2024-03-25 15:13:02
«Le défi le plus complexe de toutes les philologies modernes». C’est ainsi que Paolo Trovato, spécialiste de Dante, a défini la tentative de réaliser une édition critique du Commedia. Il n’y a pas de comparaisons dans d’autres littératures. Aucune œuvre n’a connu une diffusion aussi large et complexe. La complication vient également du fait que nous n’avons pas d’autographes de la main de Dante. L’heureux élu qui trouverait une page, une ligne, une signature écrite par Dante gagnerait au bingo. Et puis il y a la quantité : si tu montes danteonline, le site qui fait appel au conseil scientifique de la Société italienne Dante, et en cliquant sur le lien vers les manuscrits, vous trouverez une liste de 827 codex qui transmettent le poème, certains de facture modeste, d’autres luxueux selon le milieu social. niveau du public auquel ils sont destinés. Un montant effrayant et qui plus est avec une contamination notable. En revanche, on sait que les trois cantiques ont eu une diffusion immédiate et probablement divisées en groupes de chants (à partir de 1314 leEnferà partir de 13 h 15 Purgatoiretandis que le Paradis mis en circulation immédiatement après la mort de l’auteur, en 1321).
L’incipit de la « Comédie » (en rouge le N de « Nel mezzo… »). La page est légèrement postérieure au reste du manuscrit
En 1965, septième centenaire de la naissance de Dante et année cruciale pour les études, Gianfranco Folena comparait la tradition manuscrite de Commediaà une rivière qui contient des courants mélangés et confus depuis sa source. Copistes et éditeurs, au fil des années et des siècles, ont contribué à polluer les eaux, peut-être de bonne foi, en tentant de corriger des lacunes ou de remédier à des malentendus, produisant de nouvelles erreurs, de nouveaux malentendus et de nouvelles tentatives de « révision », à l’infini. L’une de ces tentatives a été entreprise par Boccace, qui a copié lui-même le poème à trois reprises, en partant d’un codex du Vatican, mais en le contaminant également fortement et en y ajoutant de plus en plus de ses propres conjectures arbitraires.
Une autre page du manuscrit : en rouge le P de « Per me si va nella città dolente », premières lignes du III Chant de « Inferno »
L’édition la plus célèbre de Commediacelui accompli par Giorgio Petrocchi entre 1965 et 1967, n’a pris en considération que la trentaine de témoins précédant 1355, connus sous le nom collectif d'”ancienne Vulgate”, et divisés en deux branches, celle du nord (le poème s’est d’ailleurs immédiatement répandu dans le nord de l’Italie, où Dante a passé une bonne partie de son temps). son exil avant de mourir à Ravenne) et celui du centre.
Or, en dehors de cette “ancienne vulgate”, mais toujours significative, pour la tradition de Commedia est ajouté un nouveau manuscrit, qui sera vendu par Finarte (espérons-le à une bibliothèque ou à un centre d’études), à qui l’a confié la famille propriétaire, héritière d’un fonctionnaire de l’État qui collectionnait de précieux documents sur Dante et décédé au début des années 1960. La fiche de présentation, signée par Fabio Massimo Bertolo, chef du département Manuscrits et Autographes de la maison de ventes, établit chronologiquement la transcription du texte entre la fin du XIVe siècle et le début du XVe siècle selon une première compétence paléographique. L’importance philologique du document sera ensuite évaluée à la lumière d’un examen critique vérifiant sa valeur textuelle, sur la base d’une comparaison avec la tradition connue.
Mais entre-temps, il reste exceptionnel que le code papier (40 x 27 cm) et relié de façon moderne en maroquin naturel, contient le poème dans sa forme presque complète pour un total de 93 pages : la première et les deux dernières détachées du volume et d’une main un peu postérieure ; la carte manquante 25 coïncidant avec les lignes 34-139 du chant XXIX et les lignes 1-57 du XXX duEnfer. Le texte est disposé en deux colonnes de 42 lignes avec des rubriques rouges, des lettrines rouges modérément décorées au début de chaque chant et des initiales de triolets saillantes. Le poème est suivi de Chapitres en troisième rime de Iacopo Alighieri, fils de Dante, et Bosone Novello da Gubbio : ce sont les mêmes textes que l’on retrouve parfois combinés avec le poème, par exemple dans l’un des manuscrits les plus précieux de Dante, à savoir le codex Trivulziano 1080, longtemps crédité comme témoin privilégié sur le plan linguistique.
La feuille présentant le code indique que le texte appartient “avec une certitude raisonnable” au soi-disant “groupe Centro”, une riche portion de codes du Commedia on pensait initialement qu’il s’agissait de l’œuvre d’un seul copiste, Francesco di ser Nardo da Barberino, actif à Florence dans la première moitié du XIVe siècle, lorsque la ville était protagoniste du commerce des manuscrits. Francesco di ser Nardo était peut-être le fondateur d’un grand et réussi atelier d’écriture qui produirait de nombreux exemplaires du poème (le « Cento Danti », précisément, grâce auquel on disait que le commerçant « épousa je ne sais combien de ses filles »). Alors que l’atelier comptait de nombreux copistes (qui comptaient peut-être sur plusieurs copies pour comparer et « améliorer » le texte), la main précieuse de Francesco était certainement à l’origine de certaines copies (au moins six), dont le Trivulziano susmentionné, copié en 1337.
