Qui sont les Allemands ? Les principaux conflits et lignes de fracture actuels convergent vers cette question. Derrière les débats sur l’immigration, les barrières politiques, la compétitivité économique, la cohésion culturelle ou Donald Trump, se cache un besoin accru de notre pays de s’affirmer. Qu’est-ce qui définit l’Allemagne, intérieurement et extérieurement ? La citation de Goethe, « Aucune nation, et peut-être moins que toute autre la nation allemande, ne s’est formée d’elle-même », ne suffit plus.
Ces questions ont toujours été présentes, influençant les décisions individuelles, collectives et institutionnelles, les projets de vie personnels et les programmes politiques. La situation actuelle est différente. L’économie subit des mutations structurelles, le paysage politique se transforme et les progrès technologiques repoussent les limites de la pensée.L’utilisation inflationniste du terme « tournant historique » en est un signe. Un autre terme est plus approprié.le physicien et philosophe Fritjof Capra a décrit une telle phase comme une « période de transition ».Le théoricien des sciences Thomas S. Kuhn l’aurait qualifiée de « changement de paradigme ». Il s’agit de plus qu’un simple changement, comme l’invention du sac plastique ou de l’ampoule. Il s’agit d’un mouvement vaste et multidimensionnel,dont les éléments constitutifs ne perçoivent pas toujours leur interconnexion. Un véritable changement de mentalité se produit,une nouvelle façon d’appréhender,de reconstruire et d’interpréter le monde. Tout indique que nous sommes dans une telle phase. En soi, ce n’est pas négatif, car cela s’est produit à maintes reprises dans l’histoire.
### L’arrivée des Verts et du G20
Dans les années 1960 et 1970, par exemple, de nombreuses personnes ont commencé à se concentrer sur l’environnement et sa protection, à remettre en question la durabilité des pratiques économiques courantes, l’acceptabilité de l’énergie nucléaire et les limites de la croissance. Simultanément, les femmes se libéraient des rôles qui leur étaient traditionnellement assignés et la perception de la sexualité s’étendait au-delà du mariage hétérosexuel.
Cela s’est accompagné d’un véritable tournant intellectuel. La vision réductionniste, analytique et contrôlante initiée par René Descartes a longtemps dominé. Elle s’est poursuivie dans la physique mécanique d’Isaac Newton, qui s’accordait parfaitement avec la production industrielle de masse et la médecine axée sur la réparation, avec des résultats positifs pour beaucoup.Une autre perspective a émergé, privilégiant la coopération, l’intégration et l’inclusion, reconnaissant l’interconnexion potentielle de tous les éléments. Elle visait à rechercher des solutions qui améliorent la situation de tous ou, au moins, ne la détériorent pour personne.
Cela s’est manifesté dans le domaine politique.Ce courant a submergé les forces établies. bien que ces dernières aient timidement tenté d’intégrer ces thèmes, elles n’ont pu empêcher la formation d’un nouveau parti important, les Verts, qui a fait son entrée et s’est maintenu au Parlement. Un parti qui n’était pas et n’est toujours pas un bloc monolithique d’opinions.
Le monde s’est rapproché comme jamais auparavant, sur les plans commercial, culturel, technique et politique. internet a diffusé des idées et des informations partout, permettant des échanges avec des régions lointaines, même au niveau individuel. Le G20 a rejoint le G7, la Chine a adhéré à l’organisation mondiale du commerce.
celui qui s’accroche à l’idée occidentale des Lumières, considérant le développement comme un progrès linéaire, peut être déconcerté par ces phases de transformation. Celui qui s’inspire d’une philosophie orientale, née en Chine il y a environ deux mille cinq cents ans, pourrait être moins surpris. À cette époque, connue sous le nom de « Période des Royaumes combattants », des seigneurs de guerre se disputaient la domination de ce vaste pays, les frontières et les règles changeant constamment. Des penseurs comme Confucius ou lao Tseu ont décrit les attitudes et les actions utiles face à ces adversités imprévisibles, lorsque la stabilité n’est pas assurée. De là est née l’idée de concevoir le progrès politico-social comme un cycle, une succession de tendances opposées mais interdépendantes (Yin et Yang).Un tel cycle dure souvent des décennies, voire plus.
Le philosophe Capra a transposé ce principe aux deux opposés que sont l’intégration et l’affirmation de soi.
Ces deux tendances sont opposées et pourtant complémentaires. Dans un système sain – un individu, une société ou un écosystème – l’intégration et l’affirmation de soi s’équilibrent. Cet équilibre n’est pas statique, mais consiste en un jeu dynamique (…), ce qui maintient l’ensemble du système flexible et ouvert au changement.
