Un nouvel ouvrage de Christian Kracht est un événement. Trente ans après « Faserland », l’écrivain suisse explore de nouvelles voies avec son roman « Air ». Il nous plonge dans les abysses de notre civilisation et tente de répondre à la question de savoir s’il existe une vie après la mort.
Dans le firmament du cosmos Kracht, ce nouveau roman se dresse tel une comète, un intrus qui ne révèle son appartenance qu’au second regard. Il apparaît froid et abrupt, mais il recèle tout ce qui fait l’essence de Kracht, à travers tous ses romans, de « Faserland » à « Eurotrash »: le voyage initiatique, la plongée dans le fantastique, une poésie élégiaque qui fait scintiller les phrases, le sentiment profond d’une vanité étouffante et, quelque part au loin, une lueur d’espoir.
Un homme du nom de Paul a acquis une maîtrise considérable dans l’art de disparaître. Il vit seul à Stromness, en Écosse, dans les îles Orcades. Les premières phrases du roman évoquent d’emblée l’intemporalité : « La vie était pleine de soucis, mais pas vraiment non plus. C’était une époque où beaucoup de choses étaient acquises rapidement, puis oubliées aussitôt. »
Énigme. Ces soucis sont-ils réels ou non ? Ou le « pas vraiment non plus » suggère-t-il que ce qui suit est pure invention ? Tandis que le « C’était une époque » semble à un cheveu du « Il était une fois » des frères Grimm, la seconde moitié de la phrase pourrait passer pour un état des lieux du capitalisme. Un conte de fées de notre époque, donc ?
Paul est une sorte d’architecte d’intérieur (comme l’était le narrateur dans « 1979 »), spécialisé dans la recherche du rouge parfait pour les salons de ducs pointilleux, ainsi que dans la rénovation de maisons vidées de leur âme, où les planches de bois patinées ont cédé la place à un parquet en plastique avec chauffage au sol, afin de les rendre suffisamment attrayantes pour que des acheteurs fortunés tombent amoureux de cette simulation d’aura. Il déroule de vieux kilims ou des tapis en laine de mouton,« et quand le photographe arrivait,il arrangeait soigneusement des branches de rhododendrons orange dans des cruches en terre ».
« Dans ce monde d’une absence de distance honteuse »
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Paul n’a que faire de ces emplois, comment pourrait-il en être autrement pour ce solitaire minimaliste qui rêve, même à Stromness, de s’installer à Fair Isle, « plus au nord-est, au milieu de la mer ». Là-bas, les nouveaux arrivants ne sont acceptés qu’après cinq générations. « Et c’est ainsi que cela devrait être, en réalité », pense Paul, « dans ce monde d’une absence de distance honteuse, Instagram et les horreurs de l’architecture vernaculaire. » Il est abonné au magazine « Kūki »,qui se consacre à « l’exclusion »,« le dernier ceci,l’unique cela ». Des reportages sont consacrés à des fabricants de brosses japonais,et même la boulangerie des Orcades s’y est retrouvée avec reconnaissance.
Par hasard, un courriel arrive : « Kūki » sollicite les services de Paul. Le center de données Green Mountain, à Stavanger, en Norvège, serait l’un des grands centres de mémoire de l’humanité. Des trillions de photos de naissances, d’accidents de réacteurs et de chatons y seraient stockées sur des disques durs, des « essaims de souvenirs », peut-être une forme de vie éternelle. Il s’agirait de peindre cette cathédrale de la Mnémosyne métaphysique dans un « blanc parfait, unique ».Paul se met en route,chaussé de chaussettes de laine.
