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Caroline Dawson 1979-2024 | Du côté de la vie, jusqu’à la fin

by Nouvelles
Caroline Dawson 1979-2024 | Du côté de la vie, jusqu’à la fin

Peu d’écrivaines auront aussi profondément marqué la littérature québécoise en si peu de temps que Caroline Dawson. Même si personne n’ignorait que le cancer gagnait du terrain, l’incrédulité face à sa mort, à l’âge de 44 ans, n’est pas moins totale, tant elle sera restée entièrement du côté de la vie, jusqu’à la fin.


« En ce moment, outre le cancer, je suis vraiment privilégiée. Je me trouve vraiment chanceuse. » Ces phrases ont été prononcées par Caroline Dawson en décembre 2021, quelques mois après qu’elle a appris, en août 2021, qu’un goliath de 25 centimètres – le surnom qu’elle avait donné à sa tumeur – logeait en elle. Ces phrases, aussi ahurissantes que belles, en disent long sur ce refus obstiné de l’amertume avec lequel elle aura accueilli dans sa vie la maladie, au moment où sa carrière d’écrivaine prenait son envol.

Paru en novembre 2020 aux Éditions du remue-ménage, son roman Là où je me terre appartient à cette exceptionnelle catégorie de livres qui rallient le cœur du milieu littéraire comme du grand public. L’immigration avait certes déjà été le sujet de plusieurs fictions québécoises, mais le quotidien d’une famille de réfugiés avait rarement été décrit avec autant de limpidité, de tendresse, de tranchant et d’acuité dans le détail bouleversant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Dawson, en janvier 2023

« Ce livre-là, je l’ai écrit parce que je voulais que ma mère devienne un vrai personnage de la littérature québécoise, confiait-elle en novembre 2023, et ça n’allait pas de soi, qu’on y trouve des femmes de ménage latino-américaines. Je voulais lui faire cet honneur : tu vas devenir un personnage et tu vas exister dans la tête des gens, pour toujours. »

Colère et gratitude

Née au Chili en 1979, Caroline Dawson atterrit au Québec à l’âge de 7 ans, avec ses deux frères et leurs parents, qui sont soudainement projetés au bas de l’échelle socioéconomique, celle des appartements mal isolés, des petits boulots dont personne d’autre ne veut et des humiliations plus ou moins explicites.

Caroline Dawson croyait que la vraie nature de l’humain se situait davantage dans la solidarité que dans son contraire, mais n’épargnait pas ceux et celles à cause de qui l’existence de tant d’immigrants demeure plombée par les sacrifices et la souffrance.

« Ç’a été un livre un peu compliqué à écrire, parce qu’il y a à la fois en moi de la colère et de la gratitude », expliquait-elle en entrevue, en décembre 2021, en réagissant à la critique de son roman publiée sur les réseaux sociaux par le premier ministre François Legault (« Une belle histoire d’une famille qui ne l’a pas eu facile », ce qui pouvait apparaître réducteur).

Je ne peux pas être que colère, parce que je suis quand même arrivée ici comme réfugiée, on nous a quand même accueillis. Mais je pense que la lecture de [François] Legault est idéologique. Il a voulu voir une belle histoire d’immigrants.

Caroline Dawson, au sujet de la critique de Là où je me terre du premier ministre québécois

« Mon livre, ce n’est pas juste ça, ajoutait-elle en novembre 2023. Mon livre raconte des choses que vous pourriez améliorer et que vous ne faites pas. »

Des lecteurs enthousiastes

Écrit dans une langue sans concession, mais qu’elle voulait simple afin que sa mère, qui a appris le français en arrivant au Québec, puisse le lire sans peine, Là où je me terre aura bénéficié de l’enthousiasme de plusieurs admirateurs célèbres.

Reconnaissante envers chacun de ses lecteurs et lectrices, Caroline Dawson se faisait un point d’honneur de rappeler qu’une chronique de Simon Boulerice avait soufflé dans les ailes de son roman, tout comme la fougueuse défense du dramaturge Michel Marc Bouchard au Combat des livres de Plus on est de fous, plus on lit !en mai 2021.

Là où je me terre a aussi été couronné en 2022 du Prix littéraire des collégiens, une récompense particulièrement significative pour cette professeure de sociologie au cégep, qui fondait beaucoup d’espoir en la jeunesse.

Selon la volonté de Caroline Dawson, sa famille invitait d’ailleurs lundi tous ceux et celles qui l’ont admirée, de loin ou de près, à offrir un don à la Fondation du Cégep Édouard-Montpetit, pour la création d’une bourse qui viendra en aide financièrement à de jeunes femmes migrantes de première génération.

