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“Cela ne sert à rien de penser que tous les électeurs d’extrême droite sont des faches. Il faut se demander pourquoi ils votent pour eux”

by Nouvelles
“Cela ne sert à rien de penser que tous les électeurs d’extrême droite sont des faches. Il faut se demander pourquoi ils votent pour eux”

2024-06-22 09:01:05

Sophie Baby, historienne, professeur à l’Université de Bourgogne, a consacré une grande partie de ses recherches à l’Espagne contemporaine. Le mythe de la transition pacifique (Akal) est son ouvrage de référence. Et tout à l’heure, il vient d’être publié Juger Franco? Impunité, réconciliation, mémoire, qui sera publié en espagnol à l’automne. Mais nous ne parlons pas ici de ce sujet, mais de la crise française qui a remis la République au centre de l’attention, comme exemple du malaise des démocraties européennes, qui montrent les signes d’un changement d’époque dans lequel beaucoup de choses bougent. Mais on ne sait toujours pas où tout cela peut mener.

Que s’est-il passé au cours des vingt dernières années dans la société française pour donner naissance à la situation choquante actuelle dans laquelle la victoire de Marine Le Pen et de son peuple aux élections européennes provoque cette réaction du président Macron ?

— Le vote d’extrême droite en France est très ancien. Cela augmente petit à petit depuis quelques temps. Disons que c’est une menace que nous avions déjà installée dans l’opinion publique depuis vingt ans. La nouveauté est qu’il apparaît désormais non plus comme une menace mais comme une alternative possible et acceptable au pouvoir. Qu’est-ce qui a changé pour que l’extrême droite puisse être un parti de gouvernement et pas seulement d’opposition ? Il y a des facteurs politiques, sociaux et médiatiques. Si l’on commence par la partie politique, le parti a déployé beaucoup d’efforts pour changer son image afin qu’il ne soit pas seulement un parti diabolisé par ses opposants. Ils ont commencé avec le nom : Front National pour la Réunification Nationale, pour rompre avec l’héritage de Jean-Marie Le Pen et apparaître comme un nouveau parti. Ils s’éloignent ainsi de la connotation néo-fasciste et négationniste du fondateur pour construire une image plus acceptable pour la société. Pour parfaire ce changement de cap, ils ont recherché la coloration sociale et populaire du parti en assumant des revendications qui étaient l’héritage de la gauche. Sans renoncer, évidemment, à la dimension nationaliste et xénophobe qui les identifie. Rendre la France aux Français reste son épine dorsale idéologique.

Et cela dans un contexte où l’Union européenne relance le retour aux nationalismes patriotiques.

— Le débat sur l’identité nationale est très présent en France ces dernières années. Et il a fait croire que son discours, ses sujets phares, s’imposaient dans le débat public.

On pourrait donc dire que le tabou d’extrême droite que les partis démocrates avaient construit est en train de s’estomper. Même le libéral Emmanuel Macron se permet d’affirmer que si le second tour se déroulait entre le Regroupement national et le nouveau Front populaire, il voterait pour l’extrême droite.

— C’est pourquoi le président essaie de s’approprier certains des sujets les plus acceptables de l’extrême droite. Macron a besoin de votes de tous bords. Et maintenant, il célèbre les problèmes sociaux les plus authentiques du RN : la sécurité, l’immigration, qui s’est imposée comme une question centrale dans le débat public, et, dans cette ligne, il a entrepris la diabolisation de l’extrême droite et la diabolisation de l’extrême droite. la gauche L’arc républicain de Macron prétendait qu’il existait un républicanisme acceptable, qui est celui du centre, tandis que les extrêmes étaient laissés de côté. Quand les choses se sont compliquées, il a choisi de faire tomber la barrière d’un côté, celui de l’extrême droite.

La répartition géographique de la croissance de l’extrême droite semble assez homogène.

