Ce n’est pas tuer un tyran

2024-10-21 19:38:00

« Sic semper Tyrannis » : il est probable que la phrase attribuée à Brutus en poignardant Jules César n’a jamais été prononcée, mais elle reste une sorte d’emblème, le fil conducteur d’une longue histoire qui, par exemple, a été reconstituée par Aldo Andrea Cassi. , professeur d’histoire du droit médiéval et moderne à l’Université de Brescia, dans un livre passionnant (“Tuer le tyran. Histoire du tyrannicide de César à Kadhafi”, éditrice de Salerne) il y a deux ans. Cela part du premier tyran de l’histoire immortalisé dans un vers d’Archiloque (VIIe siècle av. J.-C.) : Gygès, d’une immense richesse, qui s’empara de Lydie après avoir assassiné le roi, et ne paya pas le prix de sa violence ; comme ce fut le cas pour Hipparque, fils cadet de Pisistrate et tyran d’Athènes, tué en 514 avant JC par Harmodius et Aristogiton.

Il faut dire qu’Hérodote parle très bien de ce souverain, même s’il était bien un « tyran » ou quelqu’un qui s’est emparé du pouvoir en violant les lois de la polis. Mais depuis l’assassinat de César, le thème s’est imposé beaucoup plus largement, devenant un problème juridique et moral qui traverse toute l’histoire de l’Occident. Les Pères de l’Église considéraient le tyran comme un châtiment pour les péchés du peuple, mais condamnaient son assassinat. Et pourtant, au Moyen Âge, Jean de Salisbury (1115-1180) établissait que le tyrannicide était non seulement « licite », mais aussi « juste et équitable » (Dante punissait plutôt les « césaricides » en Enfer). Nous pourrions continuer jusqu’à nos jours, si remplis d’assassinats politiques de tyrans – peut-être de terroristes – tués avec une grande efficacité. Un problème éthique demeure. Ce qui maintenant, presque comme un miroir de l’étude de Cassi, sans ambitions historicistes mais littéraires, nous présente à nouveau sur un ton narratif, pourrait-on dire borgésien, Daniele Santero, un jeune Italianiste décédé prématurément, dans un livre désormais publié à titre posthume par Elliot, ” Fables de la tyrannie » : où une Schéhérazade contemporaine raconte à son seigneur (et tyran) une série d’histoires (toutes vraies) qui concernent les tentatives ratées, souvent incongrues, souvent absurdes, de tuer la personne puissante du moment, peut-être avec les formes les plus diverses et les plus absurdes. des motivations parfois incompréhensibles.

Dans ces mille et une nuits d’abattement, tout est sinon sombre organisé sur du gris, avec un ton mélancolique et comme abandonné, car les protagonistes sont voués, dirait-on dès le début, à l’échec. Le plus célèbre est Lorenzino de Médicis (dit Lorenzaccio, célèbre au moins pour la tragédie que lui consacra Alfred de Musset, reprise plus tard par Carmelo Bene, ou pour l’opéra de Sylvano Bussotti) : en 1537, il tua son cousin Alessandro. , duc de Florence, et fut assassiné à son tour 11 ans plus tard par les assassins de Cosme Ier, dans une embuscade à Venise. Entre-temps, il réussit cependant à rédiger une apologie très appréciée par Leopardi et à décapiter certains bas-reliefs de l’Arc de Constantin à Rome, pour emporter les têtes comme un précieux souvenir. Qu’a-t-il en commun, disons, avec l’oublié Emilio Caporali, qui en 1889, à Naples, réussit à frapper Francesco Crispi, alors premier ministre, avec une grosse pierre (mais seulement au menton) alors qu’il défilait dans Naples dans sa voiture ? Ou à la servante Margaret Nicholson, une femme très discrète, mélancolique et travailleuse, qui tenta, en 1786, de poignarder le roi George III, mais à l’aide d’un couteau à dessert ?

Elle est folle, laissez-la tranquille, a crié le roi à la foule qui voulait la lyncher. En fait, elle s’est retrouvée dans un hôpital psychiatrique, ainsi que dans les vers de Percy Bysshe Shelley, qui lui a consacré en 1810 un recueil intitulé “Fragments posthumes de Margaret Nicholson”. Sherazade raconte à son “tyran qui a perdu le sommeil” des histoires de tentatives pour la plupart infructueuses, désastreuses, déjà vaincues dès le début, mais en attendant elle lui promet à chaque réveil l’angoisse de se sentir encore et toujours menacé, de ne jamais pouvoir se considérer. bien sûr, peut-être pour lui promettre une mort qui pourrait venir de ses mains de « reine de cœur ». Il lui parle d’Anteo Zamboni qui a attenté à la vie de Mussolini et a été lynché par le « scélérat gâté ». Et en même temps il compare son corps mutilé à ceux retrouvés sur nos plages, noyés « sans une égratignure ». Il lui raconte des histoires de défaite, des histoires tristes et enfouies. Il lui demande, puisqu’il devrait savoir – mais il demande surtout au lecteur – quel est le sens obscur non pas du tyrannicide lui-même mais de la tyrannie : dans notre vie et dans celle des autres.



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