2024-02-01 02:00:00
Il y a quelques jours, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance, la jeune Liwa Ekimakingaï s’est éclatée. Il avait pris l’autobus du quartier des Trois-Cents jusqu’au Grand-Marché et s’était fait rhabiller en sapeur par la pourvoirie pour hommes de son choix. Une veste en crêpe rouge orangé à larges revers, une chemise vert fluo avec trois boutons au col et poignets arrondis, un nœud papillon blanc, un pantalon évasé violet et, comme touche de couleur, les chaussures en cuir verni rouge à lacets blancs. Réaction mitigée sur le chemin du club populaire : il reçoit des compliments du chauffeur de taxi, et deux jeunes qui l’aperçoivent dans la rue se mettent soudain à renifler. Il rencontre ensuite cette fille sur la piste de danse, et après plus rien n’est pareil.
Liwa reprend ses esprits au cimetière Frère Lachaise, un choc dans la terre qui l’entoure, maintenant il repose sur un tas de terre avec une “croix de bois toute neuve” au-dessus. Il se rend compte que le cordon ombilical qui le reliait à la vie a été sectionné. Petit à petit, il fait la connaissance des habitants du cimetière, des personnes issues de milieux modestes et de ceux qui sont morts dans des circonstances mystérieuses et qui, pour cette raison, n’ont pas été autorisés à être enterrés dans le cimetière des riches. Les deux s’appliquent à Liwa. Il est pauvre et sa mort est toujours mystérieuse. Les étapes de sa vie défilent devant lui, le lecteur apprend où il courait enfant “pieds nus et chemise ouverte”, comment sa grand-mère, Mâ Lembé, l’a aidé à s’en sortir grâce à son réseau matriarcal, comment il a réussi à survivre… pour trouver un emploi d’assistant de cuisine dans le meilleur hôtel de la ville. Mais bien sûr, il ne trompe personne. Prosper Milandou ne se contente pas de le chambouler symboliquement. » Et puis cette tenue ridicule, de bouffon. Comme si tu étais une personne morte d’une pièce de théâtre ! Cette chemise vert fluo ! Je ne savais pas que les poignets arrondis étaient encore à la mode !
Avec un sens du bizarre, le roman dépeint la vie des habitants de la ville portuaire ouest-africaine de Pointe-Noire, un portrait social qui devient parfois un peu contemplatif parce que l’auteur puise trop volontiers dans la collection de sa propre mère, dont “des histoires imaginatives”, écrit-il, intégrées au roman. La spiritualité joue un grand rôle, “Papa Bonheur”, le prêtre qui apporte des bénédictions aux petits gens et donne naissance aux jeunes filles, est associé à un meurtre rituel, les grands et puissants de la ville pactisent avec le diable pour leur pouvoir à maintenir et à accroître. Rejouer les histoires de Radio Trottoir n’est pas toujours bon pour l’intrigue, et le recours aux traditions est parfois préjudiciable à la compréhension sociologique. Les « chantants-danseurs-et-lamenteurs », qui dansent le Muntutu avec quiconque le souhaite, dans un cercle entouré de chaux vive, remplissent une fonction rituelle, mais n’opèrent pas en dehors de l’économie politique de la vie urbaine. La jeune danseuse qui s’en va avec le chauffeur de taxi fait ce qu’elle fait, non pas parce qu’elle est particulièrement « volontaire » ou « tumultueuse », mais parce qu’il la paie pour le faire. Il ne peut en être autrement quand on sait que sa chemise est si serrée autour de son ventre qu’il ne peut pas l’ouvrir sur-le-champ.
On remercie les éditeurs français du Seuil d’avoir créé une section spéciale littérature expérimentale, « Fiction & Cie », qui s’apparente à de la science-fiction. Mais en réalité ce livre ne peut être assigné à aucun genre, une course folle à travers la cosmologie d’une société coincée entre modernité et tradition, qui a conservé la richesse de la tradition orale, mais aussi une cruauté qui sape les fondements de sa propre existence. Dans les derniers mètres, l’action reprend de la vitesse. Nécromanciens, empoisonneurs et concubines ésotériques perdent le contrôle, les ancêtres prennent le contrôle de l’action, et Liwa va venger sa mort. Étonnamment, il ne s’offusque de personne d’autre. Il ne semble pas croire que l’amour puisse être une trahison, et les liens entre les mondes restent donc intacts.
Mabanckou est un homme expérimenté. Depuis les années 1990, il publie des recueils de poésie, des nouvelles, des romans et des essais. Il est professeur de littérature à l’Université de Californie et vit à Santa Monica. Mais il n’a pas terminé son livre là-bas, mais auprès des « jeunes » de Goma et de Bukavu qui l’ont accueilli lors d’un voyage en mars 2022. Des combats font rage depuis des années dans l’est de la République démocratique du Congo, voisin de son pays natal, la République du Congo, et Mabanckou voulait, comme il le dit, “voir les stigmates laissés par la crucifixion”. , mais on comprend qu’il s’intéresse à la souffrance des gens. Le ton espiègle qui parcourt le livre véhicule toujours un sentiment de profond sérieux. C’est d’une grande poésie que de rapporter des phrases comme celle-ci, de l’avant-dernier chapitre, à la traite transatlantique des esclaves : « La vue donne sur la Côte Sauvage, d’ici on voit le quai. La nuit, il ressemble à une girafe décapitée cherchant sa tête dans l’océan.”
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