Home » Nouvelles » Bobigny : après cinq ans à la tête d’un tribunal hors-norme, le président quitte son poste

Bobigny : après cinq ans à la tête d’un tribunal hors-norme, le président quitte son poste

by Nouvelles
Bobigny : après cinq ans à la tête d’un tribunal hors-norme, le président quitte son poste

Renaud Le Breton de Vannoise, 59 ans, s’apprête à quitter dans quelques jours son poste à la tête du tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Mais on ne s’éloigne pas de la deuxième juridiction de France (après Paris) comme ça. « Je pars avec un pincement au cœur », confie-t-il, au terme de cinq années éreintantes mais passionnantes.

« C’est un poste usant, mais vous vous surprenez à vous y attacher. C’est un peu magique », ose-t-il. Ses très lointains ancêtres sont venus d’Ecosse, « Le Breton », et d’un village de l’Orne, « Vaunoise ». Une singulière alchimie qui lui a donné le goût pour les combats longs et ardus. Une véritable « culture du service de l’Etat », affirme-t-il. Son père, expert juridique spécialisé dans la propriété individuelle, lui rappelait d’ailleurs que « la noblesse n’est pas dans le nom mais dans le cœur et dans l’action ».

À peine en poste, les attentats frappent Paris et la Seine-Saint-Denis

Il a pu l’expérimenter dès son arrivée à Bobigny, en octobre 2015. « J’arrive dans des conditions que je ne suis pas près d’oublier. Il y a eu une succession d’événements qui m’ont tout de suite mis dans le bain », glisse-t-il. Un mois plus tard, les attentats terroristes ensanglantaient Paris et la Seine-Saint-Denis.

L’installation du président est reportée en janvier. À la même époque, les avocats se mettent en grève. Déterminées, 300 robes noires bloquent l’entrée du tribunal. Le bâtonnier presse le président de venir leur parler. À peine sur le parvis, il lui colle un mégaphone dans les mains. « Je me trouve à haranguer la foule », raconte le président encore surpris d’avoir endossé ce rôle de composition. Ses mots feront mouche : « Ils ont levé le barrage. »

Le tribunal judiciaire se refait actuellement une jeunesse avec un programme de travaux qui s’étendra jusqu’en 2024.LP/N.R. LP/Nathalie Revenu

Une énorme machine

Le tribunal de Bobigny et ses satellites, c’est une énorme machine de plus de 1 300 personnes, 137 magistrats au siège sur le tribunal judiciaire et 464 greffiers avec une charge de travail colossale. Lorsqu’un magistrat se suicide, l’onde de choc est terrible. « J’étais seul quand je l’ai appris, tôt le matin. Ce fut très douloureux à gérer », se souvient-il.

Après ce drame humain, il lui faut encaisser « les transparences » en novembre 2015, qui annoncent les projets de nominations dans la juridiction. Le président se retrouve avec moins de 100 magistrats avec le jeu des congés maladies, des postes vacants, des arrivées différées… « Nous étions en suractivité. J’ai dû baisser les audiences de 20 %. Début janvier, j’étais dans le bureau de Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice, avec le procureur. »

Tribunal inondé

Un audit confirme la nécessité de nommer 35 magistrats supplémentaires au siège. Il y a désormais 137 postes, tous pourvus. Au fur et à mesure, les cases se remplissent , 40 % de nouveaux greffiers arrivent à Bobigny. « Ce fut un combat », dit Renaud Le Breton de Vannoise. Il faut aussi lancer les travaux de rénovation extension du tribunal. Car là aussi le bâtiment donne des signes de fatigue.

Un matin très pluvieux Renaud Le Breton de Vannoise découvre de véritables chutes d’eau qui traversent les verrières et tombent dans l’atrium. À 7h30, il se revoit encore demander son seau à l’homme de ménage éberlué qui estime que ce n’est pas à un homme en costume cravate d’éponger le tribunal. « Le patron c’est moi », finit-il par lui lâcher. Et le voilà parti pour écoper le surplus dans un palais de justice encore désert.

Chaque année est rythmée par ses catastrophes. En 2017, l’armoire sécurité incendie explose, laissant l’alarme muette. Le tribunal risque d’être contraint à la fermeture. L’art de la débrouille, si bien éprouvé à Bobigny, s’illustre à nouveau. Un agent de sécurité muni d’un mégaphone est installé sur le toit de l’édifice. Il doit scruter le moindre départ de fumée puis descendre étage par étage avec son porte-voix en criant « évacuation » dans les services.

La « solidarité dans la difficulté »

Ce procédé artisanal durera dix jours. Il n’aura heureusement pas à donner l’alerte générale. Une autre fois, c’est la chaudière qui lâche en plein hiver. Dans les bureaux on grelotte sous 8 degrés. Mais on continue de bosser. Ces anecdotes reflètent bien l’esprit de Bobigny. « Il y a une solidarité dans la difficulté. Les relations magistrats-greffiers ne se déroulent pas comme ailleurs. C’est une équipe, pas des catégories. »

Pour digérer l’activité hors normes de la juridiction, les fonctionnaires ne comptent pas leurs heures. Près de 200 par mois pour certains au greffe. « Ils le font par sens du devoir, sinon tout s’écroule », explique, admiratif, le président. « C’est ça qui vous donne envie de vous battre. Ça m’a porté », confie-t-il.

Les magistrats lui rendent la politesse : « Il a toujours été courtois et bienveillant, avec un total respect de l’indépendance des magistrats. Il a beaucoup bossé sur l’agrandissement du tribunal et pour le remettre à flot, même si 137 magistrats cela reste insuffisant pour Bobigny », salue Ludovic Friat, magistrat coordonnateur de la 17e chambre et représentant local de l’USM (Union syndicale des magistrats).

Il rejoint la cour d’appel d’Aix-en-Provence

Au cours de sa carrière, il aura connu des tribunaux de Toul (Meurthe-et-Moselle), Dinan (Côtes-d’Armor), Bonneville (Haute-Savoie), à l’époque du procès du tunnel du Mont-Blanc. Devenu sous-directeur de l’organisation judiciaire, il écume tous les ressorts de France. Il peut le dire : « Le seuil d’acceptabilité est incroyablement plus élevé à Bobigny qu’ailleurs. Dans d’autres tribunaux, trois boîtes d’archives dans un couloir provoquent un tollé. »

Dans ce palais de verre qui fuit, il découvre une greffière noyée sous deux colonnes vertigineuses de dossiers. « Celui qu’elle était en train d’examiner était posé sur la poubelle », le seul coin disponible dans son bureau. « Elle ne s’en étonnait même pas. Ailleurs cela aurait provoqué un droit de retrait. »

Après ses aventures balbyniennes, Renaud Le Breton de Vannoise rejoindra la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), comme 1er président. « J’ai toujours eu un certain vertige à prendre un nouveau défi. Je redoute d’avoir un poste où je m’ennuie ». Ça ne s’est jamais produit à Bobigny.

Un président part un autre arrive. C’est un homme influent qui s’installera à la rentrée septembre à Bobigny : Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires, quitte la Chancellerie où il gérait les emplois de magistrats et connaissait parfaitement les difficultés budgétaires de l’institution.

2020-08-09 10:00:00
1709569510


#Bobigny #après #cinq #ans #tête #dun #tribunal #horsnorme #président #quitte #son #poste

You may also like

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.