2024-12-18 17:44:00
AGI – Il y a un art qui a eu ses exploits et presque sa singularité à Rome, entre le milieu du XVIIIe siècle et le siècle suivant. Pourtant, un art encore peu connu, bien qu’investigé par certaines études et mis en lumière avec une exposition en 2016 au Musée Capitolin Napoléonien. C’est la discipline de la petite mosaïque, ou « petite mosaïque ». Art appliqué aux meubles, cheminées, objets d’orfèvrerie ; mais de l’art tout court, enfermé dans des cadres précieux. Il reproduit souvent des tableaux très célèbres à petite échelle. Avec un travail minutieux car le sujet est reproduit grâce à l’application de minuscules carreaux en émail filé, qui rendent possible la vibration de la couleur, précisément dans leurs dimensions millimétriques, comme un pinceau. Au point que les « petites mosaïques » sont considérées comme « une peinture pour l’éternité » car « elles ne perdent pas leur couleur ».
Dans cet art exceptionnel, initialement développé dans les laboratoires du Vatican, une femme excellait. Un fait à son tour exceptionnel, puisqu’il met à mal la suprématie totale des mains masculines. Au lieu de cela, Settimia Maffei Marini, qui vécut entre 1778 et 1822, réussit même à être nommée membre honoraire de l’Académie de San Luca. Aujourd’hui, son existence inimitable et oubliée est racontée dans un livre délicieux, « Settimia Maffei Marini, mosaïste romaine » signé par Maria Grazia Branchetti, historienne de l’art, enseignante et experte en mosaïque romaine, qu’elle analyse depuis des décennies, avec des expositions (elle a été parmi les conservateurs de celui du Musée Napoléonien), monographies, essais.
Sur la couverture vieux rose du volume, juste au-dessus du logo de l’éditeur – qui est Gangemi – est précisée la nature de l’ouvrage : roman historique. Et l’histoire de Settimia est véritablement étudiée avec la fluidité du récit, la progression du récit. L’auteur recrée l’atmosphère et le milieu de la ville du Pape Roi, centre du monde grâce à la présence d’artistes, d’intellectuels, de juristes, d’aristocrates, d’historiens, de scientifiques, d’archéologues, ce caput mundi qui est devenu la destination du Grand Tour. L’incipit donne déjà de la consistance au personnage, le révélant comme le rayon de soleil qui illumine le chevalet où travaille l’artiste, dans le studio bien équipé, au Palazzo Pio, sur la Piazza del Biscione, à proximité de de Campo de’Fiori. Ici, elle prend les minuscules carreaux d’émail avec la « cheville » et les insère, délicatement et en toute sécurité, sur le lit de stuc préparé entre autres avec de l’huile de lin. Le regard se pose souvent sur le carton contenant le dessin à reproduire. Un préposé arrive, lui remet une lettre fatale: elle vient de l’Académie de San Luca, présidée par Antonio Canova, et lui annonce l’honneur qui, entre autres choses, la place au même niveau que son mari, le chevalier Luigi Marini, haut représentant de la bureaucratie pontificale ainsi que spécialiste de l’architecture et de la technique militaire, récipiendaire de la même nomination cinq ans plus tôt.
Nous sommes en 1817, il y a trois ans que les Français de Napoléon quittaient Rome, où ils dominaient depuis 1809 (une autre invasion au-delà des Alpes eut lieu en 1798-99, période de la République romaine). Les Marines savaient flotter entre deux époques historiques opposées, fidèles d’abord au pape, puis au préfet français de Tournon – Louis avait été conseiller préfectoral et à Napoléon il avait dédié son Traité d’architecture militaire – puis de nouveau revenus à les bonnes grâces de Pie VII : Cavalier Marini qui avait protégé avec engagement et rigueur l’intégrité de la Bibliothèque Casanatense et Settimia, appréciée même à Paris et louée pour la reproduction des temples de Paestum en micromosaïque sur un décor de cheminée qui lui a coûté deux ans de travail, ce sont des personnages capables de s’adapter aux circonstances, elle est capable de faire des choix artistiques courageux, d’anticiper les tendances. Un sonnet lui est également dédié, dans un climat de grande considération pour les arts, favorisé par la domination française mais aussi par la mission d’Antonio Canova, venu à Paris récupérer les chefs-d’œuvre emportés par Bonaparte, grâce au Traité de Tolentino. .
Branchetti reconstitue avec rigueur et légèreté des épisodes à partir de documents inédits.