Pour en revenir à notre manuscrit, s’il rentrait réellement dans la catégorie des Cent, son intérêt philologique serait limité, étant donné qu’il contiendrait des variantes déjà connues : mais ce n’est pas le moment d’oser des hypothèses textuelles. Ce qui reste, c’est la découverte de un document dont la valeur dépasse certainement les deux millions d’euros. L’élégance du travail (inachevé, étant donné que l’espace de certaines lettrines reste vide), la régularité bien espacée et bien alignée de l’écriture (avec un trait presque pré-humaniste) ; la propreté générale de l’objet, qui est également dépourvu d’annotations et de notes de propriété (à l’exception d’une note moderne qui fait référence à une probable provenance anglaise) ; le format inhabituellement grand du volume : autant d’éléments qui font penser à la commande d’une personne cultivée désireuse de se procurer un exemplaire raffiné du poème, mais pas d’une grande disponibilité car le codex n’est pas du parchemin mais du papier. Bertolo ajoute quelques notations linguistiques qui assimileraient le codex à la région toscane, comme le soulignait le savant Guido Vitali, qui a eu l’occasion de le visualiser, dans un document des années 1960, le rapprochant du Cento.
Nous avons parlé de l’imagination du code nouvellement découvert. L’aspect graphique n’est jamais secondaire, encore moins quand on parle des œuvres de Dante. Un essai de Maria Luisa Meneghetti, philologue romane et universitaire lincéenne, qui paraîtra dans le nouveau numéro de la revue « Critica del testo » intitulé Dante a contesté. L’essai concerne un problème de dépassement très délicat : la paternité de la version italienne du célèbre Roman de la Roseconnu comme le Fiore, un court poème composé de 232 sonnets, que Gianfranco Contini a défini comme « attribuables » au jeune Dante. Une question sur laquelle les dantistes sont divisés et armés les uns contre les autres depuis plusieurs décennies. Or, Meneghetti remet en cause cette attribution en remettant en cause la présentation du seul manuscrit, conservé à Montpellier, qui transmet l’œuvre : la surprise est que ce codex, qui comprend également une copie du modèle français, ne suit pas le traditionnel avec lequel les sonnets ont été transcrits en Italie. Il révèle plutôt des aspects typiques de mise en texte du récit en vers anciens français, reprenant notamment une forme métrique à succès, dite strophe d’Hélinandqui tire son nom du premier qui l’utilisa, entre 1194 et 1197, le moine cistercien flamand Hélinand de Froidmont, auteur d’une opérette intitulée Vers de la mort.
L’examen comprend la mise en page sur la page (sur deux colonnes), le balayage des vers complètement verticalement (généralement les sonnets étaient plutôt disposés sur la page horizontalement comme la prose, avec un point métrique pour marquer la séparation des vers), le chromatique alternance des initiales, les symétries visuelles ainsi que les similitudes thématiques et tonales (satirique-récit) qui unissent le Fiore et les œuvres en vers d’Hélinard. Pas à pas, on arrive à une conclusion inattendue : l’hypothèse (plus qu’une hypothèse) que le copiste du codex de Montpellier serait un « bon fonctionnaire d’une société marchande (…), un Toscan, pour ne pas dire exactement un Florentin, qui avait trouvé sa deuxième patrie en France (…) et sa culture d’adoption dans la culture française, y compris la culture du livre”. Le paléographe Sandro Bertelli parle également de la « formation graphique d’outre-Alpes » du copiste dans l’essai qui suit celui de Meneghetti. Une objection pourrait être : pourquoi exclure que ce copiste « francisant » ait sous les yeux une œuvre authentiquement dantesque ?
La réponse consiste en de nouvelles questions : pourquoi diable le copiste aurait-il disposé le texte selon un critère « français » si l’original (ou l’antigraphe, c’est-à-dire le spécimen modèle) avait la mise en page canonique italienne ? Sans nier d’autres doutes sur lesquels Contini lui-même restait évasif : le Roman de la Rose n’avait pas de diffusion italienne et si Dante, semble-t-il, ne s’est jamais rendu en France (le récit d’un séjour à Paris supposé par Boccace n’est pas fiable), d’où la copie du romain à prendre comme modèle pour sa réécriture ? Il est bien plus probable, et plus encore à la lumière des nouvelles acquisitions, que non seulement le copiste mais aussi l’auteur de l’ouvrage Fiore est un Italien de France, et non Alighieri.
25 mars 2024 (modifié le 25 mars 2024 | 12:13)
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