Cambodge : deux religieuses et une Église renaissante

Cambodge : deux religieuses et une Église renaissante

2023-08-18 09:45:37

Au Cambodge, Songvat et Tharin, aujourd’hui Sœur Marie et Sœur Teresa, sont les premières consacrées après le régime sanglant des Khmers rouges. Une reconversion qui va de pair avec la reconstruction du pays

Une Église qui renaît grâce à la prédication de l’Évangile au marché. C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’expérience de Sœur Marie et Sœur Teresa, les deux premières religieuses cambodgiennes à se convertir au christianisme après la fin du régime des Khmers rouges dirigé par le dictateur communiste Pol Pot, qui entre 1975 et 1979 devint responsable du meurtre d’un estimé à 1,5 million de personnes. Le pays est sorti meurtri de cette expérience et pendant une autre décennie, malgré une amélioration progressive de la situation, le Cambodge est resté une nation pauvre et instable.
Mais au début des années 90, il y avait un nouvel air. Marie, qui s’appelait avant son baptême Ang Songvat, travaille comme secrétaire le matin, va au marché de Kompong Cham comme couturière l’après-midi et en fin de journée fréquente l’école du soir pour son bac. Elle n’a pas pu terminer ses études secondaires en raison des affrontements armés de la guérilla qui se déroulaient alors dans certaines régions du pays.
C’est au marché qu’elle se lie d’amitié avec une femme qui – elle ne le sait pas encore – va changer sa vie. Il s’agit de Bun Nath, qui vend du poisson avec son collègue Bun Tharin et qui avait appris le christianisme grâce à un prêtre français avant l’expulsion des missionnaires en 1975, année de la prise du pouvoir par les Khmers rouges. Bun Nath n’était qu’une enfant lorsqu’elle fréquentait la maison du père André Lesouef, des Missions étrangères de Paris, qui fut nommé en 1968 premier préfet apostolique de Kompong Cham, la capitale qui se situe à 120 kilomètres à l’est de la capitale Phnom Penh.

À l’époque, le prêtre accueillait des enfants non chrétiens dans son presbytère et leur parlait. À son retour au Cambodge en 1992, toutes les œuvres de l’Église catholique avaient été perdues. Ou alors il semblait. Bun Nath, maintenant adulte, a écrit une lettre au missionnaire de soixante-dix ans, qui résidait dans la capitale Phnom Penh. Le père André a non seulement réussi à la retrouver, mais il a administré le baptême et elle a été la première chrétienne de l’Église catholique cambodgienne ressuscitée.
Revenons à Songvat et Tharin : les deux se rencontrent pour la première fois lors d’un voyage à moto. Bun Nath avait commencé à raconter son expérience avec le christianisme au marché, mais les questions de ce qui allait devenir plus tard Sœur Marie devenaient de plus en plus complexes. Alors Bun Nath demande à Bun Tharin d’accompagner Songvat chez le Père André qui est désormais assisté de deux religieuses thaïlandaises, Pélagie et Xavier. Toutes deux appartiennent à la congrégation des religieuses Amantes de la Croix, ordre fondé en Thaïlande par le père Lambert De la Motte au XVIIe siècle. Bun Tharin connaissait le père André de vue et par les paroles de Bun Nath, mais il n’avait jamais pensé à se convertir au christianisme à partir du bouddhisme. Elle avait terminé le collège mais ensuite, en raison des difficultés financières de sa famille, elle a commencé à travailler au marché aux poissons et ce n’est que plus tard qu’elle a pu fréquenter une école professionnelle.
Arrivée par le missionnaire français Songvat, elle ne trouve pas vraiment les réponses qu’elle cherchait mais est accueillie par une question : « Voulez-vous étudier la Parole de Dieu ? », demande le père André.

