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C’est alors qu’est né le féminisme médiéval

by Nouvelles
C’est alors qu’est né le féminisme médiéval

2024-06-06 17:35:17

Lorsque vous arrivez à Forlì, aucun itinéraire prévu n’a d’importance, vous allez directement à la Rocca di Ravaldino. Vous vous retournez, vous regardez pour mesurer le périmètre du donjon, vous regardez dans les yeux les fentes ouvertes sous les pentes du toit, vous pesez la taille de ses tours, si gonflées, comme si les murs du cardinal Albornoz étaient ils n’étaient pas assez épais pour contenir les ennemis de l’État pontifical. Et puis, ponctuellement, cette anecdote me vient à l’esprit, faisant référence à l’année 1488 : Caterina Sforza qui, du haut des murs, montrait son vagin aux geôliers de ses enfants, pour les avertir qu’elle ne céderait pas la forteresse en échange de leurs des vies, parce qu’il a une manière de les refaire.

Dans les sociétés masculinisées, comme c’était le cas au Moyen Âge, une obsession morbide est toujours générée autour du sexe des femmes. La société médiévale est une société masculinisée non seulement parce que seuls les hommes détiennent le pouvoir, mais parce que ce sont eux qui écrivent, argumentent, peignent, autrement dit qui nourrissent l’imaginaire collectif. Dans ces contextes, l’avis des femmes n’est pas demandé même dans les domaines qui les concernent le plus étroitement, la famille, le mariage, la gestation, l’accouchement. Ce sont toujours les hommes qui contrôlent chaque étape de la conception, depuis l’acte sexuel jusqu’à l’accouchement, car une grossesse illégitime entacherait leur « honneur » et leur descendance. Les hommes sont aussi les seuls – dans cette époque très longue, qui par convention dure quinze siècles – à avoir droit à la satisfaction sentimentale et sexuelle. Une aspiration égale des femmes constituerait un danger : dans les classes subordonnées, cela détournerait l’énergie des affaires domestiques, dans les classes nobles, cela mettrait en danger le pouvoir d’en haut de la maison. Les comportements sexuels occasionnels chez les hommes produisent des effets considérés comme inoffensifs dans ce type de société : le déversement du sperme en dehors de la cellule familiale. Chez la femme, cela conduirait cependant à la gestation d’une graine étrangère au lignage. Il faut donc représenter les femmes sans sexe – les femmes angéliques ! – ou réduits à leur simple sexe, c’est-à-dire que le sexe influence tous les aspects de leur vie.

Les femmes qui, au Moyen Âge, parvenaient – contrairement à leur époque – à faire entendre leur voix, et même à accomplir des « faits » remarquables, le faisaient toujours au détriment de leur réputation, car il fallait se fixer une cible, donc qu’ils ne sont pas devenus un exemple pour les autres. Le cas d’Aliénor d’Aquitaine est paradigmatique en ce sens. Aliénor est née à Poitiers au XIIe siècle. Elle est la petite-fille du célèbre Guillaume le Troubadour, duc éclairé et poète d’Aquitaine, comté plus riche et plus avancé que l’Ile de France elle-même, fief direct de la couronne de France. En raison de contingences historiques – notamment les croisades qui, comme la Grande Guerre en Italie, représentaient une opportunité d’émancipation pour les femmes de la fin du Moyen Âge – Eleonora s’est retrouvée à gérer seule son duché pendant de longues périodes. Elle a elle-même participé à la Seconde Croisade aux côtés de son premier mari, le roi Louis VII de France. Quinze ans après son mariage, elle fut répudiée parce qu’elle n’était pas « capable » de donner naissance à un fils. Lorsque, avec son second mari, Henri II Plantagenêt, elle donna naissance à une couvée d’entre eux, aucun des chroniqueurs qui l’avaient auparavant stigmatisée à cause de sa « stérilité » ne cessa de l’attaquer. Les accusations se concentrent simplement sur une sphère encore plus strictement sexuelle : Eleonora est lubrique, entretient des relations incestueuses avec un oncle de sang ainsi qu’avec le père de son deuxième mari et est – bien sûr – une mauvaise mère. Lorsque ses filles et ses fils se rassemblent autour d’elle, face aux attaques et au harcèlement qu’elle subit de la part de son second mari, aucun chroniqueur de l’époque, de Guillaume Parvus à Guillaume de Titus, de Bernard de Clairvaux à Walter Map, ne change d’avis, voire un Une nouvelle légende qui démange commence à prendre forme à son sujet : elle était l’amante de Saladin ! Une image des bras chrétiens d’Eleonora serrés autour de ceux « infidèles » de Saladin, spécialement conçus pour damner sa mémoire pour toujours. Il aurait suffi d’y penser : Saladin avait à peine dix ans au moment de la Seconde Croisade ! -, mais personne n’a le temps de vérifier les données, alors que la calomnie circule vite. Sur les cordes persuasives de la lyre du ménestrel de Reims elle s’impose et, huit siècles plus tard, nous luttons toujours là pour éradiquer « la légende noire » d’Aliénor d’Aquitaine.

Le cas d’Eleonora n’est certainement pas un cas isolé. Toutes les femmes médiévales, insatisfaites de leur rôle de mère et d’épouse – souvent incapables de le faire en raison de contingences historiques – se sont retrouvées au pilori du journalisme. Comment imaginer alors que la même chose n’est pas arrivée à Caterina Sforza ? Elle aussi est entrée dans l’histoire sur l’air d’un « mauvais air », celui mentionné ci-dessus, d’autant plus obstiné que son propagateur est un chroniqueur pour le moins faisant autorité : Niccolò Machiavel.

Un festival dédié à Caterina Sforza est avant tout une belle occasion d’affirmer – en la célébrant – que nous ne croyons pas à la diffamation systématique de toutes les grandes femmes du passé. Et Machiavel ne s’en soucie pas, car les stéréotypes sur les femmes au fil des siècles ont toujours pris la forme exacte et le même contenu que celui qu’il rapportait dans les Discours.

*Chiara Mercuri, historienne et essayiste, présentera ce soir à 21h son dernier livre La naissance du féminisme médiéval (librairie Mega Mondadori de Forlì). Marie de France et la révolte de l’amour courtois (Einaudi, 2024) dans le cadre du Festival Caterina Sforza de Forlì, conçue et dirigée par Eleonora Mazzoni, une revue culturelle et de divertissement dédiée au « féminin » sous toutes ses facettes. Parmi les prochains invités programmés pour l’événement : Jennifer Guerra, Ester Viola, Beatrice Baldaccini, Maria Pia Timo et Giuseppe Cruciani.



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