2024-10-29 19:17:00
Une exposition consacrée au Royaume du Bénin, au Nigeria, au Musée Rietberg de Zurich, aborde le thème des pillages survenus à l’époque coloniale et de la restitution des œuvres. Qui ont non seulement une valeur artistique mais sont souvent des objets religieux
Lagos, Nigeria, 15 janvier 1977. C’est le jour d’ouverture du FESTAC 77, le deuxième festival mondial des arts et de la culture noire africaine. Depuis des mois, les organisateurs frappent aux portes du British Museum de Londres, où est conservé un masque en ivoire de la reine Idia, volé par des soldats anglais à Benin City en 1897 lors d’un pillage. Ils souhaiteraient l’avoir en prêt pour la durée du Festival : FESTAC 77 est un événement culturel important et le masque représente un lien avec le passé et avec la culture d’un peuple – celui du Royaume du Bénin (à ne pas confondre avec la République voisine du Bénin) – victime des violences des colonisateurs. Mais c’est aussi un objet à signification religieuse. L’effort est vain : les responsables de l’institution britannique restent catégoriques dans leur choix de ne pas accorder le prêt.
L’histoire du masque d’Idia n’est qu’une partie d’un long et lent processus entamé après l’indépendance du Nigeria en 1960 pour la restitution des œuvres d’art présentes dans les musées européens. Ce n’est qu’au cours des dernières années que les premiers résultats ont été observés : divers chercheurs et conservateurs de musées occidentaux ont commencé à porter un regard différent sur leurs collections d’art africain. Après le rapport de 2018 de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, commandé en France par le président Emmanuel Macron, la restitution de certains objets volés aux Africains à l’époque coloniale est devenue pour la première fois une réalité.
L’intéressante exposition « En dialogue avec le Bénin : art, colonialisme, restitution » au Musée Rietberg de Zurich, qui restera ouverte jusqu’au 16 février 2025, s’inscrit également dans cette perspective, organisée par une équipe de quatre commissaires – la Nigériane Josephine Ebiuwa. Abbe, la Suisse-Nigériane Solange Mbanefo, la Suissesse Michaela Oberhofer et Esther Tisa Francini – est une plongée dans le passé de l’ancien royaume du Bénin, une entité importante qui est venue au XVe siècle occuper une bonne partie du territoire de l’actuel. -jour Nigéria. Les contacts commerciaux avec les Portugais, à qui ils vendaient des esclaves en échange d’armes à feu, renforcèrent ce royaume, dirigé par un souverain appelé oba qui existe toujours en tant que figure d’importance culturelle, religieuse et sociale).
Ce sont les ambitions coloniales britanniques au XIXe siècle qui ont mis fin à son histoire vieille de plusieurs siècles. La destruction et le pillage de Benin City en 1897, avec la dévastation du palais royal, d’où les troupes emportèrent de précieux objets en ivoire, en bronze et en laiton, furent particulièrement violents. Une bonne partie de ce qui deviendra plus tard « les bronzes du Bénin » finit au British Museum de Londres, le reste fut vendu sur le marché de l’art international.
L’exposition du Musée Rietberg ne frappe pas par la quantité d’objets exposés, mais par son approche résolument innovante. Il s’agit de 16 objets appartenant aux collections du Rietberg lui-même – qui est le principal musée d’art des cultures non européennes en Suisse – et de quelques prêts du Musée historique de Berne et du Musée ethnographique de Neuchâtel. Les œuvres anciennes sont contextualisées dans leur usage : de même qu’une icône dans une église est un objet religieux autant qu’artistique, de même les masques, statues et bijoux du Royaume du Bénin pouvaient être portés ou placés sur un autel pour le culte. Quelques photos aident à comprendre l’utilisation. Ensuite, dans l’exposition, des objets contemporains qui rappellent la tradition, démontrent la vitalité de la production actuelle. Il existe en effet à Benin City un quartier créatif, avec des artisans et des artistes, fortement soutenu par le MOWAA (Musée d’art de l’Afrique de l’Ouest), une institution moderne qui inaugurera sa première section ouverte au public en novembre prochain. La reconstitution, fruit de recherches approfondies, de l’histoire de certains des objets présentés est une belle surprise pour le visiteur. Il est rare qu’un musée occidental explique comment il est entré en possession d’une œuvre d’origine non européenne. Ici, nous découvrons par exemple que la tête en bronze deoba Osemwende, Uhunmwu Elao, datant de la fin du XVIe siècle, fut chargé par le fils du roi décédé d’honorer son père et se trouvait dans l’Aru erha, le temple du palais royal où se déroulait le culte collectif du oba défunt, qui servait à maintenir le lien entre le monde des vivants et celui des morts. Puis en 1897, avec le pillage du palais, cet objet se retrouve entre les mains du marchand d’art londonien WD Webster, qui le vend dans sa maison de vente aux enchères. En 1899, le chef deoba il figure dans les registres du Musée d’Art de Bâle qui l’expose dans l’exposition permanente depuis 2020 Mémoiredans le but d’impliquer le public sur le thème de la restitution. Différentes œuvres présentées dans l’exposition Rietberg, dont celle-ci, sont signalées sur les panneaux explicatifs par un point rouge. «Cela indique qu’un dialogue est en cours pour une éventuelle restitution – explique Esther Tisa -. Notre musée, créé en 1952, est municipal : nous ne pouvons pas décider de manière indépendante de restituer les œuvres au Nigeria, c’est la ville de Zurich qui peut le faire.”
