Même si les grèves et les manifestations ont pris fin il y a quelques semaines, l’insatisfaction et la méfiance persistent entre le ministère de l’Éducation nationale et les enseignants. Selon ces derniers, la situation reste morose et rien n’indique une amélioration malgré le récent répit. Un état des lieux inquiétant, à la lumière des conclusions du Rapport mondial sur les enseignants qui alerte sur une possible pénurie d’enseignants d’ici 2030.
Pénurie d’enseignants
Selon ce rapport publié récemment par l’UNESCO, “les systèmes éducatifs dans le monde entier ont un besoin urgent de 44 millions d’enseignants du primaire et du secondaire d’ici 2030. Cela représente sept enseignants sur dix dans le secondaire et équivaut à remplacer plus de la moitié des enseignants actuels qui quitteront la profession dans les années à venir”.
L’Afrique subsaharienne est particulièrement touchée par ce problème, note le rapport. Elle aurait besoin de 15 millions de nouveaux enseignants d’ici 2030. Une situation alarmante car de nombreux enseignants quittent la profession pour diverses raisons : retraite, état de santé, obligations familiales, transition professionnelle ou décès, entre autres (ISU, 2023b; OCDE, 2021).
Selon le même document, la durée moyenne de la carrière d’un enseignant n’est que de 10 ans dans les systèmes où le taux d’attrition (nombre d’enseignants quittant la profession au cours d’une année scolaire donnée) dépasse les 10%.
“Pour que la carrière des enseignants dure au moins 30 ans, les systèmes éducatifs doivent atteindre des taux d’attrition bien inférieurs à 5% (ISU, 2023b)”, souligne-t-il. “Au niveau mondial, les taux d’attrition des enseignants du primaire ont presque doublé, passant de 4,6% en 2015 à 9% en 2022. Dans le premier cycle du secondaire, ce taux a fortement augmenté en 2019 avant de commencer à diminuer en 2021. Il y a peu de données récentes sur l’attrition dans le deuxième cycle du secondaire, mais les données antérieures de l’ISU montrent une diminution de l’attrition dans les niveaux d’enseignement supérieur. Des données provenant d’autres sources indiquent que dans certains pays à revenu élevé, l’attrition est plus élevée dans le secondaire”.
Les taux d’attrition sont généralement plus élevés chez les hommes que chez les femmes, ajoute le rapport. Au niveau mondial, les taux d’attrition en 2021 étaient de 9,2% et 5,9% pour les enseignants du primaire et du premier cycle du secondaire, contre 4,2% et 5,6% pour les enseignantes des mêmes niveaux.
“L’attrition dans l’enseignement primaire est plus élevée pour les hommes que pour les femmes dans 80% des pays. Elle est même plus de deux fois plus élevée en Algérie, au Bélarus, au Bhoutan, à Djibouti, en Egypte, dans les Îles Marshall, au Maroc, à Maurice, en Mongolie, au Niger, aux Seychelles et au Togo. Dans certaines circonstances, cependant, les taux d’attrition sont plus élevés pour les femmes que pour les hommes. Par exemple, en Inde, les enseignantes du primaire avaient un taux d’attrition de 2% en 2022, contre 1,4% pour les enseignants (ISU, 2023c; UNESCO et Équipe spéciale sur les enseignants, 2023a).
Les experts de l’UNESCO révèlent que “les enseignants débutants sont plus susceptibles de quitter la profession, et ceux qui s’apprêtent à prendre leur retraite mettent également les systèmes éducatifs sous pression et aggravent les pénuries”. Ils précisent que “les départs d’enseignants qui quittent la profession ou changent d’école et entraînent d’importantes pénuries dépendent largement des conditions matérielles et symboliques de la profession enseignante”.
Déploiements déséquilibrés
De plus, le document indique que “la pénurie d’enseignants dans certaines matières conduit souvent les enseignants à enseigner en dehors de leur domaine de compétence. Certaines matières sont plus touchées par les pénuries que d’autres car elles offrent d’autres opportunités professionnelles. Les diplômés en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM), par exemple, ont de nombreuses autres possibilités d’emploi en dehors du secteur de l’éducation, dans des conditions plus favorables et pour un salaire plus élevé.
En Angleterre, en 2022, seuls 17% des postes d’enseignants de physique étaient pourvus. La diversité linguistique est souvent limitée car il n’y a pas suffisamment d’enseignants qualifiés pour enseigner aux élèves dans leurs langues. Selon certaines estimations, environ 40% de la population mondiale n’a pas accès à l’enseignement dans une langue qu’ils parlent ou comprennent”, explique le rapport. Il ajoute que “le recrutement d’enseignants pour les zones isolées et rurales entraîne souvent des disparités importantes dans les ratios élèves-enseignant ainsi que le recours à des enseignants contractuels, ce qui augmente les taux de rotation du personnel. Le chevauchement de facteurs tels que la pénurie d’enseignants dans certaines matières et les zones difficiles à pourvoir en personnel peut aggraver les effets négatifs des pénuries d’enseignants sur des populations déjà défavorisées”.
Salaires insuffisants
Sur un autre plan, le rapport révèle que “les salaires des enseignants, quelle que soit leur niveau d’enseignement, varient considérablement par rapport à ceux pratiqués dans d’autres professions. Dans certains pays, les enseignants gagnent deux fois plus que d’autres personnes ayant un niveau de qualification comparable, mais dans d’autres pays, ils reçoivent des salaires beaucoup plus bas. Cependant, le manque de données sur les salaires des enseignants à l’échelle mondiale rend impossible l’analyse des moyennes régionales”. Les enseignants de l’éducation pré-primaire aux Samoa et en Sierra Leone gagnent la moitié moins que ce qu’ils pourraient espérer dans une autre profession exigeant un niveau de qualification comparable, tandis qu’en Colombie, au Togo, au Bénin, au Luxembourg, en Équateur et en République dominicaine, ils gagnent au moins 50% de plus que d’autres professionnels au même niveau de qualification, observe l’UNESCO. Il conclut en précisant que dans 20 pays d’Afrique subsaharienne, les enseignants gagnent en moyenne moins de 7 500 dollars US par an en parité de pouvoir d’achat.
Hassan Bentaleb