Bientôt, il erre avec dévotion dans ce cabinet de miroirs high-tech. Soudain, une tempête solaire frappe la Terre. La déflagration de rayonnement électromagnétique s’abat de manière dévastatrice sur les semi-conducteurs et grille toute l’électronique. La poétique de Kracht s’oriente alors vers la loi naturelle : « Un événement suivait l’autre », est-il écrit, « car les histoires étaient aussi indestructibles dans l’espace-temps que la matière et l’énergie. » Il faut savourer ce troisième principe de la thermodynamique, jusqu’alors inconnu. Il fait en sorte que Paul disparaisse, non seulement de Stavanger, mais du monde, pour réapparaître dans un autre.
les chapitres sont montés en parallèle ; à un chapitre à Stromness ou Stavanger succède un autre qui donne l’impression d’être plongé dans l’un des romans de « Terremer » d’Ursula K. Le Guin. Dans un « magicien » anonyme, nous reconnaissons peu à peu Paul. Il a une arme en céramique dans ses bagages, semblable à celle dont le plan de construction est présenté par impression 3D dans une brochure que Paul a emportée à Stavanger. Elle s’avère être une version actualisée du fusil de Tchekhov, cette arme proverbiale qui doit être tirée tôt ou tard. Une blague en douce, le summum de ce que le roman austère s’autorise en matière d’humour.La brochure provient d’une station de troc de livres sur le chemin de la boulangerie au levain des Orcades. C’est là que Paul a également emporté un exemplaire des « Frères Cœur de Lion ». D’une certaine manière, « Air » est un remix du roman de Lindgren, avec ses motifs d’amitié indéfectible et de consolation face à la mort. Chez Lindgren, un frère mourant suit l’autre dans un monde dont on dit qu’il n’est qu’une étape dans une ronde infinie de mort et de renaissance.
Le submergé comme marchandise
Dans le monde où Paul se retrouve, le soleil se lève à l’ouest, c’est pourquoi il s’enfuit dans la mauvaise direction, presque dans les bras du duc qui règne cruellement sur ces terres. Heureusement, la jeune Ildr s’en aperçoit à temps. Elle n’a que neuf ans, comme le petit Krümel des « Frères Cœur de Lion », et c’est une orpheline. Ensemble, ils se mettent en route, un couple disparate, mais résolument liés comme le narrateur d’« Eurotrash » et sa mère mourante.
Les dialogues des deux personnages ressemblent également à ceux du dernier livre de Kracht. Ils échangent des phrases simples d’une profondeur poétique. Tout devient de plus en plus plat, constate Paul. Et c’est vrai ; à travers un désert de pierre, ils atteignent un autre désert de glace. De là s’approche une vieille connaissance : Cohen, le chef de « Kūki ». Il est mort de sa propre main et s’est mis en route pour le pays de Nangijala, comme on l’appelle chez Lindgren. Sa revue raffinée pour éviter la monstrueuse postmodernité, il l’a compris, n’était toujours que sa ruse, « pour pouvoir proposer à nouveau le submergé comme marchandise, mais au centuple du prix ». Le mieux serait de « simplement se suicider ».
« Air » a quelque chose d’un appel à l’aide. L’ici-bas,entièrement transformé en marchandise,est tellement moins attrayant que le pays de rêve inventé au-delà du seuil de la mort. S’il avait fallu un dernier chant du cygne pour la pop littérature,ce serait celui-là. Mais malgré toute la lassitude et la vanité qui imprègnent l’atmosphère comme la peste qui a emporté la mère d’Ildr, des phares de consolation semblent sans cesse s’allumer.
Il y a la pluie, qui guérit les blessures, rajeunit les vieillards et ressuscite les morts. Ou les amitiés avec Cohen, Ildr et une chienne fidèle.Lorsque Cohen échoue au pays de la glace éternelle, un petit bateau à rames l’attend, portant le même nom que celui que Paul possède à Stavanger : Dóchas, espoir en irlandais.« air » est dédié à Frauke, la femme de Kracht, et à sa fille Hope Elizabeth. C’est ainsi que les motifs s’entrelacent.
Le poème de William Butler Yeats qui précède le roman, « The Song of Wandering Aengus », s’inscrit dans cette lignée. Le je lyrique est un vieil homme. Autrefois, il a fait de la magie et a transformé une truite de rivière en une petite fille, scintillante, des fleurs de pommier dans les cheveux. depuis, il erre, à la recherche de cette épiphanie jamais fanée.le ton maintient l’équilibre entre la vanité de l’entreprise et le bonheur serein qu’une telle beauté soit possible.