Par exemple, il peut retracer de nombreuses productions du mosaïste mais aussi décrire le linge que Donna Settimia apporte en dot lors de son mariage (mariage célébré dans sa paroisse, San Luigi dei Francesi) et la liste n’est pas sèche mais un aperçu de coutumes, riches en détails comme dans la description de la montre remise au marié, un objet « à la mode » créé par le célèbre horloger genevois Isacco Soret. Il rappelle les rosaces tricolores que les jeunes femmes épinglaient sur leur poitrine à l’époque républicaine, signe d’adhésion aux idées révolutionnaires, appréciées avant tout pour l’égalité qu’elles créaient entre les hommes et les femmes. Il évoque, comme dans un décor théâtral, la vie qui fourmille autour du protagoniste : les boutiques des mosaïstes entre la Piazza di Spagna et la Piazza del Popolo où l’artiste achète sans ménagement les émaux (829 nuances de couleurs pour le tableau représentant Zeus), ceux du broyeur, du maccaronaro sous la maison du Palazzo Pio, qui surplombe également Campo de’ Fiori et entend l’agitation du marché aux céréales et aux chevaux, les prières chuchotées devant à l’image de la Madonna del Latte située dans le Passetto del Biscione…
Pendant ce temps, la ville s’enivre d’événements de signe opposé, au cours de huit années mémorables : les 101 coups de canon du Fort Saint-Ange pour saluer la naissance du « Roi de Rome », le fils de Napoléon ; le Moulinet du Château Saint-Ange, le défilé du Pont Milvius et le pont flottant sur le Tibre pour célébrer le retour de Pie VII, dans une émeute d’appareils éphémères conçus par Canova.
Ensuite, il y a la mère attentionnée et tendre Septimia. Et ici le roman-essai prend des teintes sombres, retraçant des événements dramatiques qui justifient son visage voilé de mélancolie, dans sa pensée récurrente, la fugacité de la vie. La fille aînée, Marina, est décédée peu de temps après avoir accouché. Elle donnera naissance à une autre fille, à qui elle donnera le prénom de Marina. Un garçon, Francesco, meurt à l’âge d’un an. Proche de son deuil, Maffei donne naissance à Pietro. Mais alors qu’il travaillait à son œuvre la plus exigeante, la reproduction en micromosaïque de La Cène de Léonard de Vinci, ce fils a également emporté, en vingt jours, une maladie inflammatoire, comme le dit le vague diagnostic.
Nous sommes en septembre 1822, l’atelier où Settimia travaillait dur avec deux assistants reste vide et silencieux, l’œuvre la plus ambitieuse reste inachevée, même si elle est dans sa phase finale. Peu de temps après, en octobre, Settimia devient la proie d’une maladie nerveuse, émettent l’hypothèse des médecins. Dans vingt jours, son existence prend fin. Quant à Pietruccio, funérailles à l’Ara Coeli, également éclairées par les bougies allumées devant. Enfant en bois couvert de bandes et de pierres précieuses, objet de dévotion que depuis 1994 les Romains ne peuvent plus vénérer en raison d’un vol plus que sacrilège. Luigi Marini obtint la vente de la septième chapelle à gauche de Santa Maria in Ara Coeli et y fit ériger par le sculpteur Laboreur le monument funéraire de Settimia et Pietro.
Il est couronné par le buste de la femme, nous transmettant son image, également reproduit dans un portrait gravé par Bystrom (l’un des deux exemplaires est dans la Chalcographie) avec la dédicace “À Settimia Marini, cultrice des Beaux-Arts”. Elle est représentée de profil, avec un nez fin, une bouche petite et gracieuse, ses cheveux rassemblés et retenus en tresse, quelques boucles tombant sur son cou. Mentir, Giacomo Leopardi, dans une lettre à sa sœur Paolina, définit la femme de Marini comme « boiteuse et laide ». Une impolitesse qui s’explique par l’espoir du poète que le riche veuf – qu’il a rencontré et fréquenté lors de son séjour à Rome entre 1822 et 1823 – puisse épouser Paolina. Marini, en revanche, épousa en juillet 1823 une noble veuve, Barbara Clarelli, déjà mère de deux filles. Il lui donnera le titre de marquis et un héritier mâle, encore appelé Pietro.
Ainsi se termine la parabole du mosaïste romain qui a surmonté les préjugés et la méfiance dans la vie et qui sort aujourd’hui de l’oubli. Ses œuvres et celles d’artistes contemporains sont reproduites sur papier couché et en couleurs dans le livre de Branchetti. Et on parlera d’elle en mars au Musée de Rome, lors d’une conférence incluse dans l’exposition “Roma pittrice”, une autre occasion de révéler de nombreuses artistes féminines qui, du XVIIe siècle à l’époque moderne, ont réalisé des peintures et des gravures chefs-d’œuvre, mais mettre de côté une partie dans un monde dominé par des figures masculines.
#Settimia #Maffei #Marini #mosaïste #présence #Pape
1734544448