Les habitants de Thionville ont assisté à un phénomène rare : la démolition d’une des tours symbolisant la partie haute de la Côte des Roses – Bel’Air. Photo Ville de Thionville
Offrir une meilleure qualité de vie aux habitants en réhabilitant leurs quartiers, c’est une priorité pour de nombreuses villes. Les quartiers populaires sont les premiers ciblés avec des démolitions de tours et barres HLM. Derrière ces murs, des histoires individuelles se sont jouées. Alors, comment les préserver ? La réhabilitation du quartier de la Côte des Roses à Thionville s’avère un bon exemple.
Il pleut des cordes, mercredi 15 novembre sur les hauteurs de Thionville. Plusieurs dizaines de personnes ont pourtant fait le déplacement pour assister à un phénomène rare, la démolition de la tour Chevreuil. Le premier pas vers le renouveau de tout un quartier, portée par le dispositif Anru 2 (Agence Nationale pour la rénovation urbaine). D’ici deux mois, l’opération sera réitérée sur une partie de la barre Bécasse. Alors que la pelle mécanique commence le travail, les observateurs commentent. « Enfin », lâche l’un des agents du bailleur social Moselis, « ça fait un an que l’on attendait cela ! ». En effet, le chantier a été repoussé plusieurs fois en raison de squatteurs dans un premier temps, puis de la nidification des oiseaux. Mais désormais, tous les locataires ont quitté le nid et une cinquantaine de logements sont sur le point de s’effondrer.
« À ce rythme-là, on en a pour deux semaines », annonce un autre spectateur de la scène. La démolition se veut progressive. Aucun explosif ne sera utilisé pour faire tomber l’immeuble d’un seul tenant, l’objectif étant de redonner une seconde vie à un maximum de matériaux. Les manœuvres se poursuivent et la pluie n’en finit plus de s’abattre sur le chantier.
Sentiments contradictoires
« C’est le ciel qui pleure », glisse l’une des habitantes du quartier. Elle s’appelle Julie et fait partie de ceux qui ont été relogés pour permettre la transformation du quartier. Alors que la démolition s’effectue pièce par pièce, écrasant au fur et à mesure les différents étages, les sentiments des uns et des autres viennent s’entrechoquer. Certains assistent à la scène, émus. Il n’y a pas de pleurs mais la tristesse et la nostalgie résonnent à chaque nouveau coup de pelle. Une partie de leur vie est ici entre ces murs – parfois quelques mois seulement, d’autres plusieurs dizaines d’années – en témoignent encore les différentes couleurs et motifs de papiers peints qui se distinguent d’un logement à l’autre. Dernières traces laissées par les anciens occupants, il y a maintenant deux ans. Un pan de leur histoire qui est sur le point de s’effacer.
Les habitants de Thionville ont assisté à un phénomène rare : la démolition d’une des tours symbolisant la partie haute de la Côte des Roses – Bel’Air. Photo Ville de Thionville
D’autres voient en cette étape, le renouveau d’un quartier construit dans les années 1950-1960 en plein essor de la sidérurgie, alors même que le nord de la Lorraine se transformait en véritable eldorado pour de nombreuses familles d’ouvriers. Derrière ces immeubles, on retrouve cette histoire si caractéristique au territoire, mais aussi de multiples récits de vies.
Machine à souvenirs
Des histoires que l’on veut conserver. La démolition de la tour Chevreuil est l’élément déclencheur d’un travail de mémoire réalisé par le centre social Le Lierre. Ses équipes vont à la pêche aux souvenirs… Plusieurs habitants sont venus assister à cette démolition et prennent le temps de se confier face à la caméra de Mickaël Stibling, animateur coordinateur du centre social. Des paroles tendres. Ils se revoient enfants, attendant patiemment l’arrivée du facteur. « La tour Chevreuil était un microcosme, tout le monde se connaissait et le rôle du facteur y était très important, il s’intégrait au rituel de la journée. Il y avait une véritable proximité et de la solidarité », rapporte Mickaël Stibling. Ou se remémorent les bons moments passés entre voisins, se souviennent des figures du quartier. Ils sont plusieurs à avoir ressenti le besoin de reconnaître l’une d’entre elles, pas loin de chez eux, lors de relogement. Histoire de ne pas perdre complètement leurs repères.
A l’issue de la cérémonie, les habitants étaient invités à confier leurs souvenirs. Photo Ville de Thionville
À la Côte des Roses, chacune des tours affichait une couleur. Une identité. Le vert venait marquer celle du Chevreuil, mais avant il y en avait d’autres. La façade a évolué au cours des années. Et alors que la pelle mécanique gratte progressivement le vernis, le passé ressurgit. À chaque couche, sa période. Bien des années plus tard, la mosaïque est bel et bien là et propulse ceux qui l’ont connue dans un autre temps.
« Symboliquement, il était important de s’appuyer sur cette destruction pour enclencher la machine à souvenirs et conserver l’âme du quartier », développe Mickaël Stibling, avant de poursuivre : « L’objectif vise à capter des instants de vie, créer du lien et faire cohabiter les différentes histoires de chacun car ce n’est pas parce que l’on quitte un quartier qu’elles doivent disparaître… ». Interroger les gens sur leur histoire, c’est aussi une manière de les accompagner dans une étape qui peut être « douloureuse ».
Mais là conservation de la mémoire de la Côte des Roses va aussi passer par la récupération d’objets. Le centre Le Lierre a lancé une collecte de clichés dans ce sens. « Derrière les photos de famille apparaît la grande histoire du quartier. On y retrouve l’intérieur des habitations, l’environnement général du quartier et ceux qui y ont vécu », explique le coordinateur, lui-même passionné par la pratique. Chaque trace saisie viendra alimenter un livre et peut-être « un petit film », dont le format reste encore à déterminer. Une restitution aux habitants sous forme d’exposition viendra également s’inscrire au sein même du quartier. Une belle manière de tourner la page d’une histoire qui dure depuis près de 70 ans, pour en ouvrir une nouvelle. Le soleil qui réapparaît pour conclure cette première séance de confidences. On ne trouvera pas plus belle manière de symboliser les choses.
2023-11-27 11:00:00
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