Après cette rencontre, les deux femmes commencent, toujours séparément, le cours de catéchèse avec le missionnaire. Entre 1994 et 1996, alors qu’ils avaient encore moins de 30 ans, ils ont été baptisés. Dans ces années-là, il y avait un, deux, maximum quatre chrétiens qui se convertissaient par an, mais l’Église cambodgienne avait recommencé à germer. Marie et Teresa sont heureuses de leur choix mais ce n’était pas une décision simple : « Nous étions bouddhistes par tradition, mais je me suis sentie touchée par l’illumination du Seigneur. La culture, c’est quelque chose qu’on absorbe de l’extérieur, mais la Parole de Dieu est venue à notre rencontre en chemin», explique sœur Marie.
En raison de l’état de santé de plus en plus précaire du Père André, Marie et Teresa poursuivent leur catéchèse avec les religieuses thaïlandaises. “Les leurs khmère c’était rudimentaire », disent-ils. “Mais notre foi était déterminée et motivée, elle est allée au-delà de la formalité des leçons”. À un moment donné, Pélagie propose à Marie d’enseigner la couture et l’écriture chez elle le soir à un groupe de filles qui ne sont pas encore baptisées. Lorsque Teresa va également vivre avec eux, les deux femmes commencent à penser à la consécration. Bun Nath parlait souvent des Sœurs vietnamiennes de la Providence qu’il avait connues avant les Khmers rouges, et il partageait volontiers ses souvenirs. Là aussi, il y a un obstacle culturel important : “Nos familles nous ont demandé : ‘Pourquoi ne vous mariez-vous pas et n’avez-vous pas d’enfants ?'”, raconte Sœur Teresa. « Mais dans le bouddhisme, le monde des esprits n’est pas votre ami. Si vous tombez malade, on pense que cela est dû au mauvais œil. C’est très différent de l’annonce d’amour apportée par Jésus qui a vaincu tout le mal du monde”.

Le Père André est déplacé par la demande des deux femmes mais comprend que leur vocation est sincère : Marie et Thérèse avaient déjà décidé de faire partie des Sœurs Amantes de la Croix. Alors que les autres ordres sont très structurés, le charisme de cette congrégation est simple, proche de la vie paroissiale, elle vit un christianisme de la toute première proclamation, à la base duquel se trouve la coexistence. Pélagie et Xavier apportent les constitutions de l’ordre au Cambodge thaïlandaisune langue que Marie et Teresa apprennent à traduire en khmère. Pour être sûr de ne pas déformer le contenu, ils font une nouvelle comparaison avec la version française. Et c’est ainsi que la congrégation s’enracine au Cambodge : avant le régime il y avait, en effet, d’autres Sœurs Amantes de la Croix, mais elles avaient toutes été tuées ou avaient fui à l’étranger. Une renaissance qui va de pair avec la reconstruction du pays.

La première année du postulat se passe au service des autres car le Père André, pour s’assurer de leurs intentions, les envoie à Phnom Penh travailler pour New Humanity International lié au PIME et pour une autre ONG. En 2002, elles commencent le noviciat et en 2004, elles font leur première profession religieuse et sont affectées à la mission de Prey Veng, où elles gèrent des résidences pour jeunes filles et des cours d’initiation à la foi chrétienne. Plus ou moins les mêmes activités qu’ils exercent encore aujourd’hui. Songvat est restée vivre à Prey Veng, tandis que Tharin vit à Stung Treng, au nord-est du Cambodge, avec 9 autres sœurs professes.
En repensant à leur vie, Sœurs Marie et Sœur Teresa, qui ont maintenant plus de 60 ans, se souviennent qu’après avoir reçu le baptême, elles n’accomplissaient plus les rites religieux traditionnels lors des fêtes de la pagode bouddhiste avec leur famille. Et eux-mêmes ne comprenaient pas pourquoi ils étaient si différents. “A l’époque, nous ne savions pas répondre à nos propres questions – disent-ils -, mais aujourd’hui nous comprenons que la Parole demandait à être annoncée précisément dans ce contexte particulier”.



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