2023-09-25 20:17:54
Justement, je me suis installé rue de Verneuil, où vivait Gainsbourg, à l’été 1991, quelques mois après sa mort, pour ma première tournée de correspondant parisien. J’ai vu avec émerveillement des déclarations d’adoration (entrecoupées ici et là de bile antisémite) former une toile de graffitis sur toute la longueur de sa maison.
Bientôt, le sort de Gainsbourg m’a eu. J’ai écouté les chansons, pleines d’ironie noire et de fatalisme, qui ont fait de lui une force si perturbatrice dans la société française au cours des décennies précédentes.
Il était le ménestrel hagard des ébats éhontés, en phase avec l’esprit révolutionnaire des années 1960. C’est le subversif au chaume permanent, détesté par les conservateurs français pour avoir osé, en 1979, transformer La Marseillaise, l’hymne national, en un tube reggae, « Aux Armes et Caetera ». Des vétérans paramilitaires contraignent Gainsbourg à annuler un concert à Strasbourg en 1980, avant-goût de la montée de l’extrême droite française.
Il était le Juif qui, dans “Yellow Star”, de l’album “Rock Around the Bunker” de 1975, se moque de son insigne infligé par le bourreau comme d’un prix (“J’ai gagné l’étoile jaune”), ou peut-être de l’emblème d’un shérif, avant concluant : « Difficile pour un juif, la loi de la lutte pour la vie ». Il était l’étranger avec un œil étrange et une prestation grave et plate ; en tant qu’étranger, j’avais beaucoup à apprendre.
Une seule chanson, « Le Poinçonneur des Lilas » (ou le poinçonneur du métro Porte des Lilas), sortie en 1958, propulse Gainsbourg vers la gloire. Décrit par l’écrivain Boris Vian comme « l’essence même de l’art musical et lyrique », il évoque la vie désespérée de « l’homme qu’on rencontre mais qu’on ne regarde pas » dans un lieu où il n’y a pas de soleil. Il fait « des trous, des petits trous, toujours des petits trous, des trous pour les secondes, des trous pour les premières », et rêve enfin de tenir un fusil pour « me faire un petit trou » qui le mènera à jamais dans un grand.
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