2024-09-08 10:19:36
AGI – D’une part Magnus Carlsenancien champion du monde et numéro un du classement, de l’autre Hans Moke Niemannun joueur américain en plein essor, et probablement aussi celui dont on parle le plus dans les cercles d’échecs. Tous deux ont été les protagonistes de la polémique la plus importante des deux dernières années qui, autour du mot « tricherie », a enflammé les esprits, divisé les foules, fait discuter passionnés et analystes et occupé les pages des journaux. Carlsen et Niemann se sont encore défiés hier à Paris, lors des demi-finales du Speed Chess Championship, un tournoi très riche organisé par Chess.com à deux pas du Louvre, dans une série de matchs qui avaient le goût de une confrontation. Comme s’ils étaient deux boxeurs sur un ring et que tout autour les gens attendaient juste de les voir se battre. Les deux, en réalité, s’ignoraient assez : peu de regards, zéro mot, chacun confiné dans son espace, les écouteurs dans les oreilles et l’écran devant les yeux. Au final, il n’y a pas eu de surprise : Carlsen a clairement gagné mais, avant d’aller plus loin, il faut rembobiner la bande et expliquer pourquoi leur rencontre était si attendue.
Le contexte
Coupe Sinquefield 2022. Niemann bat Carlsen, avec les pièces noires, d’une manière claire et surprenante. Le joueur de 33 ans émet des doutes sur le déroulement régulier du match, abandonne le tournoi et laisse clairement entendre qu’il soupçonne un cas de tricherie. L’Américain, personnellement touché, avoue dans une longue interview avoir « triché » deux fois dans sa jeunesse, mais uniquement en ligne. Et il s’en prend aux sceptiques : “Si la prochaine fois ils veulent que je me déshabille complètement, je le ferai.” Chess.com “suspend” Niemann de sa plateforme peu après la fin du tournoi en question.
Carlsen ne recule pas, confirme ses hypothèses sur une possible « fraude » sportive à Saint-Louis et souligne que, selon lui, Niemann a triché plus souvent, et plus récemment, qu’il ne l’a avoué publiquement. La FIDE ouvre une enquête sur cette affaire pour vérifier ce qui s’est réellement passé et pour tenter de déterminer la part de vérité contenue dans les propos et les allusions de Carlsen. Entre-temps, deux courants se créent dans l’opinion publique : ceux qui soutiennent que le Norvégien a abusé de sa position en étouffant la carrière de Niemann et ceux qui, au contraire, déplorent ce dernier pour son manque de transparence.
Chess.com publie un rapport de 72 pages avec le résultat des analyses effectuées sur les matchs de Niemann. Une situation peu claire apparaît, pleine de « bizarreries ». Cela renforce la théorie selon laquelle l’Américain n’a peut-être pas joué proprement lors de plus de 100 matchs, y compris des événements avec des prix en argent.
En octobre 2022, Niemann défend une cause contre Carlsen, sa société Play Magnus Group, Chess.com et son CCO Daniel Rensch, et Hikaru Nakamura, un autre joueur très fort qui avait émis des doutes sur son comportement. Les accusations vont de la calomnie dans la presse à la diffamation, de l’inconduite anticoncurrentielle au sens de la loi Sherman (violation des lois antitrust) à l’ingérence illégale dans les contrats commerciaux.
Le procès a été rejeté le 27 juin 2023 devant un tribunal fédéral américain.
Le 28 août 2023, Chess.com publie une note expliquant que les conflits juridiques sont terminés: Un accord a été trouvé entre toutes les parties (sans publication de détails). Niemann est réintégré sur la plateforme et Carlsen confirme qu’il ne veut plus reculer devant un éventuel défi contre son rival. Niemann explique qu’il a hâte de « rivaliser avec Magnus sur l’échiquier plutôt que devant le tribunal ».
Le 12 décembre 2023, La FIDE met fin à son enquête. Une amende de 10 000 euros arrive pour Carlsen pour son retrait de la Sinquefield Cup 2022 (le Norvégien n’est puni que pour une seule « accusation » sur quatre) et un acquittement pour Niemann par rapport aux accusations de tricherie.
