L’emprunt d’État a levé 22 milliards d’euros en quelques jours seulement, un record. L’obligation d’État a été un succès incroyable. Mais pour qui au fait ? Parce que plusieurs enjeux de cette campagne n’ont pas vraiment été rendus publics.
1. Le ministre marque des points, mais…
Même si les conditions de taux d’intérêt ont assuré le succès de l’emprunt, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V), qui a associé son nom à l’emprunt d’État, est sorti vainqueur politique, estime Bruno Colmant.
L’économiste souligne également que l’accès numérique au registre de la dette, qui permet aux particuliers d’ouvrir un compte de titres auprès de l’État, est une révolution. « Le gouvernement utilisera le grand livre de manière positive, pour informer les épargnants et proposer d’autres obligations. Ce succès contribue également à effacer l’échec complet et incompréhensible de la réforme fiscale, qui cherchait à déplacer la pression des revenus du travail vers les revenus du capital. En incluant les obligations d’État dans le registre de la dette, le ministre permet d’éviter l’impôt sur les comptes-titres.»
Certaines personnes intelligentes disposant de plus d’un million d’euros sur leur compte bancaire ont peut-être utilisé les obligations d’État pour éviter l’impôt, ou peut-être même blanchir de l’argent. Quels contrôles le fisc effectuera-t-il sur l’origine de l’argent et le respect des lois anti-blanchiment pour tous les citoyens qui se sont inscrits directement auprès du gouvernement ? Les banques sont soumises à des procédures très strictes. Le fisc l’appliquera-t-il également ? Toutes ces questions peuvent ternir l’image du ministre en sauveur des épargnants.
2. Les gros épargnants font la fête
De nombreux observateurs s’offusquent du fait que le rendement à un an des obligations d’État belges soit comparé à celui des comptes d’épargne. « L’emprunt d’État a été vendu comme une alternative au livret de dépôt », explique Grégory Guilmin, expert en investissement spécialisé en éducation financière. «La différence est que l’argent des épargnants avec les obligations d’État est bloqué pendant un an. S’ils utilisent l’intégralité de leur tampon pour cela, que se passe-t-il en cas de problème ? Malgré les taux d’intérêt ridicules en Belgique, le compte d’épargne traditionnel présente un avantage majeur : en cas de problème, les épargnants peuvent facilement accéder à leur argent. Cela ne s’applique pas aux dépôts à terme, et encore moins aux obligations d’État.»
Les épargnants ont-ils été induits en erreur, maintenant que ces nouvelles obligations rapportent moins que l’inflation et que d’autres investissements sûrs rapportent autant, sinon plus ? « Les intérêts presque exorbitants et le précompte mobilier réduit (15 % seulement pour les obligations d’État, nvdr) sont une aubaine pour les épargnants. Il est vrai que d’autres investissements rapportent davantage, mais ils nécessitent des sommes d’argent importantes ou comportent des risques supplémentaires. Il s’est avéré que les obligations d’État répondent à un besoin de sécurité d’une population plus âgée, moins encline à prendre des risques financiers.»
Une population aisée notamment. Certes, certains se sont inscrits pour 1 000 ou 2 000 euros, mais l’inscription moyenne est de 34 000 euros par personne. Il s’agit donc d’un électorat de grands épargnants, qui ne voteront probablement pas pour l’aile gauche du gouvernement fédéral, très présente dans le débat sur le remboursement de l’épargne.
3. Probablement pas une affaire ponctuelle
Le gouvernement est-il le seul grand gagnant de cette opération, plus encore que le Trésor et les épargnants ? « Sans aucun doute », affirme Bruno Colmant. « Le gouvernement sécurise son financement dans son propre pays. Cela rassure les marchés financiers étrangers, qui confèrent à la Belgique une note de crédit élevée basée sur ces économies très importantes. L’obligation d’État illustre la capacité du gouvernement à mobiliser l’épargne privée.»
Y aura-t-il une suite en décembre ? Marek Hudon, professeur de finance à la Solvay Business School, ne pense pas que cela soit impossible. « D’un côté, le ministre pourrait tenter de répéter ce succès. Cela lui a donné beaucoup de visibilité personnellement, mais c’est aussi une belle réussite pour l’administration centrale qui a mené l’opération. En revanche, il existe un risque que l’effet ne soit pas permanent. Et même s’il reste clairement une somme importante sur les comptes d’épargne, la question se pose de savoir si de nombreux épargnants ou investisseurs qui n’ont pas investi cette fois-ci le feront à court terme.»
