 5,76 $ l’heure.

Radio-Canada a recueilli des témoignages de trois travailleurs mexicains qui se sentent trompés par l’entreprise Plastech, premier actionnaire de MI Intégration. Ils ont fourni plusieurs documents, dont des talons de paie et des contrats de travail pour soutenir leurs allégations. Leur identité a été changée pour leur éviter des représailles.

Le mode de fonctionnement est le même pour les trois employés. Recrutés directement au Mexique par SLP Mi Integracion, une filiale de l’entreprise sherbrookoise, on leur offre par la suite de commencer à travailler à l’usine Plastech à Sherbrooke. Ils détiennent une lettre pour les douaniers, stipulant qu’ils suivent une formation technique d’une durée de 3 à 6 mois.

Nos sources affirment qu’ils ont été promis un permis de travail après leur période de formation , mais “On nous disait qu’après les trois mois, on aurait un contrat de travail canadien et un permis de travail,” assure Laura*.

Cette promesse n’aurait cependant jamais été tenue, dénoncent les travailleurs rencontrés par Radio-Canada. Ils auraient malgré tout été maintenus en poste pendant plus d’un an au Québec.

Pour nous faire rentrer plus facilement!

Rodrigo*, un autre des employés rencontrés, assure qu’au départ, il n’a jamais été question de faire une formation au Québec pour retourner ensuite à l’usine du Mexique. Il était clair dès le début qu’ils viendraient travailler au Québec pour plusieurs mois, voire plusieurs années si le rendement était au rendez-vous. Même son de cloche du côté des autres travailleurs. C’était comme un test pendant ces trois mois affirme Carmen*.

Rodrigo croit aujourd’hui que la formation technique était une tactique de l’entreprise pour contourner certaines règles d’immigration. C’était pour qu’on puisse rentrer ici plus facilement croit-il.

Les travailleurs assurent qu’ils n’ont jamais fait de formation pendant trois mois, mais qu’ils ont bien travaillé comme opérateur de production. Ce que je faisais, c’est du travail, pas de la formation martèle Laura.

Le permis de travail qui n’arrive jamais : la désillusion

Les travailleurs voyaient leur poste à Plastech comme un nouveau départ. Obtenir un premier permis de travail en sol québécois était synonyme d’espoir. Cependant, cet espoir s’est effrité au fil des mois alors que l’employeur aurait évoqué à maintes reprises des délais du gouvernement pour expliquer les retards dans le processus menant à l’émission des permis. Pendant ce temps, l’employeur aurait incité les employés à travailler de nombreuses heures supplémentaires. On [supérieur hiérarchique] nous disait, le plus d’heures que tu fais ici, le mieux ce sera si tu veux rester ici témoigne Laura.

On a laissé la famille, on a tout laissé [pour venir ici]. Plusieurs personnes ont même vendu leurs affaires parce qu’ils voulaient vivre ici.

Les travailleurs rencontrés ont perdu confiance en leur employeur et se sentent floués. D’autant plus qu’un travailleur qui aurait quitté le pays pour des vacances aurait été intercepté aux douanes canadiennes à son retour au Québec. Une situation qui a semé davantage de doute sur la situation.

C’est frustrant et dérangeant! témoigne Rodrigo. Lui et d’autres employés ont quitté le pays dans l’espoir de revenir un jour travailler au Québec pour une entreprise qui leur fournira un permis de travail.

Une autorisation du fédéral qui arrive près d’un an après l’arrivée des travailleurs

Des documents transmis par les travailleurs permettent de constater que ce n’est que près d’un an après leur arrivée au Québec, soit à l’été 2023, que le gouvernement fédéral a approuvé la demande d’autorisation de Plastech pour embaucher les travailleurs étrangers temporaires (EIMT). Or, ceux-ci travaillaient pour Plastech depuis l’été ou l’automne 2022.

Cette autorisation est essentielle pour ensuite obtenir un permis de travail. Par le biais d’un consultant en immigration, Plastech a envoyé une demande à Immigration Canada pour obtenir les permis de travail. Selon les travailleurs, les permis n’auraient pas été obtenus à ce jour. L’avocate Krishna Gagné explique que cette étape prend au bas mot deux mois .

Une stratégie illégale selon une avocate spécialisée en droit de l’immigration

Selon l’avocate spécialisée en droit de l’immigration, Krishna Gagné, Plastech aurait voulu bénéficier d’une exemption en vertu d’un accord de libre-échange pour faire venir des travailleurs étrangers.

Krishna Gagné est une avocate spécialisée en droit de l’immigration.

