Il y avait baleine sous le gravillon : la presse a reçu avec un peu d’avance la liste des lauréats sauf le Fauve d’or, ce qui ne se fait jamais. Par ailleurs, une dizaine de cars de CRS et des mesures de sécurité renforcées montraient une certaine nervosité. En plus, cette année marquait le 10e anniversaire des attentats de 2015. Sans doute ce contexte a-t-il prévalu dans ce choix, d’autant que Juilletancien caricaturiste à Charlie Hebdo ET Cocoactuelle éditorialiste à Charlie et à Libérationétaient dans le jury. Mais l’album qui a déjà reçu le Prix Wolinski / Le Point et le Prix ACBD de la Critique ces dernières semaines n’avait pas attendu pour être remarqué. Même nous, chez ActuaBD, nous l’avions distingué en le désignant « favori de la rédaction. »
Luz entouré du jury qui l’a élu.
« C’est un témoignage touchant que nous livre Luz dans cet album, écrivions-nous en octobre dernier. Il raconte d’une façon originale la spoliation systématique des biens juifs par le régime nazi, le comportement odieux de certains factotums adhérant opportunément à l’idéologie du nouveau régime, la résistance discrète de quelques autres. Ce récit intelligent n’est ni pathétique, ni accusateur. L’art -cet acte d’amour par essence désintéressé- reste en surplomb du vulgaire. »
Zabou Breitmanprésidente du jury, prévient : « C’est un concept fort qui vaut le coup. On n’est pas la même personne avant et après la lecture. »
La conjonction entre cet ouvrage sur la Shoah qui commémore les 80 ans de la Libération d’Auschwitz et le 10e anniversaire du massacre de la rédaction de Charlie Hebdoun titre que Luz avait contribué à faire renaître, ont dû achever de convaincre le jury. Ce prix davantage « grand public » contraste avec le « Grand Prix » accordé mercredi dernier à Anouk Ricard qui consacrait une artiste issue de la bande dessinée alternative peu connue des médias et du grand public.
Très ému, Luz expliqua qu’il avait abandonné le dessin de presse pour la bande dessinée, devenue sa «Catharsis»vocable qui servit de titre à son premier album d’après les attentats : « Des fois, il arrive des choses surprenantes qui vous font arrêter le dessin de presse car plusieurs personnes disparaissent autour de vous… Il n’y a plus que la BD qui me motive. »
Hommage à un grand auteur de comics
Le nom de John Romita Junior est connu de longue date par les fans de comics. Celui qui. à ses débuts, met ses pas dans ceux de son père, figure de « l’âge d’argent », le créateur de Wolverine, du Punisher et du Caïd, contribue à relancer Iron Man, puis Spider-Man, Uncanny X-Men et Daredevil, conférant à ces super-héros une dimension cinématographique qui précéda leur triomphe à l’écran au tournant des années 2000. Les comics, souvent oubliés ces dernières années à Angoulême, reviennent en force dans le palmarès avec cette figure incontournable.
John Romita Jr, Legende du bande dessinée US.
Prix Konishi
Le Prix Konishi récompense un traducteur émérite du manga japonais. Cette année, il revient à Yohan Leclerc pour la traduction de Les Saisons d’Ohgishima de Kan Takahama (Ed. Glénat). Ce prix distingue un traducteur, free-lance habitant Tokyo, déjà très capé, auteur de plus de 500 volumes de traduction, dont des séries comme Bestiarius, histoires de mariées ou encore Le 3e Gédéon.
Yohan Leclerc est ravi de recevoir son prix des mains du traducteur et éditeur Frédéric Toutlemonde et du directeur artistique “Asie” du FIBD : Fausto Fasulo
Prix Goscinny
Rappel est fait des lauréats du Prix Goscinny proclamé à la fin de l’année dernière et traditionnellement remis lors du FIBD. Le Prix René Goscinny du meilleur scénariste revient à Serge Lehman pour « Les Navigateurs » (dessins de Stéphane de Caneva, Ed. Delcourt). Après un mot en hommage à Pierre Christindécédé l’année dernière, Lehman fait le constat qu’il reçoit ici son premier prix jamais reçu dans un festival. Jolie consécration. Le prix Goscinny « Jeune scénariste » récompense quant à lui Elizabeth Holleville verser Les Contes de la mansarde (Dessins d’Iris PouyL’Employé du moi).
