2025-01-15 23:09:00
Maintenant qu’un cessez-le-feu a été conclu à Gaza, les bombes cesseront de tomber et le monde poussera un soupir de soulagement. Il y aura des célébrations de la paix, même si elles sont temporaires, les nations se féliciteront et les médias passeront à la prochaine crise tendance. Pourtant, pour ceux d’entre nous qui ont survécu, la guerre n’est pas terminée : elle s’est simplement transformée.
Pour nous, la guerre a commencé bien avant le 7 octobre 2023 et se poursuit dans les cendres de ce qui était autrefois notre maison. Le cessez-le-feu mondial est une pause fabriquée de toutes pièces dans nos tourments sans fin. Le monde cherche sa propre solution, une solution rapide pour apaiser la conscience, mais pour nous, le cessez-le-feu n’est qu’un autre moment éphémère dans une longue histoire d’effacement.
Avant la guerre, Sheikh Ijleen n’était pas seulement mon quartier : c’était un univers en soi.
C’est l’endroit où ma famille a planté des vignes et des figuiers pendant des siècles. C’est là que j’ai appris à marcher au milieu des vignes, que j’ai grandi. La tombe de mon grand-père était là, tout comme les visages des voisins dont je me souviens de la gentillesse. Ce n’étaient pas seulement des points de repère ; ils étaient le fil qui tissait ma perception de moi-même. Aujourd’hui, Cheikh Ijleen n’existe que dans ma mémoire. Ce qui était autrefois ma maison n’est plus que des ruines.
Les bombes n’ont pas seulement fait exploser les bâtiments ; ils ont également effacé l’essence de qui nous étions. Les FOI n’ont pas seulement détruit nos maisons : elles ont déclaré nos souvenirs illégaux. Ils ont pris ma rue, les terres de ma famille et même le cimetière où reposent mes ancêtres, et ils ont transformé tout cela en « zone militaire ».
Aujourd’hui, l’endroit même qui abritait mon histoire et mon identité est perdu, enseveli sous des couches de décombres et sous un contrôle militaire froid et indifférent. Les arbres qui nous protégeaient autrefois du soleil d’été sont désormais écrasés et leurs racines sont coupées. Ma chambre, où le soleil couchant peignait les murs de teintes dorées, n’existe plus. Il ne s’agit pas seulement de la destruction d’un lieu ; c’est la destruction de la mémoire, du foyer, de la famille et de l’histoire.
Cet effacement n’est pas un simple effet secondaire de la guerre ; il s’agit d’un effort calculé visant à rompre les liens entre les gens et leur terre, à nous dépouiller de notre identité afin que nous devenions des victimes sans visage et sans nom dans le récit mondial. Le monde n’a jamais demandé notre histoire auparavant, et maintenant il veut se souvenir de nous uniquement sous forme de victimes et de chiffres.
La véritable histoire de Gaza est perdue dans les décombres, éclipsée par les calculs politiques plus larges qui régissent son existence.
Nos souffrances sont rendues digestibles au public international, tandis que les pertes les plus profondes sont cachées sous la surface. Cheikh Ijleen est parti, mais il reste gravé dans ma mémoire, et c’est un souvenir que je refuse de laisser mourir.
La fausse résolution du cessez-le-feu
Alors que le monde célèbre le cessez-le-feu, nous devons nous interroger sur sa signification. Qu’est-ce que cela signifie réellement pour nous à Gaza ?
Ce n’est pas la fin de la guerre ; il s’agit simplement d’une accalmie temporaire de la violence.
Cela ne guérit pas les dégâts causés, ni ne guérit les blessures qui nous sont infligées.
Un cessez-le-feu n’est rien d’autre qu’une performance mondiale, un signal que le monde a fait suffisamment pour apaiser sa propre conscience.
Mais pour nous, ce n’est rien d’autre qu’un entracte dans une tragédie sans fin.
Lorsque les bombes s’arrêtent, le traumatisme ne s’efface pas.
Les rues sont encore en ruines. L’eau empoisonnée circule toujours dans nos corps et les souvenirs toxiques des bombardements persistent comme une maladie invisible.