Bref, de 2022 à aujourd’hui, on n’a (presque) plus parlé d’autre chose dans l’univers des échecs. Et on comprend facilement comment, ces dernières semaines, le « battage médiatique » de voir les deux athlètes s’affronter à nouveau s’est beaucoup accru. Malgré le climat apaisé et malgré l’événement ne permettant pas un autre match classique. En fait, une partie d’échecs « normale » n’a pas eu lieu à Paris. Le format proposé est entièrement basé sur les échecs « rapides », les plus populaires depuis qu’il existe des applications. Trois périodes de jeu avec des rythmes différents : 90 minutes de parties 5+1 (5 minutes + 1 seconde d’augmentation par coup) ; 60 minutes 3+1 (3 minutes + 1 seconde par coup) et 30 minutes 1+1 (1 minute + 1 seconde par coup). En bref, il n’y a pas de nombre fixe de matchs mais le temps définit quand le match se termine. Celui qui marque le plus de points gagne : 1 pour la victoire ; 0,5 pour le tirage au sort ; 0 pour la défaite. De plus, Carlsen et Niemann, bien qu’ils se trouvaient dans la même pièce, à quelques mètres l’un de l’autre, ne se sont pas affrontés sur un échiquier classique mais ont joué, avec leurs profils, sur la plateforme Chess.com.
Que s’est-il passé à Paris
Il n’y a pas eu de match en « première mi-temps ». Carlsen a dominé en prenant l’avantage 7-2, Niemann semblant immédiatement avoir des difficultés évidentes à contrer son adversaire. Le Norvégien a souvent opté pour l’ouverture anglaise, ou a souvent suivi des lignes mineures, dans le but de sortir l’Américain de la théorie et de s’imposer sur ce qui a toujours été sa spécialité : les fins de partie. Il était en fait assez prévisible que Niemann ait été très solide dans sa préparation mais qu’il puisse avoir plus de problèmes loin de sa zone de confort et avec quelques minutes pour réfléchir. Le sentiment général est qu’il existe encore au moins une catégorie de différence entre les deux. Carlsen, une fois qu’il eut accumulé l’avantage nécessaire pour gagner, baissa les vitesses et engagea le pilote automatique. De nombreux analystes ont souligné à quel point il a dû être très frustrant pour Niemann de regarder tout cela, presque impuissant. Il s’est plaint à plusieurs reprises de la souris, des écouteurs, de l’environnement. Mais cela ressemblait plutôt à une stratégie improvisée pour briser le rythme de l’adversaire (à un moment donné, il avait dix points de retard) et trouver une justification à l’écart. Ceux qui ont assisté au spectacle n’ont eu aucune difficulté à remarquer les grimaces des deux, Carlsen plus théâtral, surtout devant les erreurs commises, et Niemann toujours très sombre, renfrogné et déçu. D’ailleurs, le score final parle de lui-même : 17,5 à 12,5 pour l’ancien champion du monde. Une nette réussite.
Au bout de plus de 4 heures de jeu, Carlsen s’est entretenu avec Chess.com expliquant comment ils avaient tous deux “fait de nombreuses erreurs, de nombreux oublis” et comment sa performance ne l’avait pas convaincu : “Si je devais jouer comme ça en finale, je Je vais certainement perdre, je dois élever mon niveau pour gagner un match qui, je l’espère, sera plus divertissant.” Le Norvégien, visiblement soulagé, a reconnu avoir vécu une “journée très très étrange” et avoir été “un peu nerveux” et “certainement plus tendu que d’habitude”. Il a ensuite salué les progrès réalisés par Niemann : “Il est bien plus fort qu’il y a deux ans, il a fait beaucoup de progrès.” Le joueur californien lui-même semble avoir accepté la défaite et saisi les aspects les plus constructifs de la leçon qu’il a subie : “Il n’y a aucune excuse pour la défaite. Je reviendrai plus fort”, a-t-il tweeté peu de temps après. Son objectif reste le même : devenir le plus fort du monde.
Après tout, ce fut un été formidable pour Hans Niemann. L’Américain a réalisé un jeu mature et convaincant qui lui a permis d’arriver à Paris au-delà de toutes attentes. Battre Vachier-Lagrave et Wesley So, par exemple, c’est avoir mérité cette vitrine et avoir toutes les armes possibles pour défier au mieux un monstre sacré comme Carlsen. Mais pas seulement. Niemann a battu d’autres joueurs de haut niveau, comme Anish Giri, Nikita Vitiugov et Etienne Bacrot, dans un format appelé « Hans Niemann contre le monde ». Il occupe aujourd’hui la 16ème place du classement FIDE, avec un score ELO de 2733. Juste derrière (avec seulement trois points de moins) l’actuel champion du monde, le Chinois Ding Liren.
Il n’y a aucune excuse pour la défaite. Je reviendrai plus fort. Merci à tous mes fans, je vous le promets, je suis déterminé à faire tout ce qu’il faut pour devenir le meilleur joueur du monde.
— Hans Niemann (@HansMokeNiemann) 6 septembre 2024
L’adversaire en finale du joueur de Tonsberg de 33 ans sera le Français « adoptif » (il est né et a grandi en Iran), Alireza Firoujza, capable de vaincre un autre spécialiste des échecs en ligne, Hikaru Nakamura, lors de la première demi-finale de Speed Les échecs. Ce sera un match spectaculaire avec un résultat (presque) inattendu.
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