Il est évident que nous sommes entrés dans la prochaine période de transition. Il ne s’agit plus principalement d’intégration, mais d’affirmation de soi, souvent par crainte de ne plus pouvoir s’affirmer. Beaucoup de choses se déroulent de manière opposée à la phase précédente. Il ne s’agit pas d’un seul thème ou d’un seul groupe. Il s’agit de la peur du déclin économique et du dépassement, de la frustration face à une politique migratoire ratée ou à des tracasseries quotidiennes. La croyance selon laquelle une bonne solution doit être compliquée (« ce n’est pas si simple ») est souvent remplacée par un désir de réponses simples, qui ne sont pas nécessairement mauvaises simplement parce qu’elles sont simples.
### Un véritable culte de la personnalité se développe souvent autour de leurs leadersLes institutions établies semblent parfois dépassées. Elles ne sont pas toujours en mesure de répondre aux défis actuels, soit par incapacité, soit par manque de volonté. cela explique l’attrait pour de nouveaux partis ou mouvements qui mettent en avant la démarcation, qu’elle soit géographique, idéologique ou morale. Leur rhétorique ne se caractérise plus par des solutions gagnant-gagnant, ni par la mise en avant du consensus, mais plutôt par l’accentuation des divisions. Dans ce contexte,montrer de la faiblesse est perçu comme une faiblesse.
Un véritable culte de la personnalité se développe souvent autour de leurs leaders. Ce culte contribue à simplifier la complexité et à concentrer le pouvoir et la prise de décision en un seul visage, comme ceux de Xi, Poutine, Modi, Erdoğan, Orbán, Milei ou Trump. De nombreux Européens sont particulièrement choqués par le président américain. Il exprime ouvertement son désir d’acheter le groenland ou la bande de Gaza, voire d’annexer le Canada comme État américain. Il exige le respect, annonce sa supériorité, humilie ceux qui pensent différemment, rejette le langage inclusif, place les décrets au-dessus des compromis, la loyauté au-dessus du professionnalisme et le droit du plus fort au-dessus de l’État de droit. Et il ne le fait pas en tant que dictateur, mais en tant que chef d’État librement élu d’une puissance protectrice traditionnelle, celle qui a autrefois libéré l’Europe des nazis.
trump et son vice-président Vance utilisent un langage d’affirmation de soi que leurs électeurs apprécient. Ils acceptent, voire souhaitent, que le « nouveau shérif en ville » étende les limites de sa fonction si nécessaire. Beaucoup de ceux qui écoutent de l’autre côté de l’Atlantique sont sans voix. Ils ne comprennent pas. Les mots et les repères leur manquent.
Le président allemand Steinmeier a récemment déclaré lors de la Conférence de Munich sur la sécurité que les Américains ont une vision du monde différente de la nôtre.bien que cela ne soit pas tout à fait exact : Steinmeier a une vision du monde différente de celle de Trump, c’est certain. Mais cela ne semble plus être le cas pour de nombreux Allemands et de nombreuses personnes dans d’autres pays européens. Eux aussi sont désormais en mode d’affirmation de soi. Et ils espèrent parfois en l’AfD, le FPÖ, Meloni, Le Pen, Wilders.
En Allemagne, les conservateurs classiques, plus lucides et plus loquaces que la gauche politique, pressentent que ces thèmes ne disparaîtront pas s’ils les passent sous silence.L’Union,dernier grand parti populaire,a fait preuve d’audace lors de la campagne électorale avec Merz,et non plus avec Merkel. Dans une partie croissante du pays, seule la CDU sépare encore l’AfD de la chancellerie.
Le changement est également perceptible dans l’économie, où l’attention se porte inévitablement sur les coûts et les concurrents. La productivité (affirmation de soi) l’emporte sur la neutralité carbone ou les programmes de diversité (intégration), les questions de localisation sur celles de redistribution. Le progrès technologique accompagne également ce mouvement. L’intelligence artificielle rend possible, à une échelle sans précédent, la réduction ou le remplacement algorithmique des processus démocratiques.Elle conduit à ce que les machines deviennent plus humaines et, inversement, à ce que l’homme soit plus facilement pensé comme une machine et donc réduit à une fonctionnalité mécanique.
Ce n’est pas un hasard si les solutions technocratiques sont souvent compatibles avec les régimes autoritaires. L’intelligence artificielle pourrait être, elle aussi, un signe, un effort scientifique mondial commun. Mais ce n’est pas le cas. Elle est plutôt au cœur d’une course à l’armement de plusieurs milliards que personne ne veut perdre, car il est clair qu’il ne s’agit pas seulement d’un succès commercial, mais aussi militaire.
