”N’est-il pas ridicule que l’on confie le trafic de drogue aux criminels et que l’on n’essaye pas de trouver un modèle de marché civilisé ?” C’est la question posée par Femke Haslema, maire écologiste d’Amsterdam, pour amener une proposition choc. “On pourrait imaginer que la cocaïne puisse être obtenue auprès de pharmaciens ou via un modèle médical.” L’idée a été très vite balayée par le gouvernement néerlandais (de centre-droit et plutôt conservateur), mais ce n’est pas pour autant que la question ne mérite pas d’être posée. À Amsterdam, 80 % des interventions de police ont un lien avec le milieu de la drogue, et si la proposition de Femke Haslema vise autant à décharger ses forces de l’ordre, “c’est aussi une façon de reprendre le contrôle” sur le trafic et ses effets, analyse Stéphane Leclercq, directeur de la Fédération des Drogues et Addiction bruxelloise (Feda).
Dépénalisation : une solution pour endiguer la criminalité ? “Pour l’instant, on se tape la tête contre le mur en espérant le traverser”
Il faut dire que le marché, et donc la tension qui va avec, est juteux. “En Europe, le cannabis reste le plus gros marché illégal estimé à environ 12 milliards d’euros”, rappelle Stéphane Leclercq. Le marché de la cocaïne le talonne, mais avec moins de consommateurs. Si la Feda ne prend pas position sur la proposition de Femke Hasleman, elle note tout de même que la prohibition ne montre pas de résultat dans la lutte contre le trafic, c’est parfois même le contraire. “On l’a vu avec Sky ECC, la police a fait un travail formidable avec des saisies de plusieurs tonnes de stupéfiants, mais quel impact sur la circulation des drogues en Belgique ? Quasi aucun.” Et comme dans la nature, le deal a horreur du vide et lorsqu’un réseau perd sa place, un ou plusieurs autres le remplacent, menant à des situations comme l’on a pu l’observer à travers les fusillades bruxelloises ces dernières semaines.
La morale et la science
Est-ce pour autant le rôle de l’État d’encadrer et de fournir les citoyens en stupéfiants ? Dans le monde politique belge, l’idée de l’écologiste néerlandaise ne convainc pas. “C’est purement inconcevable, estime le bourgmestre d’Etterbeek Vincent De Wolf (MR). C’est un aveu d’échec.” Le libéral a mené un voyage parlementaire à Lisbonne où l’usage de toutes les drogues est dépénalisé, mais où la vente reste prohibée. “Et l’État n’a aucune pitié sur le trafic et les dealers. Ici, c’est une compétence du fédéral et de mon point de vue, comme on le voit dans les métros et les gares, il ne fait pas son travail.” La faute, selon lui, à un sous-effectif du côté des substituts du Procureur du Roi et à “800 policiers manquants à Bruxelles”. Même position pour Maxime Prévot (Les Engagés) qui ne se dit “pas favorable” à la mesure. Chez Écolo, Rajae Maouane estime que la priorité n’est pas là. “Il faut également accompagner les personnes qui consomment et avoir une approche social-santé dans la lutte contre les assuétudes. Par contre, légaliser la drogue dure, c’est non.”
La deuxième salle de consommation de drogues à moindre de risque ouvrira ses portes cet été dans le quartier Ribaucourt
Au début des années 2010 pourtant, Liège offrait aux toxicomanes de l’héroïne médicalisée importée des Pays-Bas dans une salle de consommation à moindres risques. Le dispositif était notamment l’objet d’une recherche scientifique sur la méthadone, mais il a été fermé. “Ça fonctionnait pourtant très bien. mais dans le milieu des drogues, on se heurte souvent à des questions morales et on se base peu sur des données scientifiques”note Stéphane Leclercq. “L’interdit légal n’est de toute façon pas ce qui détermine la consommation dans le pays”, conclut-il.