Nous ne revenons pas à la normale : nous nous adaptons à un nouveau type d’existence, né des ruines de notre passé et de l’incertitude de notre avenir.
Un cessez-le-feu ne supprime pas la perte de maisons, de vies ou de membres de familles. Cela ne ramène pas ce qui a été détruit. Cela ne restaure pas la dignité et ne guérit pas non plus les blessures du déplacement.
Pour le monde, un cessez-le-feu est la fin de l’histoire, la résolution qui permet au public de tourner la page. Mais pour nous, ce n’est qu’un autre silence, un autre chapitre d’une histoire qui ne finit jamais vraiment. Les bombes peuvent s’arrêter, mais les blessures qu’elles laissent continueront de saigner.
Et le silence qui s’ensuit n’est pas la paix, c’est le calme assourdissant de vies laissées dans les limbes, en attendant le début de la prochaine vague de violence.
La communauté internationale réduit Gaza à un événement : un spectacle de souffrance consumé dans les gros titres et les extraits sonores comme si nos vies n’étaient rien d’autre qu’un récit tragique avec une intrigue prévisible. Gaza est devenue une scène où chaque tragédie suit la même histoire : souffrance, point culminant et résolution. Nous sommes dépeints comme des héros, des martyrs, des symboles de la résistance ou des victimes de l’oppression. Pourtant, la vérité est bien plus compliquée.
Notre douleur est réduite à des symboles, notre souffrance traitée comme une image plutôt que comme la réalité brutale de nos vies. Derrière chaque gros titre se cache un être humain qui vit l’inimaginable. Le titre montre l’incendie sans montrer les personnes qui brûlent derrière lui.
Nous refusons de be effacé
Même si le monde se détourne, Gaza refuse d’être oubliée.
Mon quartier, Sheikh Ijleen, n’existe peut-être plus dans le monde physique, mais il vit dans ma mémoire.
Les rues que j’ai traversées, les figuiers qui poussaient autrefois dans mon jardin, les visages de mes voisins sont gravés dans mon esprit et le coucher de soleil sur la mer depuis ma fenêtre est toujours aussi vivant. Je refuse qu’ils soient effacés.
Depuis le Caire, j’entends le bourdonnement des avions civils, et cela me ramène au rugissement des F-16 – le seul type d’avions que je connaissais avant de quitter Gaza.
Les bombardements cesseront peut-être, mais les bruits de la destruction seront toujours avec nous, résonnant dans nos pensées.
Et puis ils parlent de « pause humanitaire ». Comme c’est ironique – comme c’est creux – de qualifier cela de « pause humanitaire » alors que nous avons vécu le cœur même de l’inhumanité.
Comment le monde peut-il parler de pause alors que notre humanité a été brisée, lorsque nos foyers, nos souvenirs et notre existence même ont été systématiquement effacés ?
Comment le monde peut-il déclarer une pause alors que nous devons ramasser les morceaux d’une vie qui n’existe plus, vivre avec les résidus obsédants de ce qui était autrefois le nôtre ?
L’effusion de sang cessera peut-être, mais les taches ne quitteront jamais nos mains. Les corps seront peut-être retirés des rues, mais les images ne quitteront jamais nos esprits. Le monde continuera d’avancer en pensant avoir réglé le problème avec un cessez-le-feu, mais pour nous, ce n’est qu’un mensonge de plus dans une longue histoire d’indifférence.
Gaza n’est pas un problème qui peut être résolu par une pause : c’est une blessure qui ne guérira jamais.
Alors maintenant qu’un cessez-le-feu a été déclaré et que le monde le célèbre, rappelez-vous ceci : le sang ne tachera peut-être plus les rues, mais il tachera nos mémoires. Les bombardements ont peut-être cessé, mais nous l’entendons toujours dans nos oreilles. Le monde pense peut-être que c’est fini, mais pour nous, c’est un cauchemar continu et un fardeau de l’existence.
Roaa Shamallakh
Roaa Shamallakh est une écrivaine indépendante, journaliste, conteuse et spécialiste du marketing numérique originaire de Gaza, aujourd’hui basée en Égypte.
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