Quelle est la gravité de la situation et comment va-t-elle évoluer ? S’agit-il d’un simple mouvement de correction ou de quelque chose de plus profond ? Combien de temps durera cette période de transition ? Personne ne le sait. L’atmosphère est-elle déjà prérévolutionnaire ? Sommes-nous en 1913 ? Ou même déjà en 1933 ? Sommes-nous aussi des somnambules ? Le nationalisme du début du XIXe siècle est-il un point de référence approprié ? Ou des penseurs antiques comme Platon, Polybe ou Thucydide, qui considéraient les formes de gouvernement changeantes comme le cours naturel des choses, parce que dans chacune d’elles, la cause de son déclin était déjà inscrite et qu’un conflit majeur était inévitable ? Ou la révolution copernicienne ? Les comparaisons significatives qui remontent à l’histoire ne manquent pas. et elles sont toutes utiles.L’Europe a eu le courage d’adopter la vision héliocentrique du monde.Et elle a été assez forte pour prendre au sérieux les droits de l’homme universels comme fondement de ses valeurs. Elle est suffisamment performante pour survivre à cette période de transition.Qu’on ne s’y trompe pas : tout n’est pas parfait en Europe, mais beaucoup de choses le sont.
L’histoire ne se répète jamais à l’identique.Elle n’est pas non plus nécessairement achevée lorsqu’elle a pris la tournure la plus défavorable possible. Pourquoi en serait-il ainsi ? Les inquiétudes de nombreuses personnes dans ce pays sont justifiées et importantes.Mais il n’y a pas lieu d’être complètement découragé. Il semble toujours possible que ce pays trouve dans quelques années une réponse plus satisfaisante à la question : qui sont les Allemands ?
Qui sont les Allemands ? Une Nation en Transition
Table of Contents
L’Allemagne traverse une période de profonde transformation, remettant en question son identité nationale et sa place dans le monde. Les débats sur l’immigration, la politique, l’économie et la culture reflètent un besoin accru d’affirmation nationale. Ce n’est pas un simple changement, mais un “changement de paradigme”, un mouvement multidimensionnel et interconnecté.
De l’Intégration à l’Affirmation de Soi : Un Cycle Historique
L’Allemagne, comme beaucoup d’autres nations, oscille entre deux tendances complémentaires : l’intégration et l’affirmation de soi. Les années 1960-70 ont été marquées par une forte intégration, avec l’émergence du mouvement écologiste et l’évolution des mentalités concernant les questions de genre et de sexualité. Aujourd’hui, on observe un basculement vers l’affirmation de soi, motivé par des craintes économiques, la frustration face à la politique migratoire et un désir de solutions simples.
| Période | Tendances dominantes | Exemples | Caractéristiques |
|—————–|——————————————-|———————————————–|———————————————–|
| années 1960-70 | Intégration, coopération, inclusion | Mouvement écologiste, libération des femmes | Vision holistique, solutions gagnant-gagnant |
| Actuellement | Affirmation de soi, démarcation, simplicité | Montée des partis nationalistes, Trumpisme | Solutions simples, accentuation des divisions |
L’Ascension des Populismes et le Déclin des Institutions
ce basculement se manifeste par une montée des populismes et un affaiblissement des institutions établies, perçues comme inefficaces ou dépassées. Des leaders charismatiques, comme Trump, Poutine, ou Orbán, incarnent cette affirmation de soi nationale, souvent au détriment du multilatéralisme et du consensus. Leur rhétorique est basée sur la division et le rejet de la complexité. L’Allemagne n’est pas épargnée par ce phénomène, l’AfD illustrant cette tendance.
L’Impact de la Technologie et l’Avenir de l’Allemagne
Le progrès technologique, notamment l’intelligence artificielle, accentue cette tendance. La course à l’IA met en lumière la compétition internationale et renforce les instincts nationalistes. L’avenir de l’Allemagne dépendra de sa capacité à naviguer dans cette période de transition, à trouver un équilibre entre l’affirmation de soi et l’intégration, et à préserver ses valeurs démocratiques face aux défis technologiques et politiques.
FAQ
Q : Quelle est la principale problématique soulevée dans le texte ?
R : L’identité allemande face à un contexte de transformation profonde et à la montée du populisme et du nationalisme.
Q : Quel est le concept central de l’analyse ?
R : L’oscillation entre l’intégration et l’affirmation de soi comme un cycle historique.
Q : Quels sont les principaux acteurs politiques mentionnés ?
R : Trump, Poutine, Modi, Erdoğan, Orbán, Milei, Merkel, Merz, et les partis AfD, FPÖ, et autres partis populistes européens.
Q : Quelle est la conclusion générale ?
R : L’avenir de l’Allemagne dépend de sa capacité à surmonter cette période de transition tout en préservant ses valeurs démocratiques.