Hudon estime que le rapport de force avec le secteur bancaire a changé de façon impressionnante en quelques semaines : « Il ne faut pas oublier l’ordre. Il y a d’abord eu les questions parlementaires sur les intérêts des comptes d’épargne. Je ne pense pas que la campagne d’inscription aurait été un tel succès sans cette contribution. Le ministre Van Peteghem a établi un lien logique entre ces deux éléments.»
4. Les banques râlent, mais se frottent aussi les mains
Presque toutes les banques ont critiqué les obligations d’État, estimant que l’État organise une forme de concurrence déloyale en baissant le prélèvement à la source (le ministre reconnaissant également que le taux de 30 pour cent décourage les épargnants d’investir). “Ils ont toutes les raisons de s’alarmer de cette ingérence de l’Etat dans la gestion de l’épargne”, estime Bruno Colmant. «Ils verront peut-être des opportunités à l’expiration de la durée des obligations d’État, mais il est plus que probable que l’État émettra alors une nouvelle obligation dans laquelle les particuliers pourront immédiatement réinvestir, peut-être avec des échéances plus longues. Les dépôts privés constituent la base d’un système bancaire. Ils gagnent très peu d’intérêts et les banques veillent à ce que leurs comptes d’épargne soient parfaitement liquides. Le véritable problème des banques est qu’elles doivent gérer des prêts à long terme, ce qui rend mathématiquement impossible une augmentation rapide des taux d’épargne. À cet égard, la concurrence avec les obligations d’État leur est désavantageuse.»
Après tout, ils devront rapidement compenser la perte de liquidités par de nouvelles. Ils devront le chercher auprès d’autres banques, des déposants ou de la Banque nationale, mais à un taux plus élevé. Selon certaines estimations, cela pourrait leur coûter 600 millions d’euros supplémentaires en charges d’intérêts sur un an.
Mais dans un an, lorsque les 22 milliards d’euros collectés reviendront sur le marché avec les intérêts des obligations d’État, les banques voient une énorme opportunité commerciale se profiler à l’horizon, surtout maintenant que leurs clients ont découvert ce qu’implique un compte-titres.
5. Pas de chance pour commencer
Derrière le succès de la campagne se cache une autre vérité qui donne à réfléchir, Bruno Colmant le sait : « Le capital-risque est indéniablement l’un des perdants ici. La réduction du précompte mobilier sur les obligations d’État freine la prise de risque. Le précompte mobilier devrait être structurellement plus faible pour les investissements risqués.»
Dans un des avis la semaine précédente Trends-Tendances est apparue, la fiscaliste Typhanie Afschrift a parlé d’une grande injustice envers ceux qui prennent des risques avec leurs investissements et doivent néanmoins payer 30 pour cent sur les dividendes, alors que, contrairement aux intérêts des obligations d’État, ceux-ci ne sont pas garantis, ni le remboursement des l’investissement : « Donc tout fonctionne à l’envers : ceux qui prennent des risques pour créer ou développer des entreprises sont punis fiscalement, tandis que les rentiers ont un privilège. »
6. Raccourcis et inexactitudes
Et qu’en est-il de l’éducation financière ? « Au lieu de les inciter à se poser les bonnes questions, à s’informer et à investir sur le long terme pour financer leur retraite, le gouvernement a endormi les épargnants », estime Grégory Guilmin. « Au lieu d’investir massivement dans les obligations d’État, les épargnants auraient dû réfléchir à leurs investissements pour les cinq à dix prochaines années et opter pour une approche à long terme. Il est temps de réaliser que l’inflation ronge nos économies et que le système de retraite est sérieusement menacé.»
En revanche, « on a rarement autant parlé dans la presse des produits financiers destinés au grand public, même si cela s’est parfois accompagné de myopie, voire d’inexactitudes », constate Marek Hudon. « En général, l’attention des médias à l’égard des obligations d’État est plutôt positive, compte tenu du niveau relativement faible d’éducation financière de base du grand public. Donc quelque chose de cette opération historique restera dans l’esprit des épargnants”, estime le professeur Solvay, qui ajoute que “cela a également ouvert le débat sur le financement de projets publics, comme le métro de Bruxelles ou d’autres grands projets d’infrastructures, avec le gouvernement obligations ou obligations vertes.
2023-09-14 01:32:16
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