Au revoir à Ernesto Ferrero, seigneur de l’édition

Au revoir à Ernesto Ferrero, seigneur de l’édition

2023-10-31 23:59:31

Il y a une photo qui marque l’entrée d’Ernesto Ferrero dans le monde littéraire (né à Turin en 1938 et décédé hier, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans) et c’est celle qui le représente, estival et souriant, en l’accompagnant à Venise. Primo Levi, qui remportera le prix Campiello avec le roman Trêve. Nous sommes en septembre 1963. Ferrero fait les premiers pas d’une carrière très importante au sein d’Einaudi, où il entre comme chef du bureau de presse mais où il occupera bientôt le poste de directeur littéraire et, de 1984 à 1989, celui de rédacteur en chef. directeur.

Bien qu’il ait également travaillé pour Garzanti et Mondadori, son nom restera à jamais lié à la maison d’édition de Via Biancamano, aux réunions du mercredi, aux rites austères de fabrication de livres comme les morceaux d’une mosaïque grande comme la nation. Einaudi reste dans sa carte d’identité et non seulement comme l’un des nombreux lieux où produire des couvertures et des rabats, mais comme un gymnase pédagogique, une université libre depuis laquelle exercer l’enseignement en se renforçant avec ce sentiment de complétude, avec cet air de heureuse conquête qui se ressent dans les pages les plus aériennes de Les plus belles années de notre vie (2005) et di Album de famille (2022).

Mais à une telle distance dans le temps, la photo, avec Levi, établit une autre clé d’interprétation, elle s’étend dans l’imagination au point de prendre la valeur d’une prédestination, à tel point que souvent, récemment, en se souvenant de ce voyage à Venise, Ferrero lui attribue le sens d’une expérience initiatique. Levi, en effet, aurait été pour lui un maître dont il pouvait tirer des secrets, une sorte de guide de l’exercice de l’écriture jamais vécu comme une exposition, un paradigme de littérature morale à fixer fermement dans l’esprit pour son avenir comme pour un écrivain, peu importe s’il se consacre à la fiction historique plutôt qu’à la fiction scientifique.

De cette méthode, de cette rigueur éthique, de cette discipline interne, Ferrero deviendrait à son tour une histoire exemplaire pour toute la génération suivante et quiconque voulait s’engager sur le chemin des livres ne pouvait s’empêcher d’intercepter sa production sans fin : de celui de la non-fiction, dédié non seulement à Levi, mais aussi à Gadda et Calvino, à celui narratif, qui aurait visé des personnages excentriques et curieux comme Cervo Bianco ou Emilio Salgari, encombrants et contradictoires comme Napoléon Bonaparte, scrutés cependant par les yeux humbles d’un serviteur (N., 2000, lauréat du prix Strega), choquant et moderne comme François d’Assise (François et le sultan2019).

Tout ce que Ferrero a tenté, même les traductions de Louis-Ferdinand Céline ou sa longue direction de la Foire du livre de Turin, dressent le portrait d’un intellectuel et d’un homme qui, pour interroger son époque et se mesurer à elle, a préféré se laisser guider par La leçon de Manzoni qui réunissait éthique et histoire, recherche archivistique et imaginaire. Ces quatre éléments sont devenus la boussole d’orientation de chacune de ses activités culturelles et grâce à eux, il s’est positionné pour la saison qu’il a vécue comme l’interprète le plus accrédité et faisant autorité, la dernière voix d’une tradition qui a cru aux mots comme un instrument approprié pour sonder le mystère de ce que nous sommes et de ce que nous construisons. Ce faisant, il assume le rôle de l’Histoire, s’imposant comme un père noble soucieux de défendre une idée d’écriture basée sur l’inviolabilité des documents sans toutefois se laisser asphyxier par ceux-ci, sans rester prisonnier de règles rigides dépourvues de créativité. .



#revoir #Ernesto #Ferrero #seigneur #lédition
1698815849

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.