Le photographe Oliviero Toscani (1942-2025) – Ansa
Génie photographique et insouciance, notamment lexicale. Énergique, rebelle, infatigable, argumentatif jusqu’à être grincheux, il était pour ses amis les plus proches “un gentil canaille”. Ceci et bien plus encore était Oliviero Toscani, le cliché humain et pour certains “immoral”, mais dans l’album de son existence on trouve toujours le regard d’un homme juste. A 82 ans, il en aurait eu 83 le 28 février, le photographe milanais s’en va pour toujours, à cause de cette terrible maladie qui l’a consumé en très peu de temps, l’amylose. « En pratique, les protéines se déposent sur certains points vitaux et bloquent l’organisme. Et tu meurs. Il n’y a pas de remède», a-t-il déclaré dans la dernière interview touchante accordée à Elvira Serra pour le Corriere della Sera qui est allé lui rendre visite dans son refuge de la Maremme. La « tanière du loup solitaire », où il le trouva blessé par la maladie qui l’avait réduit à l’état de squelette. Il avait fait ses dernières confessions à « son journal », le journal de toute la famille Toscani. Même si nous aussi avions une place privilégiée dans sa revue de presse Avenir.
Mais on parlait d’Oliviero sur le terrain. Un génie précoce, pratiquement né avec une voiture autour du cou. C’était un fils de l’art, son père Fedele Toscani fut l’un des photojournalistes historiques de Corriere della Sera. Et juste à Corrierone à 14 ans, à la suite de son père, on lui fait signer sa première photo. Il l’a emporté à Predappio pour l’enterrement de Benito Mussolini. Ce premier cliché signé Toscani jr était le portrait au cœur brisé de la veuve du Duce, Donna Rachele, qui assistait à la cérémonie. Un souvenir indélébile dans l’esprit du talent qui, après son apprentissage domestique, a obtenu son diplôme de photographie à la prestigieuse Kunstgewerbeschule de Zurich sous l’œil zoomé du maître Serge Stauffer. Spécialiste des photos d’œuvres d’art, un côté que le jeune Oliviero a décliné sous la rubrique “art publicitaire”, devenant bientôt un pionnier puis un leader, une référence pour tous les photographes du secteur jusqu’à nos jours. Son cœur n’est pas toujours tendre, pourtant il a réalisé sa première campagne pour la crème cœur d’Algida. Nous sommes au début des années 70 et l’image de filles, mannequins parisiennes, dégustant allègrement le cornet en pédalant sur des tandems fait le tour de la planète. Un passe-partout pour commencer à travailler avec les magazines qui comptent : Elle, Voguetant dans la version masculine que féminine, gagnant la confiance de Chanel et de ses amis stylistes, Valentino et Fiorucci.
En 1979, à la Mostra de Venise, Toscani, âgé de moins de 40 ans, était déjà un maître à qui l’on pouvait confier un séminaire sur la photographie scénique et publicitaire. Les années 80 seront celles du duo Benetton-Toscani. Les campagnes qui ont fait de lui le photographe italien le plus populaire, le plus aimé et payé mais aussi le plus discuté de l’univers. Un demi-siècle de partenariat avec Luciano Benetton, qui s’est terminé en 2020, qui s’est consumé en images polychromes qui ont toujours fait débat, inaugurant un genre : le “Toscan Shockvertising”. Portraits et photos de groupe à fort impact, images nues et brutes, parfois irrévérencieuses et irritantes, voient le baiser sacrilège entre la religieuse et le révérend. Mais l’hérétique Oliviero du “tu es laid et vieux !” de la parodie de Fiorello, il était aussi une âme gentille, éthique et profondément civilisée. De tous les portraits des puissants du monde et des rencontres qui en découlent racontées dans son autobiographie Je les ai fait de toutes les couleurs (Le navire de Thésée) dont il n’était pas particulièrement fier, alors qu’il était fier de ces campagnes de solidarité contre le sida. Même s’il croyait que l’œuvre la plus « politiquement » passionnée et accomplie était celle créée à Sant’Anna di Stazzema lorsqu’on l’a appelé pour commander la commémoration du 60e anniversaire du massacre nazi-fasciste.
Politiquement incorrect, cynique et « situationniste », comme le dit le sous-titre de ses mémoires. S’il le faut, c’est un homme sensible jusqu’à l’épuisement, comme le démontre le projet photoanthropologique “Race humaine” avec qui, après avoir travaillé dans une centaine de municipalités italiennes, il avait tenté d’ouvrir un dialogue, au moins « éthique-artistique » entre Israël et la Palestine. La tentative extrême de l’anarchiste Toscani, fier d’avoir toujours travaillé “sans patron ni salaire fixe”. Un homme libre, même devant Dieu parce qu’il croyait (s’absolument) qu’il était “en règle avec le Père éternel” et que la plus grande leçon de sa vie ne lui était pas donnée par la photographie, “mais par Don Lorenzo Milani”. Jusqu’à la fin, le “Professeur Toscani” a reçu des lettres du monde entier et tant qu’il a pu répondre, il a envoyé son message franc et sincère comme un homme toujours ouvert à tout et partial peut-être seulement devant son Bien-Aimé. L’Inter, une passion partagée avec son ami fraternel Massimo Moratti. L’un des nombreux qui le pleurent aujourd’hui avec l’amour de sa vie, sa dernière épouse Kirsti, ses enfants Alexandre, Olivia, Sabina, Rocco, Lola et Ali et les seize petits-enfants, dispersés à travers le monde, qui comme les enfants du United Colors of Benetton représente ceux de la France, des États-Unis, de la Suède et de la Norvège par nationalité. Avant de partir, il a avoué qu’il n’avait pas peur de la mort, mais à une condition : « Tant que ça ne fait pas mal ».
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