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Colombie : la création du Conseil Régional Indigène du Cauca (CRIC) ~ SonAndina

by Nouvelles

2024-08-23 18:37:03

En février 2023, j’ai pu me rendre dans le sud-est de la Colombie, dans la région du Cauca, à l’occasion du 52ème anniversaire du Conseil régional indigène du Cauca. Je vous présente le contexte historique et actuel vécu par les peuples indigènes du secteur. Leur lutte est actuelle et concerne un bien qui me semble mondial, celui de la diversité des cultures. Connaître leur réalité, en parler, me semble vital.

Région du Cauca : la rencontre d’un contexte armée

Je suis arrivée le 22 février 2023 à la réserve indigène de Toez dans le nord du territoire du Cauca pour participer à la célébration des 52 ans d’existence du CRIC.

Carte de la commune de Páez, dans la région du Cauca / Wikimedia Commons

Je prends la mesure de la complexe situation du pays et de ce département en l’espace de mes trois premiers jours en Colombie. Je vis une immersion ébranlante car je rencontre ces habitants et leur histoire lors de l’évènement annuel qui réunit tous les peuples indigènes du département.

Dans les années 1970, huit peuples indigènes se sont organisés collectivement pour récupérer, protéger et maintenir leurs savoirs et coutumes. Ils ont créé le Conseil régional indigène du Cauca, le CRIC. C’est un petit système autonome en Colombie avec leurs propres écoles où ils enseignent les langues et coutumes aux enfants, leurs propres systèmes de communication, de santé, de lois et de sécurité aussi…

Le département du Cauca est situé au sud-est de la Colombie. Là-bas habite le plus grand pourcentage de population indigène du pays. Ce territoire est l’un des plus violents de la Colombie. Le conflit armé entre militaires, paramilitaires, narcotrafiquants, FARC’s impacte fortement ces habitants.

Voici un bref petit lexique pour contextualiser le paysage :

– « guérilleros » – membres des FARC (force Armée Révolutionnaire de la Colombie) : groupes armés qui se sont constitués dans les années 50 pour exiger plus de droits pour le peuple. Et qui au fil du temps ont dévié de chemin par l’influence du narcotrafic pour financer leurs activités.

– « Paramilitaires » : groupes armés qui se sont constitués pour protéger les bénéfices des riches.

– « Narcotrafiquants » : groupes armés internationaux qui organisent la production et le trafic de substances illicites.

– « Propriétaires » : propriétaires de terres agricoles de grande taille.

Et donc, pour resituer nos protagonistes, les peuples indigènes du Cauca, eux dans cette histoire ont vécu beaucoup de déplacements forcés de leurs territoires d’origines.

Déplacé« La vie est un livre qui se lit et s’écrit avec les pieds » – dessin à l’encre et aquarelle _ Nayra Prieto – 2023

Leurs territoires étaient la propriété de « terratenientes », propriétaires des terres agricoles de grandes tailles. Les indigènes et afros avaient le droit de vivre sur ces terres à condition de rétribuer tout leur travail au propriétaire sans être payé.

Un roman que je conseille pour comprendre ce système est celui de B. Traven, La charrette. Il raconte une histoire au Mexique avec des “terratenientes”.

charretiers – dessin à l’encre et aquarelle _ Nayra Prieto – 2023

Indigènes : la mémoire d’une lutte ancienne

« Nos terres ont été envahies par les grands propriétaires il y a plus de 200 ans, ils nous les ont volées. Mais depuis1825 les gens ont lutté et finalement nous avons gagné. Nous avons libéré nos terres. »

Javier Calambas

Celui que je viens de citer, c’est le grand-père taita Javier Calambas du peuple Misak. Les Misak sont un des peuples indigènes de cette région. ”Taita” signifie homme sage, grand-père en langue quechua.

image Colombie
Photo Colombie _ Jacqueline Brandwayn via Unsplash

Dans un témoignage que je vous partagerai sous forme graphique, Taita Javier raconte la lutte qu’ils ont entreprise pour sortir de l’oppression des “terratentientes”. Ils se sont politisés, ils ont appris les arts de la parole, le maniement des documents administratifs et les circuits bureaucratiques. Ils ont créé des coopératives et sont devenus propriétaires de certaines des terres de leurs ancêtres. Et ils ont impulsé la création du CRIC.

Avec cette structure, ils ont pu obtenir une reconnaissance du gouvernement comme peuples indigènes.

