Les États-Unis mènent une nouvelle enquête sur les allégations selon lesquelles des civils syriens auraient été tués et mutilés lors d’une frappe américaine lors de leur raid très médiatisé il y a cinq ans contre le fondateur de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi.
Cette nouvelle enquête fait suite à la publication par NPR de nouveaux témoignages remettant en cause la version originale du ministère de la Défense concernant l’opération du 26 octobre 2019. Plusieurs membres démocrates du Congrès ont également appelé l’année dernière le Pentagone à réexaminer l’affaire à la suite du reportage de NPR.
Dans un communiqué publié il y a deux semaines, le commandement central américain a déclaré à la chaîne NPR qu’il procédait à un « examen détaillé » de l’opération et qu’il approchait de la fin de son enquête. Il a déclaré que l’examen supplémentaire permettrait de « déterminer définitivement » le statut civil du survivant et des victimes de l’attaque. Il s’agit du deuxième examen mené par les États-Unis sur le raid de 2019.
« Je pense qu’il est extrêmement significatif que, compte tenu de l’ampleur du succès du raid contre Baghdadi, le Pentagone décide aujourd’hui de mener une nouvelle enquête », a déclaré Joanna Naples-Mitchell, avocate basée à New York et membre du Zomia Center, qui défend les civils blessés lors d’opérations militaires. Elle représente la survivante syrienne.
La première enquête américaine a rejeté les témoignages rapportés par NPR
Les États-Unis ont affirmé qu’ils n’avaient tué aucun civil lors de l’attaque menée par les forces spéciales contre le repaire syrien de Baghdadi, ce qui l’a conduit à se faire exploser. Le président de l’époque, Donald Trump, a qualifié l’opération d’« impeccable » et des responsables militaires ont déclaré que les troupes avaient protégé les civils.
La NPR a rapporté des informations en provenance de Syrie selon lesquelles trois ouvriers agricoles rentraient chez eux après avoir travaillé dans un pressoir à olives lorsque des tirs d’un hélicoptère américain ont tué deux des hommes et en ont mutilé un troisième, lui arrachant la main droite.
En 2020, le Pentagone a enquêté et rejeté les témoignages rapportés par NPR. Il a affirmé que les hommes syriens étaient des combattants ennemis qui avaient ignoré les coups de semonce alors que leur camionnette s’approchait des troupes terrestres américaines. Dans un communiqué, le CENTCOM a déclaré que les forces américaines « ont fait un usage approprié, nécessaire et proportionné de la force en réponse aux actions contre les forces américaines, qui sont devenues mortelles après que les avertissements n’ont pas été pris en compte ».
Mais le rapport confidentiel du Pentagone sur l’incident, publié en 2020 et obtenu par NPR fin 2022, a révélé que les coups de semonce avaient été tirés quelques secondes seulement avant la frappe aérienne. Cela a mis à mal l’affirmation du Pentagone selon laquelle les hommes avaient ignoré les tirs.
En outre, en mars 2023, NPR a constaté que les responsables américains n’avaient pas compilé de renseignements ni d’informations personnelles sur les victimes pour étayer l’affirmation du Pentagone selon laquelle elles étaient des combattants.
L’année dernière, NPR avait rapporté ces détails, y compris des interviews audio avec des proches des victimes syriennes qui avaient déclaré que les hommes tués étaient des civils non impliqués.
Le Pentagone a lancé une nouvelle enquête suite aux informations de NPR
En 2022, suite à Le New York Times Après avoir enquêté sur les frappes aériennes américaines qui ont tué des civils, le Pentagone a lancé une initiative visant à améliorer la manière dont il traite les victimes civiles.
En 2023, suite au reportage de NPR, le CENTCOM a demandé à NPR des détails supplémentaires sur ses entretiens avec les proches des victimes syriennes. NPR a fourni au CENTCOM une transcription de ses entretiens publiés et de ses reportages sur l’affaire.
Le Centre Zomia a déclaré avoir fourni au ministère de la Défense des documents qui, selon lui, attestent du statut civil du survivant de la frappe aérienne, y compris des reçus montrant qu’il transportait des olives vers un pressoir à olives dans les jours précédant les frappes aériennes.
« Le CENTCOM s’engage à examiner de manière approfondie et précise toutes les allégations de victimes civiles et prendra en compte toutes les nouvelles informations de première main qu’il reçoit, de la NPR ou de toute autre source », a déclaré le CENTCOM dans un communiqué.
Le Pentagone a désormais reconnu pour la première fois qu’il menait une enquête officielle.
« Je suis optimiste », a déclaré Barakat Ahmad Barakat, le survivant du bombardement, à propos de la nouvelle enquête. « Cela fait cinq ans que j’attends et que j’espère que l’armée américaine, les gens qui ont de la compassion pour moi, comprendront ma situation. Je ne mens pas. Je dis la vérité. »
Cinq ans après la frappe aérienne, un survivant syrien lutte pour sa survie
La grève de 2019 a laissé Barakat avec un handicap permanent. Son bras droit a été amputé à la suite de la blessure et sa main gauche a perdu une partie de sa mobilité.
Dans un message vocal depuis son domicile dans le nord-ouest de la Syrie, il dit qu’il n’a pas trouvé de travail en raison de son handicap et que sa famille n’a pas mangé de viande depuis un an.
« J’ai été blessé par erreur lors d’une opération militaire, et personne ne l’a reconnu pendant cinq ans », explique Barakat. « Qu’avons-nous fait, mes enfants et moi, pour nous retrouver dans une situation où nous ne pouvons pas acheter un seul pain ? »