Elizabeth Hollevile et Serge Lehman avec leurs Prix Goscinny. “Ces trophées-là sont en bronze” fait remarquer Aymar du Châtenet, représentant de la Fondation René Goscinny.
Fauve BD alternative
Le Fauve BD alternative permet à au Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA) d’exhorter les organisateurs du FIBD à « prendre ses responsabilités quand des VSS ont lieu sur le Festival »des mots copieusement applaudis par la salle, y compris, de façon ostentatoire par Franck Bondoux lui-même ! Ces prix reviennent ex-aequo à « Fanatic Female Frustration » et à « Hairspray Magazine ».
Toutes les femmes qui sont montées sur scène ont également porté le même discours que le SEA, que 9e Art+ semble avoir entendu cet appel. Le festival s’est engagé, sur la demande du grand jury, à commander un audit pour éviter que tout cas de VSS puisse se produire ou se reproduire en son sein.
Les lauréates des Prix de la BD alternative pour les fanzines “Fanatic Female Frustration”et “HairSpray Magazine”
Fauve Polar
Le Fauve Polar SNCF Voyageurs revient quant à lui à Revoir Comanche de Romain Renard (Ed. Le Lombard). Sur ActuaBD, Switch Marcellin avait plébiscité cet album, favori de la rédaction : « Avec son approche modernisée, sur fond de grands paysages d’un noir-blanc quasi photographique, Romain Renard a réussi un pur diamant de nostalgie, dans lequel viennent se refléter non seulement des flash-backs fulgurants du temps où il s’agissait de conquérir l’Ouest mais aussi des projections dans notre présent délabré, celui de la fin des énergies fossiles. Il nous a rarement été donné ces derniers temps de découvrir une telle puissance d’émotion dans un album. » Véronique Augereauprésidente du jury, ajoute : « On est tous tombés d’accord pour le choix de cet album ».
Romain Renard, l’auteur de “Revoir Comanche” (Ed. Le Lombard), reçoit enfin une reconnaissance autant critique que publique.
L’Eco-Fauve récompense un album qui avait été lui aussi remarqué par notre rédaction : Vert de Rage par Martin Boudot au scénario et Sébastien Piquet au dessin (Ed. Delcourt) : « Avec un sens aiguisé de la vulgarisation, cet album didactique a pour vocation de faire exploser ce scandale d’état sur un nouveau médium de diffusion, et ce sans en trahir les codes » écrivait dans nos pages Kelian Nguyen.
Martin Boudot, journaliste et scénariste de la BD “Vert de rage” (Ed. Michel Lafon)
On en arrive au Fauve « Prix du Public » en partenariat avec France Télévisions. Il revient à Impénétrable d’Alix Garin (Ed. Le Lombard). « Pour son deuxième album, écrivait Kelian Nguyen dans nos pages, la jeune autrice belge Alix Garin signe Impénétrable. Un épais roman graphique vrai, sensible et poignant dans lequel l’autrice se met à nu au sens propre comme au figuré. Un long parcours interne nécessaire durant lequel l’autrice apprend à prendre pleinement possession de son corps et de son désir. Une quête libératrice entamée après avoir souffert de vaginisme pendant deux ans, un trouble sexuel souvent lié à un choc psychologique qui empêche la pénétration vaginale. »
Pour Alix Garin, finaliste des albums de l’année d’ActuaBD, “Impénétrable’ constitue une étape déterminante de sa carrière.
Fauve Patrimoine
Nous ne sommes pas surpris non plus par l’élection du livre de Lynda Barry au titre du Fauve Patrimoine déjà distinguée il y a dix ans pour ses strips Mes cents démons ! Son éditeur Ça & Là poursuit la publication en s’attaquant à son Besoin d’un grand Comeek de la région d’Erniepubliée entre 1979 et 2008, dont Viens venir est le premier volume. Une plongée dans une adolescence américaine grandiose et cruelle.
Les éditrices de Ça & Là récupèrent le prix de Linda Barry, celle-ci ne pouvant pas quitter le Wisconsin.
