Dans la cour de récré, un groupe d’enfants se bouscule pour accéder à un pupitre où trône un livre d’or. Chacun veut y laisser un mot, un dessin pour « madame Decker ».
« Chère directrice, tu vas nous manquer très fort. J’espère que tout va bien se passer pour toi à la retraite, bisous. Maeva. » Mardi soir, Véronique Decker, 61 ans, à la tête de l’école élémentaire Marie-Curie de Bobigny depuis 20 ans, célébrait son départ en retraite après trois décennies passées à enseigner dans le 93.
«Elle va laisser un grand vide ici »
« Elle va laisser un grand vide ici, s’émeut Constantine, une maman venue assister à sa fête. J’ai deux enfants scolarisés dans cet établissement, mon aîné y est passé aussi et j’ai toujours apprécié madame Decker. L’éducation est plus compliquée en Seine-Saint-Denis, mais elle n’a jamais cessé de se mobiliser contre les manques de moyens alloués aux élèves. J’espère que la personne qui lui succédera fera de même. Je suis un peu inquiète… »
Une militante
Le défi est de taille. Car en 20 ans, Véronique Decker a été sur tous les fronts. Celui de l’éducation bien sûr. « Les conditions d’enseignement du 93 sont indignes. Nous manquons de médecins scolaires, d’enseignants… Nos professeurs manquent parfois de formation », a-t-elle énuméré une énième fois lors de son discours donné devant des dizaines d’enfants et de parents venus lui rendre hommage, mardi soir.
Avec ses équipes, elle s’est remontée les manches pour permettre aux élèves de cette école classée REP + (Réseau d’éducation prioritaire) de partir en classe verte en Normandie, dans le Jura, et même au ski « comme les enfants des écoles riches ».
« Les séjours sont un axe majeur de notre pédagogie », a rappelé cette adepte de Freinet, un mouvement éducatif alternatif qui prône notamment l’apprentissage des écoliers par l’expérimentation et la coopération. « Mon voyage en classe verte reste un bon souvenir pour moi », témoigne ainsi Melvin, un de ses anciens élèves et jeune papa de 22 ans, présent à la soirée. Même si j’étais tellement turbulent avec les autres que j’avais dû dormir dans sa chambre. Elle était sévère, mais c’était justifié! »
Trois livres au compteur
Véronique Decker s’est aussi battue pour la justice sociale. Et notamment la scolarisation des enfants roms ou sans papiers. Son combat de tous les jours, elle l’a raconté dans ses trois ouvrages qui relatent des anecdotes et souvenirs marquants de sa carrière.
Une prise de parole engagée qui a fait d’elle une figure emblématique des banlieues populaires, comme elle en plaisante dans son dernier ouvrage « Pour une école publique émancipatrice », sorti en février*. « C’est la rançon du succès de mes livres. Je suis désormais considérée comme une « experte de la banlieue », comme si j’étais une intellectuelle qui avait produit des études documentées. »
Après la banlieue, la campagne
On a envie de lui dire que sa connaissance du terrain vaut sûrement mieux que toutes les statistiques du monde… « Je me suis donnée à fond pendant 20 ans, j’étais contente de le faire, et je suis contente d’arrêter », confiait-elle à un collègue en début de soirée.
Finies les tours de Bobigny. Véronique Decker, dont la mutation en Corrèze avait été refusée il y a quelques années, va enfin partir vivre à la campagne. « Je vais désormais pouvoir voyager en plein hiver, faire des randonnées en forêt, cuisiner mes légumes, faire des conférences », sourit cette mère de famille, qui estime avoir donné à « son métier le temps que beaucoup de mamans consacrent à leurs enfants ». Elle va pouvoir se rattraper.
* Libertalia. 10 €.
2019-07-03 10:00:00
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