PARIS, 18 mars 2024 (APMnews) – Pour comprendre la place faite aux personnes âgées à l’hôpital, “allez d’abord aux urgences et passez-y une nuit” et “pas seulement une heure”, conseille Philippe Vigouroux, ancien directeur général de CHU, aux nouveaux directeurs d’hôpital, dans une lettre qui sera prochainement publiée dans les Tribunes de la santé de Sciences Po et dont il a parlé jeudi lors des 32es journées de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH).
Il est intervenu lors d’une session sur l’adaptation de l’hôpital au vieillissement de la population générale.
“Si vous avez choisi le métier de directeur d’hôpital, ce n’est pas par passion pour Excel, pour la beauté d’un plan de retour à l’équilibre ou pour le plaisir de compter les postes, mais par goût du service public et pour une mission centrale: aider les médecins, les soignants et tout l’hôpital à prendre en soin, demain mieux qu’aujourd’hui, les personnes touchées par la maladie, l’âge ou le handicap”, observe Philippe Vigouroux, ancien directeur général des CHU de Limoges, Nancy et Bordeaux, dans cette lettre.
Il rappelle que la première question posée à l’interne des urgences qui cherche un lit est “quel âge a-t-il?”. C’est une question “terrible” parce que de la réponse à cette question va découler le parcours du patient, et la chance de trouver un lit est plus grande pour un patient de 40 ans que pour un patient de 80 ans, a-t-il pointé jeudi.
Pour la personne âgée, la seconde question posée vise à savoir si elle est polypathologique car, à l’exception d’accidents de santé précis (fémur cassé ou infarctus), cela implique de prendre le temps d’explorer, a-t-il ajouté.
Aux urgences, vers 21h ou 22h, il y aura des brancards avec des personnes “de tous âges” puis, au fil de la nuit, “les brancards auront pris beaucoup d’âge” et, à 2h du matin, les personnes encore sur un brancard sont les “personnes âgées polypathologiques”, a-t-il observé.
Même si, avec le métier de directeur d’hôpital, “vous voulez de l’équité dans la prise en charge, vous verrez qu’il n’y a pas du tout d’équité et qu’il y a toute une population qui est mal [ou] beaucoup moins bien prise en charge”, même si les soignants sont “excellents”.
“Et en tirant ce fil de la personne âgée et de sa prise en charge aux urgences, vous allez voir ce qu’est réellement votre hôpital”, a-t-il martelé en s’adressant aux nouveaux directeurs.
Pour Philippe Vigouroux, le problème, c’est l’organisation, et il faut prendre cette question “à bras-le-corps”, pour des raisons d’éthique, de service public, d’équité, de déontologie et “puis, aussi, pour l’hôpital lui-même”.
Il juge nécessaire d’organiser l’hôpital pour les personnes âgées polypathologiques, ce qui bénéficiera plus largement aux personnes “fragiles”, c’est-à-dire handicapées, aux personnes étrangères “qui sont perdues dans ce monde complexe de l’hôpital” et pour tous les patients “fragilisés par une intervention chirurgicale” ou une pathologie lourde.
“Dans les différents postes et dans les différents CHU que j’ai eus en charge, à chaque fois, j’ai essayé” mais “je n’ai pas toujours réussi” car parfois, il y a des “freins”.
Augmenter les lits de médecine et former à la gériatrie
Selon lui, cette situation ne s’explique pas par une hostilité des soignants vis-à-vis des personnes âgées mais par un manque de lits de médecine et de personnel.
Face au vieillissement et à l’explosion des maladies chroniques, il aurait fallu une augmentation des lits de médecine, notamment de médecine interne et de gériatrie, et non une diminution, a-t-il pointé. “Prendre en charge quelqu’un de polypathologique à 95 ans pour un problème” dont on n’est pas sûr de trouver rapidement l’origine, “ça va prendre du temps et […] on va figer un lit, on va stopper le fonctionnement des services”, a-t-il relaté.
Parmi les solutions, Philippe Vigouroux a évoqué la mise en place de services d’aval des urgences avec du personnel médical et infirmier formé à la gériatriece qui permet aux patients âgés polypathologiques de retourner plus vite à domicile ou en institution.
Ces plateformes multidisciplinaires, réservées aux personnes âgées et adossées à un service de médecine interne, doivent être composées d’urgentistes, de gériatres, d’internistes, voire de généralistes, avec des interventions ponctuelles de praticiens spécialisés (cardiologues, neurologues, psychiatres, etc.), précise-t-il dans sa lettre.
