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Amadou Doumbouya : un amour viscéral pour la peinture… – Le fourre-tout intelligent

Amadou Doumbouya : un amour viscéral pour la peinture… – Le fourre-tout intelligent

2024-06-26 13:00:03

Amadou Doumbouya est un jeune peintre d’origine guinéenne installé avec sa mère en Côte d’Ivoire. Je l’ai rencontré il y a quelques années, un matin, alors que le soleil était haut dans le ciel. Je sortais de la cité Palma, aux portes de Bingerville. Amadou avait exposé ses tableaux à l’entrée de la cité. Attirée, curieuse et admirative de tout ce qui a trait à l’art, je me suis approchée…

Dans cette interview qu’il m’accorde, Amadou s’exprime sur son amour viscéral pour la peinture, les difficultés de son parcours, ses traumas ainsi que son admiration pour Maître Stenka.

D’où t’est venu l’amour, la passion pour la peinture ?

Mon papa est calligraphe. Dans ma famille, nous sommes des forgerons et des artisans. Les femmes fabriquent les pagnes africains et les hommes les fusils, les dabas… J’étais un enfant très curieux. Je voulais savoir et comprendre les choses, je n’étais pas concentré à l’école. Je ne faisais que dessiner, à l’école.

Les week-ends, j’allais dans la grande famille pour regarder les forgerons à la tâche. J’avais soif de quelque chose, mais je ne savais pas que c’était la peinture… Je faisais beaucoup de choses pour essayer de me satisfaire, mais je n’étais pas satisfait. Un jour, j’ai vu des tableaux d’art dans le téléphone de mon papa. Il me les a montrés. J’ai été impressionné, mais j’ai en même temps ressenti un peu de jalousie. Je continuais à dessiner tout ce qui me plaisait. Je motivais également mes amis à fabriquer des choses. Lorsque je suis venu en Côte d’Ivoire, j’ai découvert les tableaux d’art.

Un jour, je suis allé à Playce. L’enseigne venait d’ouvrir à la Palmeraie. Je voulais acheter quelque chose et j’ai vu un tableau. Je crois qu’il a été peint par une femme… Lorsque je l’ai vu, je me suis arrêté, et mes larmes se sont mises à couler. Un monsieur s’est approché de moi et m’a demandé pourquoi je pleurais. Je me suis plaint de ne pas pouvoir faire autant que la personne derrière le tableau… Le monsieur m’a regardé, m’a souri, m’a embrassé et m’a dit : « Ne t’inquiète pas, ça va aller. »

Avant de reparler de peinture, une anecdocte sur ces moments de création avec tes amis ?

Je me souviens qu’un jour, nous sommes allés dans une maison inachevée et avons subtilisé du bois pour fabriquer des voitures. Nous en avions l’habitude, mes amis et moi. Nous faisions des cotisations pour acheter de vieilles motos et en retirer les moteurs pour fabriquer des voitures. On a eu droit à des corrections pour cela. Un jour, on nous a même accusés d’avoir subtilisé du bois d’une valeur de neuf millions de francs guinéens… Et un monsieur qui avait vu nos inventions et qui les avait aimées nous avait tout acheté. Ce jour-là, mon papa avait dit qu’il n’allait pas me taper, mais lorsque nous sommes arrivés à la maison, il a fait le contraire (rires).

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Sur la voiture que nous avions fabriquée, j’avais écrit : R G 15. C’était devenu mon surnom au quartier et tout le monde se moquait de moi, mais je n’ai pas abandonné.

On comprend que tu es tombé très tôt amoureux de la peinture. Comment s’est passé ton apprentissage ?

J’ai beaucoup aimé la peinture, mais je vous avoue aussi que je n’étais pas stable dans les ateliers de peinture… Partout où j’allais apprendre la peinture, on me criait dessus, on me disait des choses qui m’énervaient et je partais de là…

Dans mon enfance, j’ai été traumatisé. Je n’ai pas vécu avec ma maman… J’ai vécu des choses… Lorsque je suis venu en Côte d’Ivoire, je ne voulais plus revivre la même souffrance. Lorsque l’on me crie dessus, cela me traumatise, je tremble, j’ai peur et je n’arrive pas à me concentrer, à travailler. Voilà pourquoi j’ai abandonné mon apprentissage dans plusieurs ateliers.

Comment est né ton premier tableau ?

Je travaillais avec un monsieur. Il m’apprenait la peinture, mais il me disait des choses comme : « Toi, tu es maudit, tu ne peux pas être peintre. Ce serait mieux que tu deviennes manawa (aide-maçon) ou apprenti-gbaka. » Tout cela m’a tellement touché… J’ai beaucoup travaillé pour lui, mais il n’a pas été reconnaissant. J’ai travaillé sous la pluie… c’était un atelier avec une clôture en bambou, non couvert.

Un jour, nous sommes allés peindre un bâtiment et je suis tombé malade par la suite. J’ai passé deux semaines à la maison… il ne m’a pas visité, il ne m’a pas appelé. C’est ainsi que je n’y suis plus retourné et j’ai dit à ma maman que j’allais commencer à faire mes tableaux et que je voulais être peintre. Ma maman n’avait pas de moyens pour me soutenir. Elle est enseignante de classe maternelle. C’était les vacances. Je n’avais pas cours. J’ai commencé à faire des travaux d’aide-maçon. Je gagnais 3000 FCFA la journée, remettais 2000 F à maman et gardais 1000 F jusqu’à pouvoir payer mes premiers pinceaux et pots de peinture.