Photo : Radio-Canada

Cette exemption dispense de permis de travail des visiteurs commerciaux qui se rendent au Québec pour une période maximale de six mois pour suivre une formation sans jamais intégrer le marché du travail canadien. Cela va clairement à l’encontre du programme de libre-échange parce que c’est un poste de journalier qui n’est pas visé par les conventions précise Me Gagné.

Ça me semble être du Main d’oeuvre peu chère. L’usine fait un bon accord en embauchant des gens de cette façon. Or, c’est tout à fait illégal pour des raisons qui sont très évidentes.

Et même si les travailleurs se qualifiaient à l’exception, ils n’auraient pas été autorisés à travailler sans permis de travail après 6 mois, nuance-t-elle.

Ce n’est pas une façon de faire qui est permise, d’entrer quelqu’un pour le tester et lui promettre un permis de travail conclut-elle.

Des heures supplémentaires payées 5,76 $

Selon les contrats et talons de paie consultés, Plastech offrait un salaire de 12 000 pesos par mois, soit environ 943 dollars canadiens bruts selon le taux de change actuel. Cependant, certains travailleurs se plaignent d’avoir été obligés d’effectuer de nombreuses heures supplémentaires. Rodrigo affirme avoir régulièrement travaillé 10 heures de plus par deux semaines. Selon des talons de paie fournis, ces heures supplémentaires étaient rémunérées l’équivalent de 5,76 $ l’heure.

Selon Me Gagné, ils auraient dû être payés au même taux que les salariés québécois. Ils doivent être payés au taux et demi selon le salaire canadien et non pas le salaire mexicain tranche-t-t-elle.

Le professeur spécialisé en droit du travail à l’Université de Sherbrooke Finn Makela est formel : la Loi sur les normes du travail québécois s’applique aux salariés qui travaillent en sol québécois .

Ce dernier croit, par ailleurs, qu’il y a apparence d’irrégularités puisque les travailleurs disent avoir reçu uniquement des talons de paie produits au Mexique et que les déductions fiscales pour le Canada n’y apparaissent pas. La loi sur les normes du travail exige que des talons de paie soient émis en bonne et due forme, en conformité avec la loi sur les normes du travail précise-t-il.

Une plainte à la CNESST

L’entreprise Plastech a refusé notre demande d’entrevue. Dans une déclaration écrite envoyée par courriel, la directrice des ressources humaines de MI Integration, Marie-Claude Houle, confirme l’existence d’une plainte de nature pécuniaire de la part de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) .

Mme Houle précise également qu’il serait malheureux que, par un raccourci inapproprié, l’on dépeigne notre entreprise de manière injuste, arbitraire ou encore de manière à nuire à sa réputation.

Radio-Canada a aussi été confirmée la plainte déposée par des travailleurs à la CNESST.

Placer les travailleurs en situation de dépendance

Le coordonnateur pour le projet de soutien aux travailleurs étrangers temporaires chez Actions interculturelles, Jasmin Chabot, offre un accompagnement aux travailleurs qui ont dénoncé la situation. Selon lui, Plastech a placé les travailleurs mexicains dans une situation de vulnérabilité. On leur disait que : “dépendant comment tu travailles, on va te donner ton permis de travail”. On garde les gens dans des conditions où ils doivent démontrer leur valeur, sans jamais avoir la reconnaissance déplore-t-il.

Eux, ils ne veulent pas être en illégalité ici. Ils ont même très peur des répercussions et d’être bloqués pour revenir au Canada.

Jasmin Chabot est en entrevue avec Radio-Canada.

Le coordonnateur du volet des travailleurs étrangers temporaires chez Actions interculturelles à Sherbrooke, Jasmin Chabot.

Photo : Radio-Canada

Jasmin Chabot rappelle qu’un employé en situation d’illégalité ne bénéficie pas des protections habituelles. Lorsqu’un travailleur vient avec un permis de travail, il a la protection, une carte d’assurance maladie, des assurances et de la protection s’il arrive des accidents.

M. Chabot croit qu’une réflexion en profondeur est nécessaire au Québec pour mieux protéger ces travailleurs essentiels. [Actuellement], on met des bandages sur une problématique qui a besoin de beaucoup plus qu’un bandage.

Rodrigo veut quant à lui sensibiliser ses compatriotes. Si vous voulez venir du Mexique ou d’un autre lieu, exigez en premier le permis de travail. Ne croyez pas tout ce [que les employeurs] vous disent.

Le nombre de travailleurs étrangers au Québec a triplé depuis 2015. Le nombre de constats d’infractions remis par la CNESST à des entreprises qui embauchent des travailleurs étrangers temporaires est passé de 14 en 2022 à 97 en 2023.

*Noms fictifs

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