Colombie – Le bâton de pouvoir ~ SonAndina

2024-10-08 15:24:00

En février 2023, j’ai séjourné dans la région du Cauca, au sud-est de la Colombie, où les populations indigènes font face aux conflits qui gangrènent la région. Aujourd’hui, je vous parle du bâton de pouvoir, l’attribut des gardes indigènes. J’en ai rencontré et j’ai été impressionnée par leur travail de résistance et leur courage dans ce contexte armé. Le bâton de pouvoir est un symbole de force qui accompagne cette résistance non violente.

La garde indigène

Le Conseil Régional Indigène du Cauca (CRIC) a un système de sécurité propre : la garde indigène.

Alors qui sont ces gardes et que font-ils ?

Dessin crayon-encre_Nayra Prieto-2023

Elles, ils, yels, sont des habitants des réserves qui se portent volontaires pour veiller et protéger les territoires indigènes et leurs habitants. Ils font des tours de garde quotidien et sont en première ligne lorsqu’il y a une tension ou un conflit. Ils accompagnent les autorités dans leurs déplacements et encadrent les événements comme celui des 52 ans du CRIC.

La garde est composée d’adultes mais il existe également une garde d’enfants. Celle-ci réalise certaines tâches pour la communauté afin de transmettre des valeurs civiques à la jeunesse : ramassage de déchets dans les rivières et espaces verts, ateliers créatifs pour apprendre les coutumes et expressions artistiques de leur peuple, etc. Le CRIC a développé cette branche de la garde indigène pour fédérer la jeunesse à leur cause. Un des problèmes majeurs que rencontrent les territoires indigènes est celui du recrutement de mineurs par les forces armées du secteur.

Dessin crayon et encre, Nayra Prieto – fevrier 2023

J’échange avec C, une jeune garde indigène d’environ 12 ans qui est aussi chef de son escadron et qui me dit ces mots:

Certains sont emmenés de force ou à d’autres on leur promet de l’argent, des objets coûteux et comme il y en a qui sont un peu perdus ils partent avec ces groupes. Mais j’aimerais leur dire que c’est un mensonge et qu’il devrait rester»

C., 12 ans, jeune garde indigène


L’hymne de la garde indigène

Garde, Garde,

Force, Force,

Pour ma race, pour ma terre,

Indigènes avec force et courage dans leurs coeurs,

Qui empoignent leurs bâtons pour la justice et la survie,

Ils sont amis de la paix,

Ils vont au front avec courage et brandissent leurs bâton avec fierté et sans peur,

En avant camarades, prêts à résister, à défendre nos droits même si il nous faut mourir »

Hymne à la garde indigène écrite par Luis Hernán Sánchez

Ceci est un extrait de l’Hymne à la garde indigèneécrite par Luis Hernán Sánchez, garde indigène et musicien du groupe Fêtards du Cauca 4+3. Cette chanson a été dénommée comme hymne en 2010 mais elle a été écrite durant une période de forte répression. La dernière phrase « En avant camarades, prêts à résister, à défendre nos droits même s’il nous faut mourir » fait référence à une attaque durant laquelle Luis, voyant ces camarades gardes très apeurés et démotivés, leur a chanté ce premier couplet pour exciter leur courage. Luis précise aussi que dans le texte il parle de bâton et non d’arme, d’amis de la paix et non d’un groupe de subversifs.

Leurs stratégies de résistance et d’action doivent veiller à ne pas être armées car autrement on les cataloguerait comme terroristes subversifs et leurs situation de danger ne serait pas prise en compte à sa juste mesure.

Voici le lien de l’Hymne à la garde indigène:

Les luttes de la garde indigène

Le mouvement “Liberacion de la madre tierra”, auquel participent les gardes indigènes et d’autres habitants des réserves, consiste à occuper des terres qui appartenaient aux indigènes auparavant. Ils occupent les champs de canne à sucre et y installent un campement avec leurs familles où ils sèment des légumes, amènent leurs troupeaux, etc. L’idée est de faire une action non violente pour récupérer ces terres.

Le mouvement les revendique car elles ont été obtenues de façon frauduleuse. Les indigènes de l’époque ont été expulsés ou escroqués avec de faux documents. Ce mouvement amène les indigènes à être la cible des grands groupes agro-industriels tels que Incauca ou Asocaña, mais également des forces armées gouvernementales tels que l’Escadron Móbil Anti-émeute (ESMAD), et des forces armées non gouvernementales qui déploient leurs zones d’influence sur les territoires indigènes et les environs.

Dessin crayon et encre, Nayra Prieto – fevrier 2023

Au niveau national, avant 2022, les gouvernements n’apportaient pas ou peu leur aide aux communautés indigènes. La situation a évolué avec le gouvernement en place depuis 2022. Le conflit armé vécu par les communautés indigènes est pris en compte et certaines mesures sont peu à peu mises en place. Le CRIC a aussi développé un réseau international qui permet de communiquer et de fédérer une solidarité face à cette guerre.

Pour aller plus en détail sur le sujet voici quelques liens d’ articles:

Le bâton de pouvoir

Crayon, encre et aquarelle _ Nayra Prieto – 2023

Je souhaite aussi vous parler du bâton de pouvoir. Celui que Luis cite dans la chanson et que les gardes indigènes brandissent avec fierté. Ce bâton de pouvoir est fabriqué avec le bois de l’arbre chonta et est ornementé par des rubans aux couleurs rouges et vertes du drapeau du CRIC. Ce bâton est donné aux gardes et aussi aux autorités indigènes lors d’un acte rituel et solennel.

Le perektsik, bâton de pouvoir, est pour nous un esprit sacré. La coutume de mon peuple est que quand quelqu’un est assigné à un rôle d’autorité, il doit aller à la cérémonie de nomination accompagné par son père “tata” si il s’agit d’une fille, ou sa mère “mama” si il s’agit d’un garçon.”

Arles Yulian Calambas Tenebuel

Celui qui reçoit le bâton lui assigne l’appellation d’époux ou d’épouse. Pour le jeune misak Arles qui appartient à la communauté LGBTIQ+, ça s’est passé différemment :

“Moi j’étais accompagnée par ma “mama” et je l’ai nommé comme mon époux. Le bâton n’a pas de genre, il n’est ni femme ni homme. Il est une force d’autorité que toute la communauté reconnaît. Et comme il n’a pas de genre, celui qui le reçoit lui en assigne un. La diversité se trouve dans la nature et nous faisons partie aussi de la nature. En ce sens nous sommes aussi divers, comme l’indique la loi de mon peuple Misak

Arles Yulian Calambas Tenebuel

Arles est aussi journaliste et participe à produire une information faite par et pour les habitants des réserves indigènes.

La parole sans l’action est vide,

L’action sans la parole est aveugle,

La parole et l’action sans la communauté s’est la mort ».

Albaro Urqué

Cette phrase est emblématique car elle a été à l’origine des premiers médias de communications développés par le CRIC. L’information est aussi une stratégie essentielle de résistance. Dans les années 80, Albaro Ulcue, père religieux indigène, initie les premiers mouvements de jeunesse indigènes pour les éloigner du conflit armé et impulse la créations de journaux et de radios indigènes. La revue dans laquelle Arles écrit porte son nom: c’est la Magazine de l’unité Alvaro Ulcue. C’est même à l’occasion d’un évènement de la revue que je l’ai rencontré ! Et c’est dans l’édition 7 qu’il témoigne du passage cité ci-dessus.



#Colombie #bâton #pouvoir #SonAndina
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