Air, le nouveau roman de christian Kracht : une exploration poétique de la vie et de la mort
Le dernier roman de Christian Kracht, Air, est un événement littéraire. Trente ans après Faserland, l’auteur suisse explore de nouvelles voies, plongeant dans les abysses de notre civilisation et interrogeant la possibilité d’une vie après la mort. Ce récit initiatique, empreint d’une poésie élégiaque, est un conte de fées contemporain qui explore les thèmes récurrents de l’œuvre de Kracht : le voyage, le fantastique, la vanité et, paradoxalement, l’espoir.
L’histoire de Paul, l’architecte du disparu
Le roman suit Paul, un homme maîtrisant l’art de disparaître, vivant seul aux îles Orcades.Spécialisé dans la rénovation de maisons pour riches acheteurs, il façonne des espaces vides de sens, une métaphore de notre société consumériste. Son désir de s’installer à Fair Isle, où l’intégration nécessite cinq générations, souligne son rejet de la proximité forcée et de la culture numérique omniprésente.
Une mission métaphysique au cœur d’un centre de données
Sollicité par le magazine Kūki,dédié à l’exclusion,Paul se rend au centre de données Green Mountain en Norvège,un immense dépôt de souvenirs numériques. la mission : peindre ce lieu en “blanc parfait”. Une tempête solaire frappe la Terre, détruisant l’électronique et propulsant paul dans un monde alternatif, inspiré de l’œuvre d’Ursula K. Le Guin.
Un voyage onirique et les échos de Frères Cœur de Lion
Dans ce nouveau monde, Paul rencontre Ildr, une orpheline de neuf ans.Leur voyage à travers des déserts de pierre et de glace évoque une amitié profonde, à l’image de celle dépeinte dans Frères Cœur de Lion d’Astrid lindgren. Le roman de Kracht, tel un remix de l’œuvre de Lindgren, explore les thèmes de l’amitié indéfectible et de la consolation face à la mort, la renaissance et le cycle éternel de la vie. Le personnage de Cohen, rencontré dans ce nouveau monde, critique la marchandisation du “submergé”, reflétant une désillusion face à la société contemporaine.
un appel à l’espoir malgré la vanité du monde
Air se présente comme un appel à l’aide, une réflexion sur la vanité d’un monde entièrement marchandisé. Malgré la lassitude et le désenchantement, une lueur d’espoir persiste à travers la pluie bienfaisante, les amitiés nouées et le bateau nommé Dóchas (espoir en irlandais). Le roman, dédié à la femme et à la fille de Kracht, trouve une résonance poétique dans le poème de Yeats qui le précède.
tableau récapitulatif : Thèmes et comparaisons dans Air
| Thème | Description | Liens avec d’autres œuvres |
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| Disparition | Maîtrise de l’art de disparaître | Personnage de Paul, thème récurrent de l’œuvre de Kracht |
| Voyage Initiatique | Déplacement géographique et spirituel | faserland, Eurotrash |
| Fantastique | Monde alternatif, tempête solaire, magie | Ursula K. Le Guin, Terremer |
| Consumérisme | Critique de la société de consommation | La rénovation des maisons pour les riches |
| Mort et renaissance | Cycle de vie et mort, espoir de rédemption | Astrid Lindgren, Frères Cœur de lion |
| Amitié | Liens profonds, consolation | Relation Paul/Ildr, lien avec la mère dans Eurotrash |
| Vanité/Espérance | Alternance entre désespoir et consolation | Présence récurrente dans l’ensemble de l’œuvre |
FAQ
Q : Quel est le thème principal d’Air ?
R : L’exploration de la vie et de la mort, et la quête d’espoir dans un monde consumériste et désenchanté.
Q : À qui est dédié le roman ?
R : À Frauke, la femme de Kracht, et à sa fille hope Elizabeth.
Q : Quelles sont les influences littéraires notables ?
R : Ursula K. Le Guin et Astrid Lindgren.
Q : Quel est le style d’écriture de Kracht dans Air ?
R : Poétique, élégiaque, avec une alternance entre prose austère et moments oniriques.