Aidons-les à grandir. Par Peppe Dell’Acqua – Forum sur la santé mentale

Aidons-les à grandir.  Par Peppe Dell’Acqua – Forum sur la santé mentale

L’Union des étudiants universitaires (Udu) et le réseau des collégiens ont présenté un projet de loi à la Chambre des députés pour établir des services psychologiques dans toutes les écoles et universités. Ils sont également soutenus par divers membres de l’opposition, du Pd au M5, mais les étudiants réitèrent : “C’est une bataille sans couleur politique, car elle concerne tout le monde”.

Il y a quelques jours, j’ai lu cette nouvelle. J’aimerais trouver un moyen d’en parler, précisément avec ces jeunes. Les experts en la matière sont nombreux et ont complètement envahi le terrain. Ils ressemblent aux virologues d’il y a quelques années. Une médicalisation impitoyable.

Les garçons et les filles qui essaient de trouver leur chemin affrontent des chemins accidentés et caillouteux et se donnent à fond. Plus ou moins, vous vous retrouvez à naviguer sur des mers tantôt orageuses tantôt calmes.

Il appartient à nous tous, hommes et femmes, le souvenir et les tourments de l’adolescence. Si quelqu’un me demandait, par magie, de retourner à un autre âge de la vie, maintenant que je vis ma vieillesse, je n’aurais aucune gêne : tout sauf l’adolescence. Je ne peux m’empêcher de me souvenir du sentiment d’inadéquation que j’éprouvais dans la cour des bâtiments des cheminots lorsque je rencontrais mes camarades et camarades. La sexualité nous interpellait et les découvertes que nous nous communiquions en secret étaient des motifs d’effroi, de culpabilité, de bonheur éphémère, de tristesse tenace incompréhensible.

Combien de fois ai-je senti mes compagnons loin, le regard de mes compagnons inaccessible, combien de fois ai-je ressenti le vide et dans mes rêves et mes rêveries j’ai imaginé tous mes amis dans la cour en deuil à mon enterrement. Nous avons enduré des professeurs distants, la terreur du questionnement, des prêtres pointant du doigt. Je pourrais continuer.

Malgré tout ce que nous avons grandi, nous avons construit des défenses, plus ou moins adéquates.

Je ne peux m’empêcher de me souvenir que ma grand-mère, qu’on appelait “la maîtresse”, je passais les plus beaux jours de mes étés avec elle, face aux inquiétudes des mères du village, qui allaient demander conseil, elle rien d’autre qu’écouter, “laissez-le grandir”, a-t-il dit à la fin. J’aimerais qu’aujourd’hui, face aux certitudes de tant de commentateurs, de médecins, de psychologues, de journalistes et d’amateurs de clichés, nous puissions dire « laissez-les grandir » avec la sagesse d’une grand-mère. Il suffirait d’avoir sous les yeux, pour n’en citer qu’un, Panorama d’il y a quelques mois : une génération dévastée par l’anxiété, les problèmes mentaux, les troubles alimentaires, le suicide, les psychotropes, le harcèlement, les familles désespérées, l’identité sexuelle liquide…

Laissez-les simplement grandir. Des hôtes agressifs de psychologues et de neuropsychiatres sont là en embuscade, prêts à chaque respiration dell’adolescente difficile trouver des mots qu’ils prononcent avec une légèreté irresponsable. Ce sont les diagnostics du manuel diagnostique statistique de la psychiatrie qui ne fait que produire des noms de maladies pour couvrir cette condition de la vie, la plus riche, la plus douloureuse, la plus productive, d’un voile sombre. L’intérêt crié pour cette condition fait de « l’adolescent » un objet, le détruit, lui vole ses silences et ses paroles. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de rapporter ici tous les mots qui se retrouvent dans les journaux, qui se font entendre à la radio, à la télévision. Des choix éditoriaux entiers suivent les déclarations les plus alarmées et les plus acritiques de la psychologie et de la psychiatrie. Recommandations péremptoires : « ne le perdez pas de vue » ; « enregistrer tout ce qui vous semble étrange » ; “Parlez au psychologue dès que possible”. Des cris d’alarme qui sèment le désespoir, créent des distances, de l’isolement alors que garçons et filles n’attendraient rien d’autre qu’au moins “un prêtre avec qui bavarder”.

