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Mon gâteau préféré : ne pas être au régime

by Nouvelles

Les trois couleurs du drapeau iranien témoignent de l’écart entre les valeurs affichées du pays et les actions qu’il mène à l’égard de sa propre population ainsi que dans la considération accordée à ses artistes. Le vert de l’Islam, le blanc de la paix, le rouge du courage. L’étendard de ce courage a été exemplairement Mohammad Rasoulof qui l’a porté en quittant son pays lorsque celui-ci l’a condamné à huit ans de prison pour atteinte à la « sécurité de l’État ». Alors, une fuite clandestine vers l’Allemagne commence, une histoire parallèle surgit qui dépasse parfois son film, Graines de figues sauvagesqu’il présente en survivant quelques jours plus tard au Festival de Cannes. Quelques mois plus tôt, lors d’un autre festival, à Berlin, l’absence du couple scénariste-réalisateur, Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, pour la présentation de leur film Mon gâteau préféréce qui a créé un silence assourdissant. Leurs passeports ont été saisis par le gouvernement iranien. Leur film parle pour eux.

A soixante-dix ans, Mahin, veuve depuis plus de trente ans, mène une existence solitaire. Suite à un déjeuner entre amis, elle décide de partir à la recherche d’un homme. Son cœur s’emballe dans un restaurant, elle vient de rencontrer Faramarz pour une soirée inoubliable.

En choisissant de se concentrer sur deux personnes âgées, pleines de tendresse, le couple de cinéastes s’offre un regard sur l’évolution d’une société, les merveilles antiques, les obstacles du temps présent.

La première fois que nous la rencontrons, Mahin (l’incroyable Lili Farhadpour) est allongée dans son lit. Elle dort avec un masque sur les yeux pour filtrer la lumière du jour. Le téléphone sonne. “Je t’ai dit de ne pas m’appeler demain matin.» À l’autre bout du fil, une réponse inaudible. Mahin reprend «Même à l’heure du déjeuner.« Comme un adolescent, Mahin a l’habitude de s’effondrer en fin de matinée. Qui viendrait la précipiter ? Son défunt mari est parti depuis trente ans, ses enfants ont grandi et sont devenus parents, et la relation est maintenue par le fil téléphonique. Ainsi, dans une danse quotidienne qui répète les mêmes mouvements, Mahin a l’habitude de prendre son thé, d’aller au marché faire ses courses, de tricoter sur son canapé devant des téléfilms au romantisme salivant, et de s’occuper de son jardin, son “seul plaisir». Mahin est une femme qui a pris racine chez elle. Lorsque ses amis lui rendent visite pour le déjeuner, ils échangent des histoires drôles sur les changements de leur corps, plaisantent sur les images de coloscopie, animent les souvenirs libres de leur passé, les anecdotes que l’on décortique comme des blagues. Bien que le dernier cadeau que Mahin ait reçu soit un tensiomètre, ses amis l’invitent à sortir, pour voir dehors si le cœur d’un homme ne tricote pas de doux sentiments.

Cependant, à l’extérieur, le temps change. Discréditée dans l’évolution sociétale, la vieillesse devient un mal mesurable : tous les déplacements de Mahin se font en taxi, n’ayant pas de bus à proximité de chez elle, ne sachant pas utiliser Uber. A l’hôtel/restaurant, une scène cocasse illustre l’inconsidération envers les aînés. Mahin demande la carte pour choisir sa boisson. Le serveur lui dit qu’il doit scanner le QR code. Confus, Mahin demande un café crème. Le serveur lui dit que ça n’existe pas. “Un noyé ?» Gênée, elle demande finalement un simple café. Être vieux, en Iran ou ailleurs, c’est déjà résister. Résister à l’épreuve du temps, au désintéressement d’une société qui met les corps faibles à l’écart, en marge du monde.

