A Montauban, l’enfer selon Anne et Patrick Poirier

A Montauban, l’enfer selon Anne et Patrick Poirier
Une installation issue de l’exposition « Un miroir du monde » au Musée Ingres-Bourdelle, à Montauban.

A la fin des années 1960, Anne et Patrick Poirier faisaient des vestiges du port d’Ostia Antica et d’autres ruines romaines leurs sujets. Leurs œuvres semblaient détachées de l’actualité de la création et du monde contemporain, où la griserie technique était à son comble. Apollo 11 venait de se poser sur la Lune, preuve de la toute-puissance du progrès. Rappeler la fragilité des entreprises les plus grandioses, c’était alors prendre l’époque à rebours. Un demi-siècle plus tard, quand la pensée de l’effondrement de la civilisation tourne à l’obsession générale, il est tentant de prêter à leurs premiers travaux une qualité prophétique.

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Les plus récents sont plus inquiétants et explicitement accusateurs, proches d’un tragique que les deux artistes n’avaient encore pas poussé jusqu’à une violence si crue. Ils ont pour cela, dans le cadre de l’exposition « Un miroir du monde », pris possession des étages inférieurs du Musée Ingres-Bourdelle, à Montauban, voûtes médiévales que l’on atteint par un escalier monumental. On aurait pu s’attendre à ce que les Poirier, qui sont passés, comme Jean-Auguste-Dominique Ingres, par la Villa Médicis et ont comme lui la passion de l’Antiquité classique, tirent parti de ces connivences. C’est très peu le cas, à l’exception d’une allusion ironique à La Source (1856), d’Ingres.

Leur première installation, logée dans une vaste niche fermée par une grille, se compose de débris jetés sur les dalles, que l’on distingue à peine dans l’ombre, et d’une phrase écrite en majuscules avec des néons blancs, seule source lumineuse de l’œuvre. Elle dit : « Un monde qui se fait sauter lui-même ne permet plus qu’on lui fasse le portrait. » La citation est de l’écrivain autrichien Hermann Broch (1886-1951) et date de 1945, l’année des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. C’est, exprimée autrement que ne le fit au même moment le philosophe et compositeur Theodor Adorno (1903-1969), la constatation de ce que l’humanité a démontré de quelle inhumanité elle était capable si les moyens lui en étaient donnés par la technique, et que l’irréparable a été commis.

Corbeaux empaillés

Une deuxième pièce se nomme Les Corbeaux du Prince Noirlequel Prince Noir – Edouard de Woodstock (1330-1376) – était le fils du roi d’Angleterre Edouard III et reste dans l’histoire comme un des pires massacreurs de la guerre de Cent Ans, particulièrement en Aquitaine et en Guyenne. Il fit construire à Montauban un château, dont il reste ces salles gothiques, qui portent son nom. Les Poirier dédient une œuvre funèbre à cet adepte de la terreur : les murs sont masqués de panneaux noirs, en haut desquels des corbeaux empaillés sont posés. Ils tiennent dans leurs becs des bouts de papier, porteurs de mauvaises nouvelles pour aujourd’hui, par exemple la montée des eaux.

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2023-09-03 11:00:23
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