La mixité sociale dans les collèges et lycées publics des quartiers dits prioritaires existe-t-elle toujours ? La question se pose dans de nombreuses villes.
Nous avons enquêté à Sarcelles. Dans cette commune multiculturelle de 60 000 habitants, les statistiques recueillies en 2016 par le ministère de l’Education nationale, sont sans appel.
Dans la plupart des collèges publics, plus d’un élève sur deux est issu d’une catégorie socioprofessionnelle défavorisée (CSP -). A Jean-Lurçat, ils sont 73,82%, à Chantereine, 72,42 %, à Voltaire, 64,1 %, à Anatole France, 63,1 %, contre 19,71 % et 26,1 % dans les collèges privés Torat Emet et Saint Rosaire de la ville. Les deux lycées publics de la ville n’échappent pas à la tendance avec 55,63 % à la Tourelle et 51,4 % à Jean-Jacques Rousseau.
Cette situation n’est pas propre à Sarcelles. Elle se vit dans d’autres collèges publics de Villiers-le-Bel, Goussainville, Argenteuil, Montmagny et bien au-delà des frontières du département. Comment l’expliquer ? Quelles conséquences pour les élèves ? Professeurs, collégiens, lycéens et parents nous parlent de cette situation.
Les enseignants confrontés à ce manque de mixité
« Il faut réintroduire de la mixité sociale ». En salle des professeurs, ou ailleurs, c’est un sujet qui fait débat. Pour nombre d’entre eux, le constat est celui-là : dans les établissements publics (collèges et lycées) des quartiers dits prioritaires, comme au grand ensemble à Sarcelles, « elle a presque disparu ».
« Elle a existé, et c’était ça l’école de la République, celle que j’ai moi-même connue en tant qu’enfant d’ouvriers analphabètes », constate avec tristesse une enseignante quinquagénaire. Riche de ses vingt-cinq années d’expérience dans le même collège, elle constate : « Il y a eu une classe moyenne. Mais dès qu’elle a pu, elle est partie de Sarcelles où pourtant on vit bien. Et celle qui est toujours là, inscrit ses enfants dans le privé. Les grands perdants, ce sont nos gamins. Car la clé de la réussite réside dans la mixité, dans le fait de fréquenter des gens de différentes classes sociales, et non de rester entre-soi. »
« On peut parler de ghetto… »
Au fil des années, les enseignants assistent impuissants au changement de visage des écoles. « Il y a clairement une absence de mélange. On regroupe les gens en difficultés sur un même secteur, déplore cette enseignante. Ce n’est pas de la faute des parents, ils vont là où le logement est moins cher. » Conséquence : « Dans certains collèges, on peut parler de ghetto, s’agace Marie*, une autre professeur. C’est le résultat d’un échec des politiques successives et du fait que des parents n’ont plus confiance dans l’institution scolaire publique. » Christophe*, un autre enseignant renchérit : « ce qui me met le plus en colère, ce sont tous les sacrifiés, ces gamins qu’on laisse sur le côté. »
Au lycée Jean-Jacques-Rousseau, Khaled Chaouch, enseigne les sciences économiques et sociales. Cet établissement, il le connaît bien pour l’avoir fréquenté en tant qu’élève, entre 2005 et 2008. « On a ici une immigration constante de première génération, des gens qui sont en difficulté, qui pour certains viennent de pays en guerre, qui maîtrisent mal la langue… Leurs enfants, dès qu’ils le peuvent, qu’ils évoluent, s’en vont. On ne bénéficie donc pas des deuxièmes ou troisièmes générations qui, elles, maîtrisent le langage, les codes… »
« Entre Versailles et Sarcelles, on voit bien qu’il y a deux écoles »
Le manque de mixité sociale influe-t-il sur l’enseignement ? « Oui, souffle le professeur. J’ai commencé en contractuel dans un lycée à Versailles [Yvelines]en 2012, où les étudiants étaient issus de milieux assez favorisés. Je leur faisais des cours de niveau Capes. À Sarcelles, j’ai voulu le faire. C’est malheureux, mais ça n’a pas été possible. Entre Versailles et Sarcelles, on voit bien qu’il y a deux écoles. » Une autre professeure, Julie*, habitante dans un quartier prioritaire, déplore « ces inégalités ». « Il y a comme un tri qui s’opère et j’y suis confrontée. Je réfléchis à déménager pour inscrire ma fille dans un collège avec plus de mixité sociale car il n’y en a très peu dans l’établissement de mon secteur… et je refuse de la mettre dans le privé. »
Quelles solutions ? Tenter de réintroduire une mixité à tous les niveaux. Comment ? Il faut des moyens. « Ça passe par l’attribution de plus d’heures pour tous ces établissements. Ça permettrait de travailler en demi-groupes, de remettre en place des classes avec des options comme le théâtre…, propose Christophe. Il faut redevenir attractif et surtout recréer les conditions de réussite pour tous et non pour quelques-uns. »
*Les prénoms ont été modifiés
2018-06-10 10:00:00
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