Fauve des Lycéens : Contes de la Mansarde
Si Luz se démarque avec le fauve d’or, il faut également évoquer le doublé de la jeune scénariste Élizabeth Holleville. Elle a obtenu le Prix René Goscinny du jeune Talent, ainsi que le Fauve des lycéens avec la dessinatrice Iris Pouy. Il ne faut pas se fier aux apparences. La couverture aux couleurs claires fait preuve de magie et introduit discrètement l’ambiance de l’album. Ce dernier nous narre trois histoires horrifiques, qui s’inspirent des plus grands auteurs tels que Edgar Allan Poe ou bien les Frères Grimm pour ne citer qu’eux. Cet ouvrage a conquis le cœur du jury et de notre chroniqueur Romain Garnierqui n’a pas pu rester de marbre : « Les autrices recourent aux codes avec beaucoup de subtilité. L’horreur peut prendre bien des visages et la chute que connaît chaque conte nous a cueillis. “
Iris Pouy et Elizabeth Holleville, les autrices des “Contes de la mansarde” (Ed. L’Employé du moi). Cette dernière est également Prix Goscinny Jeune Talent cette année. Elle est donc deux fois primée en 2025 !
Fauve Révélation
Ballades de Camille Potte publié par Atrabile est le « Fauve Révélation » 2025. Cette histoire, prépubliée dans Libération l’été dernier, avait reçu le Prix « Toute première fois » du dernier Festival BD de Colomiers. Avec son dessin « Seventies » qui se promène entre ceux de Fmurrr et de Vaughn BodeCamille Potte, dont c’est la première BD, nous construit un moyen-âge de conte poétique et fantasque.
Calille Potte, l’autrice de “Ballades” (Ed. Atrabile)
Fauve de la série
Pour la première fois dans l’histoire du festival, un manga remporte un fauve. Cette année, le fauve récompensant la meilleure série a été décerné à Shintaro Kago, pour le deuxième volume de son diptyque Démence 21. Publié chez Huber, l’album suit les aventures de Yuki, une aide-soignante à domicile qui doit s’occuper de cas tout aussi singuliers les uns que les autres. Chaque personne âgée lui fait vivre des péripéties complètement délirantes, dans lesquelles elle joue divers rôles. Cette absurdité permet au mangaka de s’amuser et de pointer du doigts différentes démences. C’est ce qui a plu à notre rédactrice Gaëlle Bedis : “Le mangaka joue avec le concept et tord la réalité jusqu’à l’absurde, pour mieux dénoncer le ridicule de nombreuses situations existant de nos jours au Japon.”
Shintaro Kagho, l’auteur du dyptique Dementia 21 chez Huber Edition, lauréat du Fauve des séries.
Fauve spécial du jury
Cette année, le jury a décidé de récompenser non pas un, mais deux albums pour le Fauve spécial du jury. Une sélection interpellante car elle consacre un éditeur historique des années 2000, à savoir l’Association, mais également le groupe Delcourt qui vient d’être racheté par Editis. Deux destins éditoriaux très contrastés.
Au-delà de cette dispute de clochers, voici les deux co-lauréats : tout d’abord Les Météores de Deviney & Redolfi aux éditions Delcourt. Voici ce qu’en disait Kelian Nguyen dans nos pages : « Cet album est une ode à la vie, à la joie, au présent, au partage, à l’amour. “Les Météores”, ce n’est pas tout simplement le quotidien ; c’est grandement la vie. »
Redolfi et Deveney, Fauve Spécial du jury pour “Les Météores” chez Delcourt.
Quant à En Territoire ennemile second lauréat, notre rédacteur en chef adjoint Romain Garnier en disait ceci : « un récit autobiographique qui relate [cette] vie de jeune femme des années 1990 à nos jours. Adulte, elle rompt avec le milieu traditionaliste catholique familial pour finalement se retrouver dans les bras d’un homme qui, chemin faisant, évolue d’une misogynie latente au virilisme le plus toxique, abreuvé à la haine d’Internet. Un roman graphique « coup-de-poing » diraient certains avides de formules éculées. Pour notre part, il s’agit d’un manifeste supplémentaire contre un monde qui éructe ses bréviaires venimeux, ce dans l’espoir de conserver une place au sein d’un système fondé sur la domination violente et destructrice des femmes. Une lecture importante de cette seconde partie de l’année éditoriale. “
Voilà qui résonne avec une certaine actualité.
Le final avec tous les lauréats.
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2025-02-02 01:59:00
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