— Traditionnellement, et c’est toujours le cas, il dispose d’une voix plus forte dans le monde rural, dans les petites villes et dans les zones périurbaines des grandes villes. Ce qu’on appelle la France des oubliés. Une France qui reste loin de la mondialisation, des atouts du monde moderne, voire du technologie de pointe et la numérisation, avec un sentiment généralisé de déclassement social et d’abandon de la part de l’État. Et cela vient, en partie, de la déstructuration des services publics et de l’inégalité d’accès à ceux-ci. Les bureaux de poste, les commissariats de police, les tribunaux et les écoles constituaient des points de repère dans les petites villes et même dans les villages. La même chose s’est produite avec les petits commerces, les buralistes, les petites boulangeries, la presse, qui ont quitté ces territoires. Et aussi avec les médecins, les hôpitaux, les maternités. Résultat : un isolement géographique et territorial croissant. Et cette France qui est immense se sent abandonnée par la main de Dieu. Quand le seul moyen de se déplacer est la voiture, chaque fois que le prix de l’essence augmente, on se sent humilié.

Est-ce différent dans les grandes villes ? L’extrême droite résiste-t-elle mieux ?

— Lors des dernières élections, les slogans de l’extrême droite ont envahi tout le territoire. Toute la carte est marron. Dans 93% des communes, le Regroupement National arrive en tête. Même dans certaines grandes villes. Et des zones ouvrières de gauche très militantes sont également tombées du côté de l’extrême droite. A Marseille, il a obtenu 30% des voix. Les espaces qui résistent le mieux sont les métropoles. A Paris, l’extrême droite ne compte que très peu.

Il existe évidemment une corrélation entre la montée de l’extrême droite et la crise de la gauche.

— Depuis des années, la gauche ne parvient pas à attirer les classes populaires, qui constituaient son électorat traditionnel. C’est devenu une gauche bobo [terme que ve de burgesia bohèmia], bien pensant, écologiste, incapable de répondre aux préoccupations quotidiennes du monde rural et ouvrier. On se souvient du mandat de François Hollande (2012-2017). Avec une politique sociale-démocrate sans attributs précis, cela a laissé beaucoup de frustration.

D’une certaine manière, le changement a-t-il commencé avec le passage de Chirac à Sarkozy ?

– Oui. Le tournant a été pris il y a vingt ans avec une politique néolibérale très radicale qui a mis au premier plan l’identité nationale, l’immigration et la sécurité. Cela amène beaucoup de gens à dire : « Essayons le regroupement national, voyons ce qui se passe ». Un discours anti-élitiste alimenté par le style de mépris des classes populaires de Macron, avec un gouvernement de quadragénaires scolarisés dans les grandes écoles, tous parisiens et loin du vrai pays.

Les écarts générationnels sont-ils importants ? Y a-t-il de grandes différences de comportement selon l’âge ?

— Traditionnellement, la base électorale de l’extrême droite était celle des âges intermédiaires, de 40 à 60 ans, et dans toutes les sections les hommes étaient majoritaires, mais maintenant les femmes et les jeunes se rapprochent aussi. Les retraites et le pouvoir d’achat sont actuellement un facteur très déterminant. Le secteur qui résiste le plus est celui des jeunes, mais ils votent peu et de manière très volatile. Comme en Espagne, il commence à y avoir une génération très idéologisée vers l’extrême droite.

La radicalisation est en hausse, mais en même temps les gens changent très facilement de vote.

— C’est un jeu dangereux. Les militants sont très idéologiques, mais l’électorat ne l’est pas. Cela ne sert à rien de penser que tous les électeurs d’extrême droite sont des faux. Ce qu’il faut se demander, c’est pourquoi ils votent pour eux. Pourquoi les classes moyennes, plutôt centristes, votent-elles désormais pour le RN ? On parle du déclin de la France, du fait que la France perd du poids et de son influence à l’étranger et qu’elle vit dans la crainte de la relégation. La République française s’est fondée sur le mythe de l’ascenseur social – notamment grâce à l’école – et elle est tombée. Et ceux qui votent le plus pour le RN sont ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures.

Cette perte d’estime de soi des Français doit avoir son histoire.

