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“Comment ne pas croire à l’histoire du succès ? En inventant d’autres histoires”

“Comment ne pas croire à l’histoire du succès ? En inventant d’autres histoires”

2024-01-10 18:14:51

BarceloneAprès avoir traversé l’Italie, Guadalupe Nettel (Mexico, 1973) est passée par Barcelone pour présenter les histoires de Les vagabonds (Anagramme). Finaliste au Booker International avec Le seul enfant (également à Anagrama), il s’appuie sur sa trajectoire reconnue avec des récompenses telles quehéraut et une douzaine d’ouvrages publiés dont des nouvelles, des romans et des essais, traduits en quinze langues.

La nouvelle est-elle écrite et lue différemment du roman ?

— Oui, l’histoire a le mérite d’être plus courte et alors on peut être plus perfectionniste et avoir plus de certitudes : si une ne te plaît pas, tu la retires et rien ne se passe. Un roman, c’est comme une excursion en bateau à travers l’océan et on ne sait pas vraiment si on va là où on est censé aller ou si on va finir ailleurs.

Vous revenez toujours à l’histoire.

— Sur mon continent, il existe une longue tradition de conteurs et je ne l’ai jamais vu comme un lien avec le roman, mais comme quelque chose que j’aime faire.

Publiques Les vagabondsun recueil d’histoires qui ont en commun des personnages qui ne sont pas là où ils l’attendaient, comme des albatros perdus.

— J’ai toujours été intrigué par la raison pour laquelle les albatros, qui ont généralement une vie très planifiée, partent seuls. C’est comme quand tu tombes soudainement sur un Catalan vivant à Calcutta et que tu veux savoir pourquoi. Ou quand quelqu’un qui était censé devenir architecte ou avocat décide finalement que son truc est le VTT ou qu’il est entraîneur dans un sport. Ce genre de personnes a toujours retenu mon attention. Mais il y a aussi autre chose dans cette idée de l’errance comme aspiration à la liberté, de ne pas être prédéterminé par le sort qu’on nous annonce. Ils vous disent toujours : “Eh bien, quand vous aurez terminé vos mille années d’études, que vous vous marierez, que vous aurez des enfants, que vous aurez un travail et que votre vie sera comme ça…”

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… peux-tu être libre ?

— Ou quelque chose de similaire. Mais pourquoi dois-je faire tout cela ? Pourquoi ne puis-je pas faire autre chose ? Et je m’intéresse aussi à cette juxtaposition entre animaux libres et animaux en captivité. Je pense que les êtres humains, presque tous et moi-même, sommes des animaux en captivité. D’un autre côté, j’ai aussi le sentiment qu’avec le changement climatique, avec la pandémie, avec l’échec évident du capitalisme, on ne sait pas où aller, on n’a pas de boussole, on est tous un peu perdus. .

Vous qui avez vécu en France, mais qui êtes mexicain, avez-vous ce sentiment d’être dans un endroit auquel vous ne vous attendiez pas ?

— J’ai grandi à la Villa Olímpica [Mèxic], un endroit plein d’oiseaux migrateurs, un quartier où arrivaient tous les exilés latino-américains, et puis nous sommes allés vivre en France et j’ai rencontré beaucoup d’immigrés. J’ai toujours été entouré de ce genre de personnes en transit. J’ai moi-même été une personne en transit. En réalité, les êtres humains ont erré pendant des milliers et des milliers d’années avant de s’installer. Les historiens expliquent que nous étions bien plus longtemps des animaux nomades, comme les chevaux sauvages qui voyagent en troupeaux ou les éléphants. C’est dans notre ADN le plus profond. C’est une empreinte génétique.

Dans l’une des histoires, la pandémie vue du futur apparaît. Comment le livre vous a-t-il influencé ?

— Ça m’a beaucoup marqué. J’ai eu une anémie pendant le confinement. Au Mexique, ce n’était pas absolument obligatoire, mais la rue était vide et nous avions très peur. Et nous, au magazine, ainsi que nos enfants, avons été renvoyés chez nous pendant pratiquement un an. Les écoles ont été fermées pendant près de deux ans. Après Trump, il y a eu une méfiance à l’égard de l’information, vu que le nombre de décès et le nombre de cas ne correspondaient pas. Et j’étais également préoccupé par le déni du changement climatique dont nous sommes tous témoins. Tout cela est présent dans le livre.

Dans toutes les histoires, il y a de l’insatisfaction.

— Ils nous vendent cette idée que la vie devrait être ainsi. C’est la vie d’un être humain qui réussit. Et l’idée de réussite nous causera toujours du mécontentement. Pourquoi ne sommes-nous pas satisfaits de ce que nous faisons ? Parce qu’on le compare toujours à un idéal.

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Et comment détruire cette idée ?

– Il y a un livre, Les pousses noires par Eloy Fernández Porta, qui est un essai sur cette deuxième pandémie qu’est la dépression qui nous a quitté en 2020 et sur ce fait de ne pas savoir où nous allons. Je pense que les enfants de ceux qui ont combattu en 68, des progressistes qui ont essayé de changer le monde, nous étions assez sceptiques et presque sarcastiques. Mais aujourd’hui, ce dans lequel nous vivons va au-delà du scepticisme et constitue un désespoir presque généralisé. Je pense que nous sommes une société décousue à cause de cela.

Barcelone apparaît dans un autre conte.

— J’y ai vécu trois ans et demi. J’adore la ville. Je suis arrivé là-bas avec un manuscrit sous le bras après avoir essayé de le faire publier au Mexique et il a été récupéré par ce que je considère comme le meilleur éditeur du monde, Jorge Herralde. Ce n’était pas le premier livre, mais c’était le premier roman. Et j’ai aussi rencontré Enrique Vila-Matas, une de mes grandes références.

Devons-nous le laisser ici ?

— Je me retrouve avec la question suivante : comment ne pas croire à l’histoire du succès ? Inventer d’autres histoires. Il faut toujours inventer d’autres récits.



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