De la lèpre au développement : l’histoire de Mballing

De la lèpre au développement : l’histoire de Mballing

Mballing, le dernier village le long de la Petite Côte, diffère des autres localités de la région de Mbour. Alors que celles-ci se vantent toutes de leur récit fondateur enchanté, Mballing doit faire face à un récit douloureux dû à une maladie qui l’a longtemps exclue de la société : la lèpre. Soixante-huit ans après sa création et quarante-sept ans après avoir été désigné comme un “village de reclassement social”, statut qui n’a été aboli qu’en avril dernier, beaucoup de choses ont changé. L’ancienne léproserie a guéri ses blessures grâce à l’effort de ses habitants et n’est plus méprisée par les localités voisines. Même si certaines croyances persistent…

Surnommé “Boulevard des anciens”, un large chemin de terre séparé par une rangée de haies longe le côté du Cem Moussa Kadam de Mballing. Sur ce mur, des fresques immortalisent le visage de quinze personnes âgées, dont le parrain du Cem, Moussa Sène, Mbaye Badiane, Ibrahima Ngom, Babou Ndiaye Sine, Ilimane Sow… Ils ne sont plus de ce monde, mais leur image et leur souvenir flottent toujours au-dessus du village de Mballing, leur terre d’accueil depuis ce matin du 13 juillet 1955, quand le monde entier les a rejetés à cause de la lèpre. “Ils font partie des 122 personnes qui ont passé leur première nuit à Mballing”, précise Assane Kadam, chef du village. Lui-même était inclus dans ce groupe alors qu’il avait moins de deux ans. Le bâtiment où son père a vécu jusqu’à sa mort, vingt jours avant, est toujours debout sur la place publique du village, à l’ombre de grands fromagers. Il fait partie des cinq bâtiments d’origine du village, tous identiques, construits pour accueillir les malades. Chacun d’entre eux dispose de huit chambres avec quatre lits chacune. Ils sont dispersés dans le village et se sont fondus dans l’urbanisation rapide qu’a connue Mballing au fil du temps. Le logement de l’infirmier ainsi que l’ancienne clinique où les malades étaient soignés sont également visibles sur le site. Assane Kadam précise que son père, Moussa Kadam, n’était pas atteint de la lèpre, mais était l’intendant de cette léproserie qui, plus tard, a été transformée en village de reclassement social pour les lépreux guéris ou mutilés par une loi de 1976 qui a été abrogée en avril 2023. Il y en avait neuf en tout. En plus de Mballing, il y avait Koutal (Kaolack), Diambo (Podor), Peycouck (Thiès), Némaba (Ziguinchor), Teubi (Bignona), Fadiga (Kédougou) et Sowane (Fatick). L’objectif était d’isoler les malades de la lèpre et de stopper la transmission de cette maladie. Les autorités avaient donc créé des villages appelés “villages de reclassement social”, où les lépreux et leurs familles étaient regroupés en vertu de cette loi.

Aujourd’hui, à Mballing, rien n’indique qu’il s’agit d’une ancienne léproserie. La maladie a presque été vaincue, seules quelques personnes, souvent des personnes âgées mutilées, portent encore les séquelles de cette pathologie. “Grâce aux progrès de la médecine, la maladie a été considérablement ralentie, de sorte que les enfants des malades n’étaient pas forcément atteints grâce aux mesures prophylactiques. Ceux qui ont façonné l’histoire de ce village de reclassement, le noyau dur, sont tous décédés, il ne reste que le vieux Mbaye Cissé et moi. Les mutilés que nous rencontrons ici sont des malades qui ont rejoint le village après son installation, au fil du temps, pour bénéficier de soins et de logements”, explique Assane Kadam. Mais avant l’abolition de cette loi, les habitants de Mballing ont subi de nombreuses stigmatisations, discriminations et humiliations. Ils ont cependant longtemps lutté pour se débarrasser de cette étiquette qu’on leur avait collée. Même si, dans leur esprit, souligne Assane Kadam, ils ne se considéraient pas comme tels. “C’était un fardeau que nous avions relégué dans notre rétroviseur depuis longtemps. Les gens avaient atteint un niveau de vie qui ne correspondait plus à un état de pauvreté sociale. Depuis 1992, nous nous sommes battus pour nous débarrasser de ce statut qui nous rabaisse et pousse les gens à nous regarder différemment, comme des parias. Nous sommes en Afrique et au Sénégal, où certaines croyances persistent, nous savons donc que cette étiquette ne disparaîtra pas du jour au lendemain, mais c’est déjà un grand pas”, souligne le chef de village qui occupe cette fonction depuis 1999, succédant à son père Moussa Kadam. Abdou Cissé, responsable de l’association “Leprahilfe”, une association allemande qui soutient les lépreux et qui a mis en place une cuisine communautaire pour nourrir les malades vivant seuls, estime que cette abolition aura au moins le mérite de rendre à Mballing sa dignité de village, comme tous les autres. “Auparavant, lorsqu’on énumérait le nombre de villages de la région, on disait, par exemple, ’32 villages et Mballing’, nous n’étions pas comptabilisés, une sorte de stigmatisation. Mais pour nous ici, la maladie n’est que dans la tête. Par exemple, on peut avoir des parents malades, mutilés, et pourtant bien vivre”, explique le natif de Guédiawaye, dont les parents étaient malades et internés à Mballing. Ce sentiment de rejet et de stigmatisation a également été vécu par Mbaye Kandji, responsable du volet socio-éducatif de l’association allemande, dans sa vie quotidienne. “Il y a quelques années, lorsque nos parents voulaient se rendre à Mbour, c’était tout un problème. Lorsque nous étions élèves à Mbour, les véhicules que nous prenions refusaient de s’arrêter à Mballing. On nous faisait descendre avant ou après le village et nous finissions le trajet à pied. Lors des matchs de football, nos adversaires faisaient des gestes rappelant les mains mutilées des lépreux”, se souvient Mbaye Kandji. Une anecdote raconte qu’un homme du nom d’Omar Ka, chaque fois qu’il quittait Mbour pour se rendre à Joal, se bouchait le nez de peur d’attraper le virus de la lèpre en passant près de Mballing. Ironie du sort, il est tombé malade par la suite et a séjourné à Mballing. Les habitants de Mballing ont transformé ces préjugés en source de motivation, animés par une volonté de revanche. “Nous ne nous sommes jamais apitoyés sur notre sort. Nous ne sommes pas restés les bras croisés simplement parce que nous étions un village de lépreux. Ici, nous avons des travailleurs dévoués qui ont pris leur destin en main pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants en les inscrivant à l’école.

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