L’ancien directeur général de CHU a aussi plaidé jeudi pour un accès direct aux services hospitaliers afin d’éviter les urgencesce qui se travaille en amont avec les médecins traitants et les Ehpad.
Enfin, il juge important que quelques soignants des services non spécialisés en gériatrie soient aussi formés à la prise en charge des personnes âgées.
“L’organisation d’une unité dédiée à la prise en charge gériatrique au sein d’un service spécialisé de médecine ou chirurgie est une autre piste”, souligne-t-il dans sa lettre. “Des unités de chirurgie orthopédique gériatriques ont ainsi été créées pour prendre en compte le risque accru de décompensation des personnes gériatriques alitées pour plus de quelques jours”, avec des soignants spécialement formés, venant du service même ou de la gériatrie, et un gériatre pouvant y intervenir, “au moins à temps partiel”.
Il insiste également sur le fait que pour “entraîner tout un hôpital”, il faut allier à la culture gériatrique une “volonté politique partagée par direction, médecins et soignants, entérinée par les conseils de surveillance et les instances”. “Ainsi se diffuse une culture du service aux personnes âgées”, qui bénéficie à tous, “car cette fragilité est commune à toute la population hospitalisée”.
Parmi les autres pistes à explorer, il mentionne notamment la transformation de lits en lits de gériatrie de court séjour avec l’appui de l’agence régionale de santé (ARS), l’adaptation des circuits, de la signalétique et des services hôteliers, le développement de la recherche en gériatrie (médicale et infirmière) ainsi que l’adaptation des tarifs afin de valoriser l’exercice gériatrique.
Lors de la table ronde, Anne-Laure Riquet-Schardt, directrice d’hôpital et enseignante-experte en ressources humaines à l’institut du management de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), a observé que la majorité des élèves-directeurs étaient allés en stage aux urgences ou en service de soins. Ce stage de huit semaines a en effet été réalisé en partie aux urgences pour certains élèves-directeurs et a été “riche d’enseignements”, a commenté Mathieu Bijoux, représentant de la promotion 62 au sein du conseil d’administration de l’ADH.
Pour Philippe Vigouroux, il est important que les élèves-directeurs aillent sur le terrain et aillent voir les équipes également en dehors des stages.
Prévenir les situations de vulnérabilité
Lors de cette même session, le Pr Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et chef du pôle autonomie handicap au CHU de Besançon, a observé que notre système de santé a “augmenté les situations de vulnérabilité” en raison des progrès de la médecine, avec notamment la création de handicaps secondaires, mais qu’il ne s’est pas adapté en parallèle à la complexité qu’il fabrique. Les CHU, notamment, sont de “gros producteurs de situations de vulnérabilité”.
L’hôpital a toutefois de “moins en moins de temps pour prendre le temps de comprendre la situation” alors que le vieillissement est associé à un ralentissement et au besoin de plus de temps pour comprendre, a-t-il déploré. Ainsi “le temps des soignants croise de moins en moins le temps des malades” polypathologiques, présentant une dépendance fonctionnelle et parfois des troubles cognitifs.
Or, réduire le temps notamment d’écoute au titre de l’amélioration de la performance engendre de la souffrance parmi les professionnels de santé et aboutit à une forme de ségrégation, à de l’âgisme, notamment aux urgences.
Cela devrait pousser à se demander s’il faut faire ce que l’on sait faire si cela contribue à faire souffrir, mais il faut du temps pour se poser ces questions, a-t-il observé.
Pour le Pr Aubry, “le temps du soin, de l’écoute, du respect du temps de l’autre” devrait être valorisé.
Dans sa région, la Bourgogne-Franche-Comté, un institut des vulnérabilités liées à la santé va être expérimenté pour identifier les personnes vulnérables et mettre en place un dispositif de suivi permettant d’éviter des réentrées à l’hôpital, dans le cadre d’une expérimentation “article 51”.
Cela impliquera également de la recherche en gériatrie, avec la mise en place d’un fonds, et la création d’un observatoire des situations de vulnérabilités, afin de les quantifier et de pouvoir les qualifier.
La démonstration notamment de l’intérêt économique de la prévention des vulnérabilités permettra de faire de cette dernière un des leviers majeurs du système de santé, a-t-il espéré.
cb/nc/APMactualités
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2024-03-19 03:05:07