2024-12-24 07:30:00
Il arrive avec Sergio Chejfec (Buenos Aires, 1956 – New York, 2022) que ces derniers temps, comme certains l’avaient déjà prédit, la perception de l’excellence de son écriture augmente. Ce qui lui arrive est ce qui, par rapport au boom latino-américain, est arrivé à Julio Ramón Ribeyro, qui d’écrivain marginal (accusé en partie par son propre « échec ») est en train d’accéder à une position centrale, d’abord à travers les successifs rééditions de son essentiel du quotidien La tentation de l’échec et, ces dernières semaines, pour la réédition de sa nouvelle, où il affiche une vision du monde proche de certaines sensibilités contemporaines.
Revenons à Chejfec. Il s’intéresse davantage à la littérature qui interroge l’incertitude de vivre dans ce monde où l’on ne sait presque tout qu’à celle qui tend à concilier la relation entre sujet et environnement. Je l’ai rencontré à Mérida vénézuélienne, au pied des Andes, en 1993, et il m’a offert son troisième livre, L’airdont la première phrase, relue aujourd’hui, semble déjà tout dire de ce qu’il écrira plus tard : « Et donc, la valeur de son caractère résidait dans le fait d’allier la paresse à l’impatience, cela peut paraître contradictoire, mais c’est la circonstance qui lui permettra de supporter la tension épuisante de son époque…”
Neige Sinno, le célèbre auteur de tigre triste (Anagrama), a publié vendredi une critique passionnante dans Le Monde à propos de la réédition en France (la première date de 2012) de mes deux mondes. C’est l’étonnement que l’a provoqué l’expérience de la lecture du livre de Chejfec dans lequel un double de l’auteur raconte une promenade au cours de laquelle il erre dans un parc abandonné, gris et uniforme, conscient de la difficulté d’accéder au langage, réalité si mobile de conscience, pourtant si intuitivement accessible à chacun de nous.
“Ce que je veux dire maintenant, comme presque toujours, est imprégné d’imprécision”, s’excuse le double de l’auteur. Mais c’est dans l’hypothèse de cette ignorance, commente Neige Sinno, que réside la beauté du texte, car il nous permet de nous laisser surprendre par la densité de l’inconnu que contient chaque instant de notre vie, même le plus prosaïque, puisque nous ignorer presque tout des mondes dans lesquels nous vivons.
Pour Chejfec, la condition flottante de l’écriture sur l’écran l’a amené à penser l’écriture comme ayant une entité plus distinctive et plus ajustée que l’entité physique : « Comme si la présence électronique, étant immatérielle, était mieux liée à l’insubstantialité des mots et l’ambiguïté habituelle qu’ils évoquent souvent. Et cette impression est ce qui semble traverser mes deux mondes —que Candaya a publié ici en 2008—, où le double de l’auteur, le promeneur dans le parc abandonné, ne cesse de nous transmettre l’idée qu’on a si peu écrit sur ce que nous vivons réellement que cela nous donne même une confiance inattendue dans le futur, car l’inconnu est un parc abandonné. Confiance dans l’avenir donc (de la littérature). Mais surtout de la vie, qui l’aurait cru. Mais il n’existe aucun moyen d’écrire une phrase à laquelle nous croyons.
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