En Colombie, il existe des lois qui reconnaissent aux peuples indigènes leurs terres. Au début du siècle dernier, certaines lois ont indiqué la possibilité d’occupation des terres par les indigènes si elles étaient en friche et sans propriétaire. C’est uniquement en fin de siècle que des lois, comme la Loi 30 de 1988établissent que les territoires traditionnels occupés par des indigènes doivent être reconnus comme Réserves qui peuvent s’organiser avec le système traditionnel de “Cabildos”.

Les indigènes du Cauca habitent actuellement dans différentes réserves reconnues par l’État et délimitées par des postes de garde et des clôtures.

Oui des clôtures car la lutte n’est pas finie ! Actuellement, ils mènent différentes actions de “récupération des terres” car il y en a encore beaucoup qui sont des propriétés privées appartenant aux groupes d’agriculture intensive, aux narcotrafiquants, aux Farcs, aux mines, etc… Ce qui les amène quotidiennement à s’affronter avec tous ces groupes évoqués.

Mais comme ils souhaitent contribuer à un contexte de paix, ils utilisent différentes stratégies : l’éducation, la communication, la gouvernance autonome et un système de sécurité propre à la tête de gardes indigènes.

Territoire : les 52 ans du CRIC

Revenons à ce jour où j’arrive sur place.

Je suis accompagnée d’une amie politologue qui a travaillé et lutté auprès des indigènes pour la libération des terres.

La réserve est au pied des montagnes, entourée par des champs de canne à sucre. Des drapeaux vert et rouge et des barrières marquent le territoire. Cela ressemble à Notre Dame des Landes. À l’entrée, des gardes avec un “baston de mando” (bâton de commandement) et une bassine d’eau florale font l’accueil et le nettoyage de tous les venants : “ils enlèvent les mauvaises énergies avec cette eau” me dit mon amie. Nous sommes accueillis par un couple qui nous héberge pour la nuit. Elle travaille au sein du pôle des droits humains et lui comme professeur et garde indigène. D’ailleurs, nous le rencontrerons dans un prochain article pour en savoir plus sur les gardes indigènes.

Photo vue Cauca
Photo Cauca _ Fernanda Fierro via Unsplash

L’événement se déroule sur quatre jours où sont proposés divers mingas : espaces de réflexion et élaboration collective. Mais également des prises de paroles ; des représentations culturelles de danse et de chant ; l’exposition d’artisanats, de publications, d’aliments et de produits divers. Nous allons vers le plus grand chapiteau ou des dirigeants prennent la parole. La journée file, puis la nuit venue, nous partons dîner chez le couple d’amis. Un appel change le cours de la soirée : un homme a failli être tué. Notre ami garde est sur place. Nous accompagnons sa compagne au centre de santé de la réserve car elle doit rédiger une note d’information immédiatement.

L’ambiance sous le chapiteau est toute autre, un groupe de musique fait danser tout l’auditoire. Mon amie me dit que comme la vie quotidienne est dure et parfois courte, lorsqu’il y a une fête, les gens plongent corps et âme dedans. Alors écartés de cette marée folle, nous sommes que quelques-uns réunis à apprendre la nouvelle. Un enfant me dit “ ha et c’était près de ma maison ça ! Moi qui voulais rentrer seul ! ”et s’éloigne en dansant. Mon amie me dit qu’hier, un autre homme a été déposé mort à l’entrée de la réserve. Elle me dit que cela est monnaie courante. Ça me hérisse les poils.

Je réaliserai dans les jours à venir qu’habiter une réserve et être indigène dans le Cauca, c’est vivre avec la mort au quotidien. C’est veiller à ce que tu dis, où tu le dis, à qui tu le dis. C’est brouiller les pistes de tes déplacements. Mais c’est aussi croire en cette utopie de vie face à une meute de fauves prêts à sauter sur l’occasion de manger ces habitants et leurs territoires sacrés…

Il y aurait beaucoup à raconter car au cours des semaines j’ai rencontré des jeunes, des femmes, des journalistes, des gardes indigènes, des dirigeants… au travers d’interviews, de mingasd’ateliers… Je partagerai d’autres articles sur le sujet dans les semaines à venir.

  • La région a un climat semi-tropical. Il y a des arbres gigantesques appelés Samanes qui peuvent mesurer jusqu’à 20m de hauteur. Je me trouve devant l’un d’eux.



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