Cette fois, le verdict n’a pas fuité avant. Il est presque 23 heures vendredi à la cour d’appel de Paris, lorsque Xavière Siméoni, la présidente de la cour d’assises, arrive suivie par deux magistrats conseillers et neufs jurés masqués, crise sanitaire oblige. Le procès a duré neuf jours, le délibéré douze heures. Deux des six accusés sont acquittés, une autre peine est un peu minorée mais pour les trois autres, c’est le coup de massue.
Les peines vont de 9 à 15 ans, balayant les acquittements rendus à Bobigny en février 2019 dans un climat suspect. L’épilogue d’un feuilleton judiciaire hors-normes, révélé dans les colonnes du Parisien en septembre dernier?
« Je suis apaisé. La justice m’a rendu ma dignité, et mes enfants ne penseront pas que je suis un menteur » réagit Petit-Père. Selon son avocate, Me Mallet, il va « enfin pouvoir se reconstruire ». Cet ancien ouvrier de l’édition, aujourd’hui âgé de 50 ans, avait été séquestré et torturé après la disparition d’une cargaison d’au moins 70 kg d’herbe (300 000 euros à l’achat, 700 000 euros de bénéfice escompté) près du Pont de Bondy, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en 2014.
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Personne n’avait cru qu’il s’était fait braquer en faisant un crochet pour prendre un rail de coke chez Philippe (le prénom a été modifié)un ami qui vit à Villepinte. Philippe aussi a été torturé. Mutilé mais vivant, Petit Père a fini par se livrer à la police, très loin de Paris, où il vit toujours caché.
Une enquête pour corruption de jurés toujours en cours
En France et en Espagne, les têtes sont tombées. Et sur des écoutes, les enquêteurs de la PJ du 93, ont entendu parler de cette séquestration, cette « dinguerie », du « très sale », dans un HLM d’Aulnay. Un procès pour trafic a eu lieu en 2018, avec des peines allant jusqu’à 7 ans de prison. Et l’année suivante, une partie des protagonistes a été jugée aux assises pour tortures, avec des rebondissements à n’en plus finir. Un juré a fait fuiter le verdict à des proches des accusés, et une enquête pour corruption de jurés est toujours en cours.
« C’est une équipe soudée autour d’un projet commun, lucratif, du trafic de stupéfiants », a estimé Rémi Crosson du Cormier, l’avocat général à Paris. Qui d’autre que les investisseurs lésés par la disparition de la drogue auraient pu imaginer cette séquestration ?
Vu les peines prononcées, la cour aussi a suivi ce raisonnement, en condamnant de nouveau ce vendredi ceux qui l’avaient déjà été pour le trafic. Mohamed Chekroun, commanditaire, arrivé d’Espagne une fois la séquestration commencée, et qui s’est toujours défendu de tirer les ficelles, a été condamné à 12 ans (au lieu de 7 à Bobigny).
La cour a fait grâce d’une année à Boubakari Ba (condamné à 13 ans au lieu de 14), seul à reconnaître sa participation active, sans pouvoir néanmoins désigner ses complices. D’un procès à l’autre, les lignes de défense ont peu bougé. A Bobigny, c’est lui qui avait écopé de la plus lourde peine, 14 ans. « La justice attend que les auteurs assument leurs actes, et doit en tenir compte » avait plaidé son avocate Me Le Hir.
La récidive a été retenue contre tous
Pas d’acquittement cette fois pour Stéphane Lalami, surnommé le Docteur, en référence au rappeur Dr. Dre, condamné à 9 ans pour complicité d’enlèvement et abstention de porter secours aux victimes.
Peine maximale enfin, contre Afif Ben Hadj Brahim, condamné à 15 ans de réclusion. Lui aussi avait été acquitté à Bobigny. « Ce n’est pas moi, sincèrement Messieurs, je ne vous ai rien fait, ce n’est pas à moi de payer », avait répété ce père de famille, littéralement KO par le verdict. La récidive a été retenue contre tous. « Nous sommes abasourdis, nous ne comprenons pas cette décision, qui pourrait ? » ont réagi ses avocats Mes Breham et Saidi-Cottier, qui dénonçaient les « approximations ahurissantes » de cette enquête, où « Afo » était nommé à plusieurs reprises.
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« L’absence de preuve matérielles, la somme des éléments de l’enquête et les écoutes téléphoniques sont des preuves », avait estimé l’avocat général. Il s’était aussi chargé de rappeler aux jurés l’affaire en cours pour corruption de jurés, avec cette note interne du président de la cour d’assises de Bobigny, Philippe Jean-Draeher qui qualifiait de « totalement infondés » les acquittements prononcés.
«La vérité, vous ne l’aurez jamais»
Alors forcément, on ne peut s’empêcher de se demander si cette affaire dans l’affaire, toujours pas terminée et qui met en cause des proches d’« Afo » notamment, ont pesé ? « Je vous en conjure, vous devez nous délivrer de cette chape, qui consiste à vous faire croire que ces acquittements ont été volés, achetés, salis ! » a exhorté Me Tymoczko, défenseur de celui qui a fourni les clés de l’appartement aux tortionnaires et dont la victime reconnaissait la voix.
Lui a confirmé son acquittement en appel, tout comme son ex petite amie, la locataire de l’appartement où la séquestration a eu lieu. « La vérité, vous ne l’aurez jamais », avait glissé à la cour Me Karsenti, l’avocat de la locataire. Six ans plus tard, on ne sait toujours pas formellement qui a détourné la drogue.
2020-06-20 10:00:00
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