« J’ai l’impression qu’ils sont bien moins encarcanés que nous, qu’ils vont se défaire de plein de structures qui ont peut-être déjà été utiles, mais qui sont devenues oppressantes », observait-elle en février 2023, au sujet de la génération de ses enfants, Bérénice et Paul, à qui elle s’adresse dans son recueil de poèmes, Ce qui est tu (Triptyque).

Quand je vois à l’école de mon fils comment ils parlent de la question du genre, c’est évident qu’il y a des choses qui pour eux sont réglées. C’est peut-être leur en mettre beaucoup sur les épaules, mais je pense que c’est eux qui vont sauver les meubles.

Caroline Dawson, en février 2023, au sujet de la génération de ses enfants

Une foi envers le monde

« J’avais sept ans la première fois que j’ai décidé de ne pas me tuer. » Telle est la première phrase du prologue de Là où je me terredans lequel Caroline Dawson raconte avoir songé à se jeter par la fenêtre après avoir appris que sa famille quitterait incessamment le Chili, pour ne plus jamais y revenir.

« Seulement, je n’ai pas sauté », écrit-elle au sujet de ce « premier acte de foi envers le monde ». « Pas par apathie, pas par paresse. Face à l’appel du néant, j’ai fait le premier choix qui compte. »

Ce choix, Caroline Dawson n’aura jamais cessé de le renouveler, malgré l’ombre de la maladie. Et bien qu’il soit toujours hasardeux de tenter de déterminer les raisons pour lesquelles une personne arrive à ne pas se laisser submerger par l’aigreur devant une réalité aussi implacable et cruelle que le cancer, il semble indéniable que Caroline Dawson trouvait une part de sa foi envers le monde dans les livres. Sa fille se prénomme Bérénice, comme la Bérénice de Ducharme ; il est difficile d’imaginer plus profond comme déclaration d’amour offerte à notre littérature.

La marque qu’elle laisse sur cette littérature n’a pas fini de grandir, mais apparaît déjà immense. Le mois dernier, au Salon du livre de Québec, lors d’une table ronde sur les transfuges de classe, les auteurs Benoit Jodoin, Michel Lacroix et Jean-Philippe Pleau constataient avec émotion que chacun de leurs récents livres témoigne de leur dette envers Là où je me terre et sa créatrice.

Une force invraisemblable

Il sera tentant au cours des prochains jours de la décrire comme une battante, de louer son courage, toutes des qualités qu’elle aura indéniablement incarnées. Mais en femme de mots, Caroline Dawson savait ce que ce vocabulaire a de faux, ou du moins de tronqué. La chimiothérapie l’avait fragilisée et la maladie la minait, forcément, peu importe ce que son sourire, intact et solaire, pouvait suggérer.

« Le cancer, c’est ma réalité, et mon travail en tant que sociologue, c’est de décrire la réalité. Ça me gosse quand on ne regarde pas la réalité en face », soulignait-elle au sujet de ces formules toutes faites et de ces expressions – la fameuse résilience – qui, à force d’être employées, ne semblent plus vouloir dire quoi que ce soit.

Mais face à la maladie, Caroline Dawson affichait néanmoins une force invraisemblable. Plutôt que de se claquemurer, elle aura déployé de précieux efforts afin de continuer d’accompagner son œuvre. C’est dans son lit qu’elle aura accordé ses deux ultimes entrevues à La Presseen novembre 2023, le micro de la série balado Juste entre toi et moipuis en février dernier avec la chroniqueuse Chantal Guy, à l’occasion de la parution de son album jeunesse Partir de loin (Éditions de la Bagnole).

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Dawson en entretien avec notre journaliste, en novembre dernier


Écoutez notre épisode de Juste entre toi et moi avec Caroline Dawson

Lisez le texte de Chantal Guy « Parce qu’elle vient de loin »

Elle aura aussi redirigé à chaque occasion la lumière dont elle bénéficiait sur d’autres auteurs, en publiant ses généreux commentaires de lectures sur les réseaux sociaux et en présentant des chroniques à l’émission d’ICI Première Il restera toujours la culture.

Sa trop brève œuvre aura été entièrement tournée vers l’espoir : celui qui permet aux réfugiés d’affronter une autre journée, celui que contiennent les livres, celui qui jaillit des yeux des enfants. Si Caroline Dawson a été courageuse, c’est en tenant tête à ce monde où les vainqueurs semblent trop souvent arriver à leurs fins en refusant aux autres leur dignité.

« Les structures me fâchent, mais les gens, je les aime, disait-elle en novembre 2023. Il y a tellement de gens extraordinaires. Tu le vois quand tu es à l’hôpital, qu’il y a des infirmières qui en font beaucoup plus que ce qu’elles devraient. Souvent, je me dis : ‟Tu ne me connais pas, pourquoi est-ce que tu me donnes des soins avec autant de gentillesse et de sollicitude ?” Il y a beaucoup de gens dans ma vie qui ont fait la différence. C’est ça, l’espoir. »

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