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Avis | Les défis de l’Europe dans le monde de Trump

by Nouvelles

Bruno Colmant

Membre de l’Académie Royale de Belgique

21 décembre 2024 Aujourd’hui à 05:51

Nous avons peut-être atteint un point où le fragile espoir d’unifier le continent européen conduit à plus d’inaction qu’à une saine concurrence. En tout cas, il serait fou de ne pas penser à notre organisation politique, dans un monde dont les fondements sont désormais déstabilisés.

La géopolitique traverse un immense changement. Les États-Unis, sous l’administration Trump, donneront un un coup de pouce indescriptible pour leurs industries. La Chine, devenue leur principal rival dans de nombreux domaines, notamment l’intelligence artificielle, la cybersécurité et l’innovation verte, domine également des secteurs industriels qui L’Europe, plombée par un manque de modernisation technologiqueavait trouvé pratique – et très rentable – de s’installer dans des pays où les salaires étaient plus bas. Nous avons importé des produits trop chers pour être fabriqués localement, profitant ainsi de l’écart salarial entre les pays autrefois en développement (aujourd’hui développés) et l’Occident traditionnel. L’Europe a peu innové, agissant comme une puissance rentière qui ne comprend pas l’horloge mondiale. Cela a évidemment contribué à notre désindustrialisationmême si, sans cette dernière, de nombreux pays d’Europe de l’Est et d’Asie n’auraient pas pu prospérer. Nous avons donc troqué notre bien-être social contre un travail sous-payé ailleurs alors que notre croissance économique est désastreuse. Depuis 40 ans, nous sommes les passagers clandestins, et non les rameurs, d’un navire industriel laissé à la dérive.

Tout cela a conduit à un déclassement industriel et à une perte d’innovation en Europe. De plus, l’Europe est entraînée dans une hostilité croissante envers le monde occidental. exprimée par les pays du Sud (BRICS+).

En fait, nous sommes devenus un continent non plus géré, mais administré, révélant nombre de contradictions et une guerre à nos frontières…

Trump va réindustrialiser les États-Unis

Dans ce contexte, ce que propose Trump est intéressant : il cherche à réindustrialiser les États-Unis au détriment des pays dont ils importent les marchandises. Ça s’appelle protectionnisme. Même si la majorité des économistes s’accordent à dire qu’il conduit, à moyen terme, à une croissance globale plus faible, ce modèle peut néanmoins contribuer à rétablir les « termes de l’échange ». Les États-Unis tentent ainsi de se protéger d’une mondialisation qu’ils ont eux-mêmes promue, mais dont ils se perçoivent, à tort ou à raison, comme les victimes. Trump dirigera donc son pays comme une entreprise, c’est-à-dire dans une recherche permanente de monopole et de pouvoir sur les prix. Et tout, je dis bien tout, va être bouleversé, à commencer par symboles souverains : monnaie et dette américaines.

En ralentissant en termes de croissance économique, l’Europe doit donc faire face à des chocs contradictoires et cumulatifs : un éloignement progressif des Etats-Unis, une concurrence de plus en plus acharnée de la Chine, et bien sûr, une guerre ukrainienne qui, malgré leurs grands discours, les Européens ne peuvent pas et ne continueront pas sans l’aide américaine. Mais cette aide américaine va évidemment diminuer.

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Tout cela pourrait être géré avec précaution si l’Europe était politiquement unifiée. Malheureusement, ce n’est pas le cas. L’Europe est de plus en plus divisée, tandis que le couple franco-allemand n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. La Commission avance sur des dossiers comme le Mercosur, sans l’approbation de la France. Nous ne sommes plus leaders en rienet certainement pas dans le domaine technologique. De plus, certains États souhaitent sortir du carcan européen retrouver la liberté d’action diplomatique et économique, souvent en collaboration avec les États-Unis. C’est notamment le cas de Pologne, Hongrie et Italie. Le rapport Draghi, dans ce contexte, a tiré la dernière cartouche de l’alarme en prédisant une mort lente sans investissements colossaux que personne n’envisage vraiment. En fait, nous sommes devenus un continent non plus géré, mais administré, révélant nombre de contradictions et une guerre à nos frontières…

Une confédération favoriserait une prise de décision plus flexible et adaptée aux réalités nationales, tout en maintenant une coopération ciblée dans des domaines stratégiques tels que la défense, le commerce ou les infrastructures.

Qu’est-ce qui manque à l’Europe ?

Mais alors, que manque-t-il à l’Europe ? Tout, à commencer par un modèle politique homogène. Autrefois social-démocrate, l’Europe est aujourd’hui fragmentée. Dans un texte marquant de 1934 intitulé « L’unification de l’Europe », Stefan Zweig (1881-1942) anticipait déjà notre situation contemporaine : «[L’idée européenne] n’appartient qu’à une fine couche supérieure et n’a pas pris racine dans l’humus des peuples. Reconnaissons la suprématie de l’idée opposée : le nationalisme.”

Selon moi, la formulation actuelle de l’Union européenne ne correspond plus à un modèle efficace. En voulant tout rendre trop réglementé et centralisé, on alourdit le projet. Et puis, il y a un défaut fatal : l’absence d’une politique industrielle supranationale, qui n’est que le reflet de la juxtaposition des États membres. C’est pourquoi certains pays cherchent à s’en éloigner. Je commence à me demander, contre-intuitivement, si nous ne devrions pas réinventer un modèle plus confédéral et moins fédéral. Une confédération est une union volontaire d’États indépendants qui délèguent certains pouvoirs limités à un organe central commun, tout en restant pleinement souverains.

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En permettant à chaque État membre de conserver une souveraineté substantielle, une confédération favoriserait un processus décisionnel plus flexible et adapté aux réalités nationalestout en maintenant une coopération ciblée dans des domaines stratégiques tels que la défense, le commerce ou les infrastructures. Cela réduirait le sentiment d’imposition d’une autorité centrale, souvent perçu comme une ingérence de la part de certains pays, tout en préservant les mécanismes de collaboration là où ils sont essentiels. Un modèle confédéral pourrait également encourager une concurrence saine entre les États membres, en stimulant l’innovation et l’efficacité économique.

Cette vision pourrait donner l’impression de conduire à une Europe plus faible, car fragmentée. Mais peut-être avons-nous atteint un point où le fragile espoir d’unifier le continent conduit à plus d’inaction qu’à une saine concurrence. Quoi qu’il en soit, il serait fou de ne pas penser à l’organisation politique de notre continent dans un monde dont les fondements sont aujourd’hui déstabilisés.

Bruno Colmant, membre de l’Académie Royale de Belgique

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