— Elle s’est développée depuis les années 80, quand a émergé l’idée du grand remplacement, qui met l’accent sur l’immigration comme coupable présumée du déclin de l’idée mythifiée de l’identité française. L’immigré – thème récurrent – ​​est identifié à la délinquance, à la précarité, comme si tous les problèmes venaient des jeunes des quartiers périphériques. Mais la peur vient surtout des immigrés musulmans. Une peur qui s’est accrue avec les attentats de la dernière décennie [el de Bataclan i el de Charlie Hebdo] et qui se propage aussi à travers les impositions sociales religieuses : le voile islamique comme menace. Tout cela pour arriver à la conclusion que c’est l’immigré étranger qui monopolise les services sociaux et l’aide. Et cette carte est beaucoup jouée par l’extrême droite : rendre la France aux Français, préférence en droits et services.

Nous avons parlé de politique, de question sociale, mais pas de médias.

— L’espace médiatique a grandement contribué à l’essor des idées RN. Par exemple, avec le puissant groupe de communication de Vincent Bolloré, partisan de l’union de la droite et qui s’est toujours méfié de Marine Le Pen mais qui a désormais trouvé en Jordan Bardella, le potentiel candidat au poste de Premier ministre, son homme et son effronté jouer cette bataille. Et pas seulement lui. Jordan Bardella est l’homme le plus cité dans les médias français ces trois derniers mois. C’est le gendre idéal : mâle, jeune, beau et blanc, qui, de par son âge, sait s’adapter à ce qui lui convient. Et cela a un pouvoir d’attraction sur les jeunes. Sa silhouette s’est largement répandue. Il savait jouer sur les réseaux sociaux. Il est très présent sur TikTok, où il n’existe pas de régime de vérité. Mais cela arrive en France et dans le monde en général.

Est-ce en résumé que Macron peut gouverner en cohabitation avec le Regroupement national sans problème ?

— Je pense que Macron se prépare effectivement à gouverner avec eux. C’est pourquoi il a déplacé la confrontation de l’autre côté : contre la France Insoumise et la gauche en général. Et c’est un changement. Jusqu’à présent, elle avait toujours affirmé qu’elle ferait tout le nécessaire pour que Le Pen ne soit plus candidate aux prochaines élections présidentielles.

On n’a pratiquement pas parlé de gauche. L’une des choses qui ont rendu possible la croissance de l’extrême droite a été le fractionnement et la dissolution de la gauche, victime de l’éternelle psychopathologie des petites différences, qu’elle veut désormais tenter de sauver.

— La gauche a toujours été divisée, mais le moment actuel est le résultat de l’effondrement de la social-démocratie et de la croissance d’une gauche légèrement plus radicale pour tenter de récupérer l’électorat populaire perdu. Il y a maintenant une mobilisation importante pour tenter de donner vie au nouveau Front populaire. Je pense que l’idée est d’abord d’attirer l’électorat et ensuite de voir comment tout cela se consolide. En Espagne, on a l’habitude d’être d’accord, mais pas en France.

Deux choses à terminer. Le rapport des citoyens à la politique et aux idéologies a-t-il changé ? Est-il vrai que l’électeur est devenu un consommateur politique, comme le dit Lipovetsky ?

— Oui, dans les cultures politiques qui ont marqué le XXe siècle, il y avait un poids de culture de gauche. Petit à petit, elle s’est estompée et l’électorat est devenu plus consumériste, cela change d’une élection à l’autre. Mais la culture politique existe toujours. Il existe encore un monde de gauche, un monde de droite et un monde qui n’est pas très connu mais qui a toujours existé et qui est devenu aujourd’hui immense. Et cela signifie plus de volatilité.

L’esprit de la Ve République est-il en train de s’estomper ? Est-ce que ça va durer ?

— La figure de De Gaulle est partout, ce qui fait qu’il ne compte plus grand-chose. Je crois que l’engagement envers la République reste fort. Mais elle n’appartient plus à aucune culture politique. Que ce soit le Ve ou le Sixième, si, comme certains le proposent, il y a une réforme constitutionnelle, la République suivra. La démocratie évolue et plusieurs propositions existent pour tenter de répondre à la colère populaire. La réponse de Macron a été verticale, sans écouter les instances intermédiaires de l’État, des syndicats, du Parlement, une réponse très technocratique qui n’a pas abouti. La gauche cherche à réactiver un esprit démocratique local. Et l’extrême droite opte pour la démocratie directe dans sa version référendaire. Il reste beaucoup à développer.



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