J’ai fait des toiles. J’ai exposé mon premier tableau. Il y avait un masque au milieu du tableau. Chez nous, on taille le bois, on fait des statues. Je connais un peu les secrets de cet art. Les gens ont eu peur du tableau. Je n’ai pas pu le vendre avant longtemps. J’ai fait d’autres tableaux et ceux-là, les gens les ont plus vite achetés.

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J’ai vraiment aimé mon premier tableau. C’était la preuve que j’avais confiance en moi et que Dieu allait exaucer mes prières.

Certains jours, j’ai dormi dehors avec mes toiles. Je marchais des kilomètres pour aller voir des peintres, observer comment ils travaillaient… Certains me chassaient. Ma maman m’a beaucoup aidé (soupirs).

A propos de peintres justement, quel peintre t’a particulièrement inspiré ?

C’est le grand peintre africain d’origine ivoirienne, Jacques Samir Stenka. Il m’a donné de l’espoir, m’a montré et expliqué la valeur de l’art. Certains disent qu’il a signé un pacte avec le diable. Dans la vie, chacun a son destin. Je suis allé chez lui pour regarder ses tableaux. Il m’a demandé de lui montrer mes tableaux. J’ai montré ce que j’avais dans mon téléphone. Il ne croyait pas que j’en étais l’auteur. Lorsqu’il les a vus, il a demandé à les voir en personne. J’ai pris deux de mes tableaux et je suis allé avec ma maman chez lui. Lorsqu’il a vu mes tableaux, il a demandé à ma maman de le laisser me former. Je suis comme un fils pour lui. Il m’a beaucoup appris… Moi qui pensais aimer l’art, j’ai compris que mon amour n’était même pas comparable au sien…

Arrives-tu à vivre de l’argent de tes tableaux ? Et la famille, te soutient-elle dans ta voie ?

Bien-sûr ! Le problème est que parfois on veut te voir tout de suite gagner de l’argent… comme dans le commerce ordinaire alors que dans le milieu de l’art, ça ne fonctionne pas comme ça. Lorsque tu peins un tableau, tant que le « vrai propriétaire » n’est pas venu l’acheter, il ne sort pas. Et, selon moi, on ne peint pas les tableaux pour l’argent. C’est ma passion, c’est ma vie. J’aime trop mes tableaux. Parfois, je les contemple, je leur parle en espérant qu’un jour, ils me répondent… Quand je regarde certaines œuvres, je me demande comment j’ai fait pour les réaliser, si c’est vraiment moi qui les ai réalisées… mais tout ça, c’est la grâce de Dieu.

En Afrique, ce n’est pas facile. Tu peux être un bon peintre, mais ne pas être connu à l’international. Tu peux faire des dessins, avoir des fans, mais tes œuvres ne se vendent pas tous les jours. Même quand tu les vends, le gain ne peut pas être comparé à celui des grands peintres. Mais, puisque je suis également un artisan, je fais aussi des colliers, je décore des vases, je fais un peu de tout et je vends lorsque j’expose dans les rues. Les gens trouvent mes œuvres belles et c’est ce qui m’aide. Je ne gagne pas beaucoup d’argent avec les tableaux, mais je ne peux pas arrêter de peindre. Quand je ne peins pas, je me sens impuissant.

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Quelle est la fourchette de prix de tes tableaux ?

Je suis très attaché à certaines de mes œuvres. Ce sera difficile de les vendre, mais je ne peux pas non plus les garder pour moi, car ce sont des messages à transmettre. Certains pensent qu’être peintre est un métier hasardeux, quelque chose de banal. Je ne suis pas dans l’art figuratif. Il faut que les gens se questionnent et questionnent sur ce dont il s’agit. C’est ça l’art. Les peintres sont comme des demi-dieux sur terre. Dieu nous a donné l’intelligence pour parfaire ses travaux sur terre. Donc, les œuvres n’ont normalement pas de prix, mais en Afrique, l’art n’est pas toujours considéré. Si je dis qu’un tableau d’un mètre carré coûte 700 ou 600 000 FCFA, les gens diront que c’est cher, mais si je leur dis 25 000 FCFA ou 30 000, ils me demanderont de réduire le coût. Ce n’est pas normal, c’est de l’art. C’est en Afrique qu’on ne valorise pas toujours les tableaux. Pourtant, ils cachent des secrets. Il y a des tableaux qui sont des héritages, des héritages de grandes familles.

Je suis un peintre révolutionnaire, symboliste.

Quel est ton souhait aujourd’hui?

Ce que je souhaite pour toute l’Afrique, c’est que l’on arrête de considérer les tableaux d’art comme des choses banales, de simples décorations de maisons. Les tableaux sont des messages. Certains riches ont caché leurs secrets dans des œuvres et les ont accrochés dans leurs maisons.

L’art est quelque chose que l’on doit considérer en Afrique si l’on veut avancer. La base d’une civilisation, c’est l’art. Si on ne le considère pas, on ne peut pas avancer.

Comment te retrouver si l’on est intéréssé par tes tableaux ?

Je vis à Bingerville. Je suis joignable au 00225 0501424665.

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