Au restaurant, alors qu’elle déambule de rues en parcs, Mahin tombe amoureuse d’un homme moustachu. Il mange, seul à côté d’une table de quatre hommes. Touché et électrifié, Mahin se lance à sa poursuite. Faramarz (Esmaeel Mehrabi) est à la retraite de l’armée, il travaille désormais comme chauffeur de taxi. Elle l’attend, lui propose de le ramener chez elle pour lui voler le doux objet de leurs vœux le soir. La pluie tombe, la tempête gronde. Le sourire béat de leur rencontre s’affiche. Ils sont directs l’un envers l’autre, comme s’ils n’avaient plus de temps pour les bonnes manières, plus de temps à perdre. “La vie est trop courte.»

Tu as l’air jeune” lui dit-il. Avec la passion et le stress de deux adolescents, la courbe de leurs yeux fait le tour de leur cœur. Leurs voix sont douces, leurs regards sont tendres, les compliments sont gratuits. Ce soir-là, le sens est trouvé. Il s’incarne dans l’être à côté, dans l’être qui lui fait face, dans l’être qui prend place. Faramarz veut laisser quelqu’un écouter sa musique, Mahin veut partager les gâteaux qu’elle prépare avec quelqu’un. Au revers de leur pièce, tous deux expriment leur «peur de mourir seul à la maison.» Toute la nuit, l’ivresse de la rencontre les fera baigner dans les attentions de l’autre. Un peu gênés, à distance respectable sur le canapé, leurs corps ne cesseront de se rapprocher dans une tendre complicité. Malgré l’interdiction de consommation, le vin se consomme, la flamme semble attisée. En réparant la lumière de son jardin, il y a un nouvel éclaircissement dans la vie de Mahin qui l’emmène dans la chaleur de la danse où la caméra virevolte avec eux dans les différentes pièces de la maison. Mon gâteau préféré n’est pas Anorales corps sont vieux, la passion est dépourvue de la moindre pulsion sexuelle propre à la jeunesse. Là, une main tendue, un rapprochement en photo, un tête à tête, une douche habillée.

Mon gâteau préféré attache une grande importance aux rencontres tardives et furtives, qui soulagent le corps du poids de l’âge. En cela, la mise en scène classique du film est en phase avec son héroïne. Statique, avec des plans fixes à la maison au départ. Comme des articulations retrouvant leur souplesse, la caméra gagne en mouvement jusqu’à l’euphorie de cette séquence de danse à deux. Ensuite, la désorientation, le brouillard, la stupéfaction, la photo floue. Enfin, le retour des images fixes. En choisissant de se concentrer sur deux personnes âgées, le couple de cinéastes propose un regard sur l’évolution d’une société, les merveilles anciennes, les obstacles du temps présent. L’alimentation joue un rôle essentiel : le déjeuner entre amis est une prise de conscience, le restaurant est le lieu de rencontre, la part du gâteau – un dessert à la fleur d’oranger et à la vanille – est un honneur fait aux fourneaux. Cependant, les différentes étapes du menu sont attendues, s’inscrivant dans un cadre plus conventionnel.

Être vieux, en Iran ou ailleurs, c’est déjà résister. Boire et manger au nez de ce régime, c’est aussi résister, malgré le climat de dénonciation qui règne. Prendre position contre la police morale dans un parc alors que des jeunes filles sont arrêtées pour port incorrect du hijab, c’est encore résister. Faire un film en Iran, presque à huis clos, parce qu’il faut faire preuve d’une certaine ingéniosité, c’est aussi résister. Faire ce film, c’est ne pas être dans un régime, ne pas y appartenir. Et le grand mérite de ce film est de ne jamais résister de front, d’aborder ce thème sans en faire un sujet, de laisser jouer ses personnages dans des situations qui s’avèrent souvent drôles, pleines de tendresse. Comme Mahin, on s’accroche, on résiste à l’idée du pire. Résister, ce n’est pas être détruit, c’est être encore en vie. C’est embrasser pleinement cette vie, c’est la célébrer même dans un cocktail composé d’alcool et de Viagra qui peut brûler à tout moment.

DIRECTEUR: Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha
NATIONALITÉ : iranien
GENRE : comédie dramatique
AVEC : Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi
DURÉE : 1h36
DISTRIBUTEUR : Répartition en Arizona
QUITTER LE 5 février 2025
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