Le Musée Rietberg fait partie de l’Initiative Bénin Suisse, promue par l’Office fédéral de la culture en 2020. Les deux conservateurs Tisa et Oberhofer dirigent une équipe réunissant huit musées suisses et quelques chercheurs nigérians sur les objets béninois présents dans les collections. Ensemble, nous abordons des questions historiques et culturelles, et bien plus encore. Des sujets tels que l’injustice coloniale, l’identité, la possible restitution sont en jeu. Il ne s’agit pas de vider les musées occidentaux de tout art africain. «Il faut qu’il reste ici quelque chose pour raconter l’histoire du Bénin – souligne Tisa -. D’autres solutions peuvent être le remboursement ou des prêts à long terme. »
Le Nigeria est-il prêt à accueillir des œuvres d’art, en offrant des espaces adéquats et adaptés à leur conservation ? «Il existe au Nigeria plus de 50 musées, auxquels s’ajoutera bientôt MOWAA. Il faut cependant garder à l’esprit que l’idée de musée est un concept européen. Les premiers musées remontent aux années 1950, à l’époque coloniale. Même au Sénégal, au Cameroun, en Côte d’Ivoire – colonisés par la France – des musées ont été créés par des Occidentaux dans les années 1930 et 1940″, ajoute Tisa : “Certains objets qui nous frappent par leur valeur artistique et esthétique en Afrique ont encore une valeur religieuse. Par exemple, Rietberg a réalisé un projet collaboratif avec le Cameroun et certaines de nos œuvres de ce pays sont revenues pour être utilisées lors de rituels et de fêtes. C’est l’idée de musée vivantmusée vivant, une autre conception du musée.”
Dans une interview accordée à la BBC, Olugbile Holloway, président de la Commission nigériane des musées et monuments, explique que les musées de son pays sont rarement visités par les gens : « Les gens ne sont pas intéressés à entrer dans un bâtiment sans vie. Ce que les Blancs ou les Occidentaux appellent un artefact artistique est pour nous un objet sacré. Je pense que la richesse contenue dans ces objets pourrait être comprise si on les montrait tels qu’ils ont été utilisés à l’origine.”
Il s’agit d’un sujet complexe et destiné à faire débat maintenant que certaines œuvres reviennent, ou reprendront dans les années à venir, leur chemin vers les musées africains. L’exposition Bénin au Rietberg aide le visiteur à comprendre le point de vue de l’autre. En effet, une série de contributions vidéo enrichissent l’itinéraire, offrant l’avis d’universitaires, d’artistes et de professeurs d’université nigérians.
La douleur de la perte de ce patrimoine est toujours vive dans la société nigériane. Avec la destruction du Royaume du Bénin et les pillages qui en ont résulté, les Anglais ont tenté d’effacer l’existence d’un peuple avec une histoire aussi digne de respect que la nôtre, le reléguant au service de leur projet d’exploitation coloniale. Dans une vidéo, Joséphine Ebiuwa Abbe, professeure agrégée de théâtre à l’Université de Benin City, récite des chants funéraires en l’honneur deoba Ovonramwen, envoyé en exil par les Anglais après la chute du royaume. Et il explique : « Le sens de ces objets pour moi, c’est l’histoire qu’ils racontent de mon identité et de mon histoire. Ils me ramènent à mes ancêtres et à ce que mon père m’a dit, et mon grand-père l’a dit à mon père. Ils prouvent l’existence de mes ancêtres avant moi.” Le colonialisme a souvent tenté d’effacer la culture des autres pour mieux les asservir. Il est temps de changer de perspective.
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