J’ai l’impression que le seuil de tolérance à la douleur pour un échec, pour une mortification, pour un abandon momentané s’est abaissé. Peut-être que même les parents trouvent très difficile de supporter la distance qui se produit naturellement avec leurs enfants en pleine croissance. Un garçon ou une fille peut même avoir le sentiment de haine envers ses parents alors qu’il s’apprête à partir obstinément silencieux et les parents effrayés sont naturellement tentés de chercher un mot qui explique, un diagnostic qui déculpabilise, quelque chose qui permette d’imaginer une possibilité de guérison. Et il se trouve que beaucoup, surtout parmi ceux qui ont la responsabilité de gouverner, sont prêts à écouter, et avec les conseils d’experts, ils proposent des lits dans les services de neuropsychiatrie (qui sont le plus souvent des lieux horribles), ils délèguent à la “voie psychothérapeutique » qui semble devoir tout résoudre. Récemment on a même pu penser qu’un peu d’argent, la prime psychologique, dépensé pour une rencontre avec le psychologue, aurait atténué “le malaise des jeunes sortant du Covid”. Nous avons fait de la pandémie la cause et la conséquence de tout.

Au cours de toutes ces années, j’ai appris à penser que ce qu’on appelle l’adolescence est un torrent tumultueux qui coule en aval et risque de faire des dégâts irréparables : s’étendre, casser, envahir, se perdre en terrain marécageux. Il y a toujours le risque de vouloir dominer la véhémence du torrent avec des barrières, des barrages, des dénis. Il arrive plus fréquemment, dans une dimension d’écoute et d’attention, que l’on pense à endiguer. Des remblais qui prennent en compte le cours naturel de ce cours d’eau, cette tortuosité singulière, les aléas de l’avènement de cette histoire.

Les garçons et les filles, les garçons et les filles qui vivent le sort du trouble mental, de la limitation, de l’incapacité, de ne pas pouvoir être en couple ont certainement besoin de soins, de regards attentifs et conscients, de regards capables de rassurer, de proposer des images du futur. À la fois biologiques et psychologiques, comme à l’appui de vie quotidienne ordinaire. Et même pour ceux-là, surtout pour ceux-là, le « laisser pousser » rassurant de ma grand-mère, c’est ce que les meilleurs groupes de travail, psychologues, éducateurs, neuropsychiatres, essaient de faire sans même penser un seul instant à un lit, un de confinement, dans des services sans robinets, lustres, douches, tables, lits cloués au sol, où le « danger » domine dans tous les recoins. On ne sait jamais ce que ces jeunes peuvent faire !

L’inconfort des jeunes exigerait une attention singulière, des investissements originaux et impensables. Alors pourquoi ne pas appliquer toutes les connaissances acquises jusqu’à présent et les nombreuses bonnes pratiques ? Qu’en est-il des expériences communautaires? Qu’en est-il de l’aide par les pairs? Et les lieux où de jeunes éducateurs, soignants et formateurs motivés imaginent et mettent en œuvre des programmes insolites et personnalisés ?

Pourquoi au lieu de services de neuropsychiatrie et de primes psychologiques, n’imagine-t-on pas des interventions dans la communauté, dans les banlieues, dans les lieux des garçons et des filles ?

Pourquoi des ressources bonus ne sont-elles pas investies pour rendre les banlieues belles et attractives, les espaces sportifs, les oratoires, les lieux de musique, de théâtre, d’écriture, voire rien ? Et pourquoi ne pas penser à un gros, immense investissement qui a l’école pour principal objet et tourment ? Quand les travailleurs scolaires pourront-ils être payés comme tous leurs collègues européens ? Pourquoi nos écoles ne peuvent-elles pas devenir les plus beaux endroits de cette région ? Des lieux à désirer et à vivre pour les garçons et les filles ? Pourquoi une école primaire, primaire ou primaire ne peut-elle pas rester ouverte et accueillante du matin au soir ?

Aujourd’hui encore, de jeunes opérateurs, étranges et inimaginables, des services publics, des coopératives sociales imaginatives, des associations de parents, ont montré comment l’impensable peut devenir réalité. Partout, même à Scampia.

C’est de santé mentale collective dont nous avons besoin.

mardi 28 mars 2023

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.